L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié il y a quelques jours un rapport intitulé «Power Systems in Transition, Challenges and opportunities ahead for electricity security» (Systèmes électriques en transition, défis et opportunités à venir pour la sécurité électrique). Il met en garde contre la vulnérabilité croissante des systèmes et des réseaux électriques tandis que transition énergétique se traduit par une électrification croissante des usages et une production plus intermittente et décentralisée.
La demande d’électricité augmentera au moins de 50% en 20 ans
L’AIE résume la situation de la façon suivante. «L’électricité fait partie intégrante de toutes les économies modernes, soutenant une gamme de services essentiels allant des systèmes de santé aux banques en passant par les transports. La sécurité de l’approvisionnement en électricité est donc d’une importance majeure. Le secteur de l’électricité traverse par ailleurs des changements fondamentaux: décarbonisation avec une croissance rapide des sources renouvelables intermittentes, la numérisation rendant plus vulnérable aux cyberattaques et le changement climatique entraînant des événements météorologiques plus extrêmes. En réponse, les gouvernements, les industries et les autres parties prenantes doivent améliorer la sécurité électrique… ».
Selon les différents scénarios de l’IEA, l’électricité devrait dépasser relativement rapidement les énergies fossiles, en détrônant notamment le pétrole et en devenant ainsi «l’énergie principale» dès 2040. «La demande d’électricité augmentera d’environ 50% en seulement 20 ans dans tous les scénarios du World Energy Outlook de l’AIE». La part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie est appelée à augmenter de façon continue. Elle est passée de 15% en 2000 à 20% aujourd’hui et devrait représenter au moins 24% d’ici 2040.
Le rapport «Power Systems in Transition, Challenges and opportunities ahead for electricity security» souligne l’incapacité des réseaux électriques tels qu’ils existent aujourd’hui à accompagner ces changements.
Rendre les réseaux et les équipements de production flexibles
«Les difficultés récentes causées par la pandémie de Covid-19 nous rappellent l’importance critique de l’électricité dans tous les aspects de notre vie, du maintien des équipements médicaux et des systèmes informatiques à disposition, en passant par le télétravail et la vidéoconférence»…
Le maître mot pour une transition réussie à partir d’un système énergétique intensément électrifié, est la flexibilité. Car pour réaliser une véritable transition tout en augmentant fortement les capacités de production électrique, il faut marier différentes sources d’électricité décarbonées, à savoir le nucléaire et les énergies renouvelables qui pour la plupart sont intermittentes et aléatoires.
«Le secteur de l’électricité a subi des changements dramatiques, passant d’un système caractérisé par des systèmes centralisés et intégrés verticalement utilisant un nombre relativement petit de grandes centrales thermiques disponibles à un autre composé d’un grand nombre de producteurs d’électricité de toutes tailles, dont beaucoup utilisent des ressources renouvelables variables.»
Fluctuations massives de production liées aux renouvelables
Les réseaux devront de plus en plus répondre en permanence à une demande plus importante et essentielle et gérer dans le même temps des fluctuations massives de production en fonction du vent souffle et de l’ensoleillement. Stocker cette ressource devient une nécessité (via notamment le remplissage des réservoirs des barrages, la production d’hydrogène vert et les batteries) tout comme celle d’avoir accès à des sources de production stables et «pilotables» (mobilisables quand la demande se fait sentir), à savoir l’hydroélectrique, le nucléaire et toujours des centrales thermiques.
Dans ce dernier cas, le gaz naturel est aujourd’hui la moins mauvaise solution pour fournir de l’électricité lors des pics de demande, le nucléaire n’étant pas adapté à un fonctionnement sur de courtes périodes, et le charbon ainsi que le pétrole étant encore plus émetteurs de CO2 que le gaz. Cela a pour conséquence de créer «un lien plus étroit entre la sécurité de l’approvisionnement en électricité et les capacités de livraison de gaz naturel».
L’AIE envisage à plus long terme des solutions comme l’hydrogène produit par électrolyse ou encore la biométhanisation pour permettre une plus grande flexibilité des systèmes. Mais ces technologies sont encore loin d’être adoptées à grande échelle et cela demandera du temps et des investissements considérables. En Europe, ils ont été annoncés dans l’hydrogène au cours des derniers mois à raison de 9 milliards d’euros pour l’Allemagne et 7 milliards pour la France.
Pour l’AIE, la diversification des mix énergétiques, synonyme de répartition des risques et de renforcement des sources de production et des réseaux, est une nécessité. Le maintien des centrales nucléaires existantes est indispensable tout comme le développement et l’amélioration des filières hydroélectriques et l’augmentation de l’utilisation des biofiouls et biogaz.
La menace des cyberattaques
Le problème de la sécurité informatique des réseaux est aussi mis en exergue. «La numérisation offre de nombreux avantages pour les systèmes électriques et les transitions d’énergie propre. Dans le même temps, la croissance rapide des ressources énergétiques et des appareils connectés étend la surface potentielle des cyberattaques, tandis que la connectivité et l’automatisation accrues dans tout les systèmes augmentent les risques pour la cybersécurité. La menace de cyberattaques contre les réseaux électriques est importante et croissante. Les acteurs de la menace sont de plus en plus sophistiqués. Une cyberattaque réussie pourrait entraîner la perte de contrôle des appareils et des processus, provoquant à son tour des dommages physiques et une interruption généralisée du service.»
Pour y faire face, les gouvernements du monde entier doivent améliorer la cyber-résilience en en faisant une priorité et en renforçant les réseaux par des actions technologiques et réglementaires.
Sécurité physique des réseaux face aux intempéries
Il en va de même pour la sécurité physique des réseaux, particulièrement exposés aux montées des eaux, tempêtes, températures élevées et autres catastrophes naturelles. Il faut une résilience climatique qui passe par trois dimensions. Tout d’abord, la «robustesse», qui est «la capacité d’un système énergétique à résister aux changements progressifs à long terme des schémas climatiques et à continuer à fonctionner». Ensuite, «l’ingéniosité» qui illustre la capacité d’un réseau ou d’une chaîne d’approvisionnement à maintenir son activité lors de chocs causés par des événements climatiques extrêmes. Enfin, la «récupération» quo désigne la rapidité d’un système à retrouver son point d’équilibre d’avant-choc.
En conclusion, l’AIE déplore qu’un nombre restreint de pays se préoccupe suffisamment de la sécurité des réseaux et de l’approvisionnement électrique et incite à une plus grande coopération internationale dans ce domaine. «Beaucoup d’entre nous sont confrontés à des défis similaires. Les décideurs politiques, les régulateurs et les opérateurs peuvent apprendre de l’expérience d’autres pays et régions.»