C’était une question tabou qui commence à émerger, enfin, dans le débat public. Le destin d’une partie de l’industrie automobile traditionnelle peut-il être celui de la photographie quand le passage au numérique a balayé les géants de la pellicule qu’étaient Kodak, Fuji et Agfa. Les grands constructeurs automobiles qui ont fait l’histoire de cette industrie pour certains depuis bien plus d’un siècle pourront-ils survivre au passage forcé vers la motorisation électrique?
Car la rupture technologique imposée en quelques années à peine par les institutions européennes et les gouvernements revient en fait à détruire les avantages technologiques et économiques qui leur ont permis au fil des décennies de prospérer. Ces avantages sont même devenus des handicaps. Voilà pourquoi ce sont de nouveaux entrants sur le marché, notamment le Chinois BYD et l’Américain Tesla, qui dominent le marché.
Le groupe automobile le plus endetté
C’est un danger qui n’a rien de théorique. Le géant allemand Volkswagen, qui était encore il y a quelques années le premier constructeur mondial et le modèle à suivre avec sa multitude de marques partageant les mêmes plateformes et groupes motopropulseurs, se retrouve dans une situation commerciale inextricable. Il est loin le temps où Volkswagen annonçait porter à 70% d’ici 2030 la part des voitures électriques dans ses ventes en Europe, et à 50% en Chine et aux Etats-Unis. VW clamait il y a encore trois ans vouloir devenir le numéro un mondial du véhicule électrique. Tesla avait du souci à se faire…
Des ambitions qui étaient à la fois liées à la marche forcée vers la motorisation électrique imposée par les institutions européennes, à l’hubris de l’industrie automobile allemande triomphante et à la volonté d’une nouvelle direction d’utiliser cette transformation pour effacer les stigmates du « dieselgate ». Il y a neuf ans, le 18 septembre 2015, l’agence américaine de l’environnement accusait publiquement Volkswagen d’avoir violé les règles anti-pollution à l’aide d’un logiciel truquant les contrôles pour fausser les résultats des émissions d’oxydes d’azote de ces véhicules. Le constructeur avait placé ce logiciel sur 11 millions de ces véhicules diesel…
Les procédures judiciaires, rappels et dédommagements auront coûté près de 40 milliards d’euros au groupe Volkswagen et démoli la réputation d’un des fleurons de l’industrie automobile allemande. Le passage brutal à l’électrique avec des investissements massifs de plus de 30 milliards d’euros n’a pas rétabli la situation, au contraire. Cela explique pourquoi le groupe Volkswagen est le constructeur automobile (et la société cotée) le plus endetté au monde. Selon le classement établi au début de l’année par le groupe financier Janus Henderson, Volkswagen était endetté à hauteur de 196 milliards de dollars.
10 milliards d’économies
Aujourd’hui, pour la première fois en 87 années d’histoire, le groupe va fermer des usines en Allemagne. Il doit faire au moins 10 milliards d’économies au cours des trois prochaines années ce qui ne peut que se traduire par la fermeture de quelques chaînes de montage sur les dix qu’il a en Allemagne et la perte de milliers d’emplois.
Le groupe Volkswagen est un géant. Il a fabriqué l’an dernier environ 9 millions de véhicules mais à la capacité d’en produire 14 millions et dans le même temps, sa situation commerciale ne cesse de se dégrader. Le mois dernier, les ventes de véhicules électriques ont continué à s’effondrer en Allemagne : -68% par rapport à l’année dernière. Et les parts de marché du groupe Volkswagen en Chine, de loin le premier marché automobile mondial, ne cessent de baisser au bénéfice des constructeurs locaux.
Une situation « alarmante »
Oliver Blume, le patron de Volkswagen, a décrit la situation actuelle du comme « alarmante » dans une interview au magazine Bild. A tel point que le constructeur a résilié l’accord sur la garantie de l’emploi en vigueur depuis trente ans en Allemagne… Il courrait jusqu’en 2029 et ne sera plus en vigueur après le 31 décembre. Jusque-là, au sein du groupe Volkswagen en Allemagne et sauf faute lourde l’emploi était garanti à vie. Les négociations s’annoncent particulièrement compliquées parce que Volkswagen n’est pas une entreprise comme les autres, née en 1937 de la volonté de l’Etat nazi et plus particulièrement d’Adolf Hitler de fabriquer la « voiture du peuple ». La moitié des membres du conseil de surveillance sont des représentants du personnel et le länder de Basse-Saxe détient 20% du capital. Le groupe VW emploie directement (sans compter les sous-traitants) 650.000 personnes dans le monde et 300.000 en Allemagne dont 120.000 pour la marque Volkswagen même.
Si la stratégie tout électrique du groupe Volkswagen tourne aujourd’hui au cauchemar. C’est que les ventes, la technologie et les performances industrielles ne sont pas au rendez-vous. C’est à la fois un problème spécifique à Volkswagen et un problème pour l’ensemble des constructeurs automobiles traditionnels.
Un nouveau modèle de conception et fabrication des véhicules
Ils ont longtemps pu compter sur la complexité et les coûts de développement d’un véhicule à moteur thermique pour limiter l’arrivée de nouveaux concurrents en-dehors de quelques niches que sont les super voitures de sport ou les véhicules les plus luxueux. Il fallait dépenser des milliards de dollars ou d’euros pour concevoir un nouveau modèle et pour construire l’outil industriel (les presses, les ateliers de peinture et les lignes de production) afin de pouvoir fabriquer au moins 150 à 200.000 véhicules par an et rentabiliser les investissements. C’est pour cela que seuls quelques constructeurs automobiles Japonais (Toyota, Nissan et Honda) et un Coréen (Hyundai-Kia) ont été capables depuis la seconde guerre mondiale de devenir des compétiteurs mondiaux bénéficiant pour y parvenir d’aides gouvernementales et de marchés protégés.
Cela était inatteignable avant longtemps par les constructeurs chinois avant que la bascule contrainte et forcée vers l’électrique change la donne. Les modèles de conception traditionnels des véhicules et de fabrications des monuments industriels façonnés par l’histoire sont devenu obsolètes du jour au lendemain. Ils consistaient à se concentrer sur le design, le marketing, la plateforme et la motorisation et à gérer une chaîne d’approvisionnement d’une grande complexité en faisant appel à une masse de sous-traitants qui devaient répondre à des cahiers des charges précis.
Fiasco dans les logiciels
Le contraire de ce que font BYD et Tesla, à savoir l’intégration verticale. Ils fabriquent presque tout, ce qui leur assure une grande agilité et capacité d’innovation et leur permet de dégager plus de profits par véhicule vendu. Tesla fabrique ses propres batteries, ses puces électroniques, ses moteurs et même ses sièges. BYD qui est à l’origine un producteur de batteries produit presque tous les composants de ses modèles à l’exception des pneus et des vitrages.
Pour en revenir à Volkswagen, le groupe a investi énormément dans le développement des systèmes numériques et de conduite autonome de ces véhicules. Il annonçait aussi assurer des mises à jour à distance de ces modèles toutes les 12 semaines. Mais cela a tourné au fiasco.
Le groupe a mis 12 milliards d’euros dans une entité baptisée Cariad et dédiée au développement des logiciels pour l’ensemble des marques allant de e l’aide au stationnement et de la navigation aux systèmes de gestion de la batterie et à l’interaction des voitures avec d’autres appareils et applications. Mais les logiciels des véhicules Volkswagen ont connu de multiples problèmes, pas toujours résolus. Au point que le constructeur a mis 5 milliards de dollars sur la table pour acheter la start-up américaine Rivian et l’utiliser notamment pour ses compétences dans le domaine numérique.