La campagne électorale en cours pour les élections européennes est l’occasion de mesurer combien l’obligation imposée par Bruxelles de passer aux véhicules électriques (neufs) à partir de 2035 est de plus en plus impopulaire et se heurte à des oppositions politiques grandissantes. Même la Cour des comptes européennes dénonçait en avril dernier les conséquences néfastes que les institutions européennes ont volontairement sous estimées sur le pouvoir d’achat des consommateurs et l’industrie automobile.
L’opinion se retourne
Une question devenue éminemment politique comme l’ont illustré les différents débats organisés en France sur les plateaux de télévision entre les têtes de liste. Comme l’écrivent par exemple Les Echos en revenant sur le débat du 26 mai. « L’interdiction de la voiture thermique en 2035 a servi de ligne de partage des eaux politiques, un peu comme le plombier polonais et la directive Bolkestein en 2005. Jordan Bardella a ouvert le feu: « La fin de la voiture thermique, c’est un coup de canif dans le pouvoir d’achat des Français ».Marion Maréchal a suivi, dénonçant « leur délire écologique: remplacer une dépendance pétrolière par une dépendance minière et imposer aux Européens de rouler avec des voitures électriques chinoises alimentées par des éoliennes chinoises ». « La réponse est dans des investissements massifs pour développer des filières européennes », a répliqué Raphaël Glucksmann ». Il y a quelques semaines, la tête de liste des Républicains, François-Xavier Bellamy, évoquait lui « une décision dramatique » au micro de Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio.
Les politiques ont bien mesuré le fait que l’opinion est de moins en moins favorable à la motorisation électrique. Ce que montre une étude publiée au début de l’année par le cabinet Deloitte. Selon elle, seuls 9% des personnes interrogées envisagent en France l’achat d’une voiture électrique. Les autres ne sont toujours pas convaincus par les campagnes publicitaires incessantes pour une technologie jugée coûteuse, avec trop de contraintes d’usage et dont la pérennité interroge encore.
En Allemagne, la CDU-CSU fait campagne contre le véhicule électrique
Emmanuel Macron, qui n’est jamais à l’abri des contradictions, avait lui aussi tenté de caresser l’opinion dans le sens du poil lors d’un entretien aux journaux télévisés de France 2 et de TF1 le 24 septembre dernier en affirmant : « On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore » ! Dans le même temps, la promesse du Président de la République d’instaurer un « leasing social » et de permettre ainsi aux ménages modestes d’acquérir un véhicule électrique en location avec option d’achat pour 100 euros par mois a tourné au fiasco. Le dispositif mis en place avec retard au début de l’année n’aura pas tenu plus de six semaines, emporté par son succès et le coût des subventions pour un Etat surendetté…
Faire de la voiture électrique un objet électoral n’est évidemment pas une spécificité française. En Allemagne, l’AfD (extrême droite) défile au cri de « Le diesel, c’est super », tandis que les conservateurs de la CDU-CSU promettent d’« abolir l’interdiction des moteurs thermiques pour préserver la technologie de pointe allemande ». La CDU-CSU a même lancé un site internet baptisé « Oui à la voiture » permettant aux visiteurs d’affirmer leur opposition à l’interdiction de vente des véhicules à moteur thermique neufs d’ici 2035. De la même façon, les partis populistes comme Fratelli d’Italia en Italie ou la Ligue Vox en Espagne contestent cette décision et entendent la remettre en cause au Parlement européen.
Ni louanges, ni détestation
Cela dit, les disparités de parts de marché de l’électrique au sein de l’Union Européenne sont frappantes et extrêmes montrant que l’objectif imposé par les institutions européennes est sans doute impossible à atteigndre. L’électrification du parc neuf atteint ainsi 30% en Suède, 17,5% en France et moins de 12% en Allemagne. Mais elle ne concerne que 4,4% du marché en Espagne, 3,2% en Italie, 0,3% en Pologne et 0,2% en République tchèque. Et la part de l’électrique est en légère baisse sur le Vieux Continent à 13,2% en avril 2024, contre 14,6% en avril 2023.
En fait, le véhicule électrique à batteries ne mérite ni les louanges, ni la détestation dont il fait l’objet. C’est un outil qu’il faut juger comme tel. En faire l’objet d’un affrontement quasi-idéologique est absurde. Il présente des avantages et des inconvénients qu’il faut bien comprendre et mesurer que ce soit en termes d’empreinte carbone, d’usage, de coût et d’impact économique et social.
C’est d’ailleurs ce que font de plus en plus les consommateurs et cela explique le ralentissement sensible de la croissance des ventes de voitures électriques un peu partout en Europe et même dans le monde, à l’exception de la Chine, et l’extrême corrélation de ce marché avec le niveau des aides et des subventions. Leur arrêt en Allemagne à la fin de l’année dernière a provoqué un effondrement des ventes. Le marché semble ainsi avoir atteint une sorte de plateau passé le succès initial auprès des technophiles aisés qui s’enorgueillissent d’être des précurseurs, des porteurs de signe et plus encore des flottes d’entreprises. Les véhicules électriques doivent maintenant convaincre le cœur du marché ce qui est bien plus difficile.
Empreinte carbone non négligeable, coûts élevés, impact économique et social
Maintenant sur le fond, il est important d’être lucide. Son empreinte carbone n’est pas nulle, loin de là, parce que sa construction, notamment celle des batteries, se traduit par des émissions de gaz à effet de serre très supérieures à celles des véhicules à motorisation thermique. Cela dit, au cours de son existence et s’il est notamment rechargé avec de l’électricité bas carbone il affiche au bout de quelques dizaines de milliers de kilomètres un avantage certain sur son concurrent thermique. En outre, il limite les émissions de polluants atmosphériques ce qui est précieux dans les agglomérations.
En matière d’usage, et cela même si l’autonomie des véhicules s’améliore au fil des ans, il est plus compliquée que celui d’un véhicule thermique. Notamment parce qu’il faut prendre en compte systématiquement la contrainte de la recharge et le manque d’infrastructures publiques pour cela.
Pour ce qui est des coûts, ils sont sensiblement plus élevés à l’achat, relativement moins à l’usage même si cela dépend étroitement du prix de l’électricité et problématiques si on prend en compte d’éventuelles réparation importantes et la revente sur le marché de l’occasion.
Enfin, l’impact économique et social du passage contraint et forcé à l’électrique a été mal appréhendé et volontairement négligé par les institutions européennes et les gouvernements obnubilés par leurs engagements climatiques. Fait dans la précipitation et sous la domination de l’industrie chinoise, cette transition met clairement en péril l’industrie automobile européenne et accentue la fracture entre les métropoles et les zones dites périphériques où vivent en général les populations les plus modestes. Cela explique en partie le succès qui se dessine des partis politiques dits populistes lors des prochaines élections européennes. Ils mettent en avant leur opposition à une transition trop rapide, trop brutale et trop discriminante socialement.