Depuis des années, le réchauffement climatique était plutôt considéré comme une bonne nouvelle à Moscou. Avec la fonte de la banquise, il ouvre l’accès à l’arctique et à ses richesses pétrolières et minières et augmente potentiellement les surfaces de terres cultivables. Il pourrait, par exemple, rendre accessible l’immense gisement de gaz de Chtokman dans la mer de Barents, à 500 kilomètres des côtes au nord de la péninsule de Kola. Mais les dirigeants russes sont en train de changer d’avis. Ils viennent de se rendre compte du danger que présente la fonte du permafrost pour l’exploitation en cours et à venir des champs pétroliers et gaziers, la principale richesse du pays et sa première source de devises. En résumé, comme l’écrit l’expert Julian Lee sur Bloomberg, la Russie devient «verte» pour continuer à exploiter le pétrole et le gaz qui contribuent au réchauffement climatique…
La Russie, le quatrième pays qui émet le plus de gaz à effet de serre, vient ainsi de ratifier le 23 septembre l’accord de Paris sur le climat qu’elle avait signé en 2016. Le réchauffement climatique s’est traduit au cours des derniers mois par une fonte accélérée du permafrost ou pergélisol. Il s’agit d’une couche de terre, de roche ou de sédiments qui reste gelée en permanence et recouvre une bonne partie du nord de la Russie et des régions arctiques. C’est dans les zones du permafrost que se trouvent les champs pétrolier et gaziers russes, leurs infrastructures et leurs projets de développement.
Menace «pour la stabilité structurelle et les capacités fonctionnelles»
Selon le rapport du Giec du 24 septembre sur les Océans et la Cryosphère, les zones discontinues de permafrost pourraient voir leur capacité à supporter des pressions se réduire de 50% à 75% pendant la période 2015-2025 en comparaison de 1965-1975. Il s’agit d’une véritable menace pour «la stabilité structurelle et les capacités fonctionnelles» des infrastructures pétrolières et gazières souligne le rapport. La plus grande menace se trouve dans les régions où il y a beaucoup de glaces et de sédiments. La péninsule de Yamal dans l’océan arctique, qui abrite les deux plus grands projets gaziers russes, et le projet de port pétrolier de Novy sont directement concernés. Mais le problème pourrait être encore plus vaste, toujours selon le Giec. «Près de 45% des champs pétroliers et gaziers de l’arctique russe se trouvent dans les zones les plus menacées», ajoute le rapport.
Les derniers mètres du permafrost, la couche considérée comme «active», qui gèle et dégèle selon les saisons, devient instable pendant les mois les plus chauds. Les infrastructures (les routes, les voies de chemin de fer, les usines, les pipelines…) ont été construites pour reposer sur des sols profonds qui restent gelés en permanence. Mais le réchauffement a pour conséquence que la zone «active» s’étend en profondeur et que le sol ne peut plus supporter ce qui a été construit. Les fondations construites dans la région du permafrost ne peuvent plus supporter les charges comme elles le faisaient dans les années 1980 résume un rapport de 2017 du Arctic Council’s Arctic Monitoring and Assessment Program (AMAP).
Et il s’agit d’une évolution irréversible. Selon l’AMAP, même si les émissions de gaz à effet de serre sont contenues selon l’accord de Paris de 2015, cela «stabilisera seulement le permafrost proche de la surface à environ 45% en-dessous de ses niveaux actuels». Ne rien faire contre le réchauffement pourrait devenir une catastrophe pour l’industrie pétrolière et gazière russe. On comprend que Vladimir Poutine commence à s’inquiéter.