Selon le dernier rapport du GIEC, rendu public en août, la température moyenne à la surface de la terre a augmenté depuis 1850 entre 0,8 et 1,3 degré Celsius. Le niveau des océans s’est élevé en moyenne entre 15 et 25 centimètres depuis 1901. Ces chiffres justifient un peu plus les engagements unilatéraux prix pas les gouvernements, notamment européens de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050. Ils vont évidemment les réitérer à l’occasion de la grande messe médiatique de la COP 26 en novembre en Écosse.
Cela dit, les gouvernements en question et les militants qui leur demande sans cesse d’en faire plus n’ont pas la moindre idée des conséquences économiques, sociales et politiques de la transition. La situation de l’industrie automobile en est un parfait exemple. Elle traverse, et ce n’est que le début, l’une des plus graves crises existentielles de son histoire. Le passage à la motorisation électrique va se traduire par la suppression dans le monde de millions d’emplois et très vraisemblablement la disparition de constructeurs et de marques automobiles. Parce que la rupture technologique imposée par les gouvernements nécessite des dizaines de milliards d’investissements à réaliser en urgence et que tous les constructeurs ne seront pas capables de suivre. Et parce qu’il est plus facile techniquement de construire et d’entretenir un véhicule électrique qu’un véhicule à moteur thermique. Les usines et les garages auront besoin de beaucoup moins de main d’œuvre.
Baisse de pouvoir d’achat
Sur la question de la transition, les propos, les programmes et les promesses des gouvernements, des grandes institutions internationales et des responsables de partis politiques de presque tous les horizons idéologiques, sont finalement très proches. Il existe de fait un consensus. Il consiste en quatre éléments. Premièrement, les émissions de gaz à effet de serre et notamment de CO2 ont un impact significatif sur le climat. Deuxièmement, nous devons agir rapidement pour réduire les émissions et atteindre la neutralité carbone en 2050. Troisièmement, nous avons déjà fait des progrès significatifs. Quatrièmement, les étapes que nous allons devoir franchir dans les prochaines années vont apporter beaucoup de possibilités et d’opportunités grâce à des investissements massifs.
Pour les deux premiers points, la grande majorité des experts les approuve. Cela dit, les prophéties apocalyptiques complaisamment et sans cesse relayées par les médias correspondent assez peu aux scénarios les plus solides. Mais la fin du monde fait vendre. Les deux semaines en novembre de la COP 26 vont encore nous en faire la démonstration.
Sur le troisième point, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et même si cela provoque en général des réactions outragées des écologistes, la France est assez bien placée dans tous les classements et comparaisons internationales… Il est vrai que les gouvernements n’y sont pas pour grand-chose. Cela tient au fait que nous avons une électricité presque totalement décarbonée à la suite d’une politique d’investissement massif dans le nucléaire engagée il y a cinquante ans et parce que la fiscalité automobile a contraint les Français à acheter de petites voitures et des diesels qui émettent relativement peu de CO2.
Le dernier point est beaucoup plus problématique. Répéter sans cesse que les mesures, réglementations et contraintes imposées pour réduire les émissions seront gagnantes pour la société et l’économie ne résiste pas à un examen sommaire. Même Daniel Cohn-Bendit le reconnaît dans une interview donnée aux Échos à la fin du mois d’août en soulignant que: «la transition écologique en douceur, cela n’existe pas».
Contrairement aux discours officiels que l’on peut juger, au choix, démagogiques, naïfs ou mensongers, la transition énergétique n’est pas et ne sera pas «une formidable opportunité» pour la croissance et l’emploi. Au moins avant de nombreuses années. Et cela pour plusieurs raisons.
La première est qu’elle va et a déjà commencé à renchérir les coûts de l’énergie. Comme l’activité économique se résume en quasi-totalité à de la consommation et des échanges d’énergie, cela signifie tout simplement un appauvrissement généralisé…
L’économie, ce sont des machines qui fonctionnent avec de l’énergie
Une bonne façon de comprendre consiste à visualiser le fait que l’énergie sert à faire fonctionner des machines. La croissance économique, c’est un parc de machines en fonctionnement qui augmente. Il n’y a pas une activité économique dans le monde moderne qui ne soit pas dépendante d’une façon ou d’une autre des machines. Elles fabriquent les vêtements que nous portons, les aliments que nous mangeons, les équipements électroniques que nous utilisons. Elles sont les moyens de transport que nous empruntons.
La civilisation moderne s’est construite depuis plus de deux siècles en parvenant à utiliser à une échelle sans précédent des stocks considérables d’énergie emmagasinés pendant des centaines de millions d’années par notre planète. Le char- bon, le pétrole et le gaz. Nous en consommons aujourd’hui dix milliards de tonnes par an et dans les faits leur coût d’exploitation n’a cessé de baisser au fil des décennies. Cela a per- mis une augmentation extraordinaire de la production agricole et de la population et les révolutions industrielles et des services. Tout cela repose encore à plus de 80% sur les énergies fossiles.
Avec une énergie plus coûteuse, bien plus coûteuse, nous n’échapperons pas à une baisse moyenne de pouvoir d’achat. Même si l’amélioration de l’efficacité énergétique, la capacité à utiliser moins d’énergie pour obtenir le même résultat, per- mettra de compenser, au moins en partie. Mais nous aurons aussi besoin inéluctablement de plus d’électricité. L’électrification des usages, dans les transports, l’industrie, la chaleur, est une des composantes majeures de la transition.
Après l’avoir longtemps nié et même caché dans leurs pré- visions et études, les agences gouvernementales impliquées dans l’énergie ont fini par reconnaître qu’il nous faudra bien beaucoup plus d’électricité. La seule prise en compte des be- soins résultant du développement de l’hydrogène vert, fabriqué par électrolyse avec de l’électricité décarbonée, donne le vertige.
L’Union européenne s’est donnée comme objectif d’avoir sur les routes d’ici à 2030, 100.000 camions fonctionnant avec des piles à combustible et de l’hydrogène décarboné. Le véhicule électrique à batteries n’est pas du tout adapté aux mobilités lourdes car il contraint d’embarquer et de recharger des tonnes de batteries. Au regard des 3 millions de camions qui circulent en Europe, l’objectif de 100 000 camions à l’hydrogène semble raisonnable et même modeste. C’est moins le cas quand on regarde la quantité d’électricité décarboné qu’il faut en théorie pour produire ce carburant.
Pour alimenter 100.000 camions de plus de 16 tonnes parcourant en moyenne 160.000 kilomètres par an, il faut 92,4 TWh/an (Térawattheures par an), soit 15 réacteurs nucléaires ou 910 km2 de panneaux solaires. Si on veut remplacer la totalité du parc de poids lourds fonctionnant avec des moteurs diesels en faisant rouler à la place 3 millions de camions à l’hydrogène, il faudra alors 2.772 TWh/an, soit 45 réacteurs nucléaires ou 27.300 km2 de panneaux solaires!
Taxe carbone
Nos habitudes de consommation vont changer radicalement. Nous avons réussi depuis le début du siècle en Europe et en France à faire baisser notre empreinte carbone tout en continuant à connaître, hors pandémie et crise financière, une certaine croissance économique. Mais c’est en partie une illusion. Cela tient notamment au fait que nous avons délocalisé les productions les plus consommatrices d’énergie en Chine et ailleurs dans le monde.
L’Europe a d’ailleurs l’intention de mettre en place dans les prochaines années une taxe carbone, sans évidemment utiliser ce mot, aux frontières pour ne pas fausser la concurrence avec les entreprises européennes qui seront soumises à des contraintes de plus en plus fortes. Cela ne peut se traduire que par une augmentation sensible des prix de bon nombre de produits manufacturés.
Processus de destruction création
Comme toute rupture technologique, la transition va par définition faire disparaître un certain nombre d’activités industrielles et de services et en promouvoir de nouvelles. Mais dans le processus de destruction création, cher à Joseph Schumpeter, il y a toujours un laps de temps incompressible entre la disparition d’activités et la création de nouvelles.
Et il faut que les efforts d’investissements et de reconversion soient économiquement pertinents. Qu’ils ne détruisent pas de la richesse. Or, l’efficacité énergétique et économique des technologies promues à coup de subventions massives est souvent… problématique. Cela signifie des baisses de productivité, moins de création de richesse et un appauvrissement pour la collectivité.
Certes, on peut mesurer depuis plusieurs années l’impact du passage à la production de masse des technologies de la transition. Le coût de fabrication des panneaux solaires et des batteries lithium-ion a considérablement baissé. Mais rien ne garantit que cela va durer, notamment parce que les besoins en matières premières et métaux stratégiques vont être de plus en plus difficiles à satisfaire. Les cours des matières premières se sont envolés depuis le début de l’année, tout comme ceux des énergies fossiles. Or, il faut des énergies «sales» pour fa- briquer les équipements de la transition.
Dire la vérité aux contribuables, aux consommateurs et aux salariés
La transition s’accélère. L’interdiction dès 2035 maintenant en Europe de la commercialisation de véhicules thermiques neufs le prouve. Il s’agit d’un bouleversement économique, techno- logique et social majeur comme l’humanité n’en a sans doute jamais connu à une telle échelle et sur un laps de temps aussi court. On ne remplace pas 10 milliards de tonnes de carburants fossiles consommés par an comme cela.
Nous devons investir massivement dans la recherche, le développement, l’innovation. Nous devons améliorer les technologies existantes dans les renouvelables, éolien, solaire mais aussi hydraulique et géothermie. Les technologies de la transition dans les transports, notamment à longue distance et de marchandises, et dans l’industrie sont balbutiantes. Il faut créer de toute pièces des infrastructures pour produire, distribuer et utiliser l’hydrogène. Il faut renforcer considérable- ment les réseaux électriques, être capable de stocker l’électricité à grande échelle, de capturer le CO2. Les possibilités ouvertes par les nouvelles technologies nucléaires (fusion, réacteur au thorium, réacteur à neutrons rapides) sont fascinantes mais elles ne verront pas le jour avant de nombreuses années. Il y a des raisons d’être optimiste. Au fil du temps, certains de ses investissements apporteront des résultats et des bénéfices spectaculaires.
Mais nous n’y parviendrons pas si nous cachons aux contribuables, aux salariés et aux consommateurs les conséquences des politiques mises en place. La raison d’être de la transition énergétique n’est pas de créer des emplois et de la croissance. Elle est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de réussir à se passer progressivement des énergies fossiles.
Si les dirigeants politiques n’ont pas le courage de le dire, de le reconnaître et de préparer ainsi les populations, ils vont au devant de révoltes politiques et sociales. Tout le monde sait que le principal obstacle à la transition n’est pas techno- logique ou même financier, il est social.
Léon Thau