Du point de vue de la transition énergétique, il y a des raisons de s’en réjouir. L’industrie pétrolière du Venezuela se trouve dans une telle situation qu’elle est devenue incapable d’augmenter sa production à moins d’investissements considérables que le pays est incapable de faire et qu’aujourd’hui aucun investisseur étranger ne fera. Du point de vue de la population du pays qui a sombré dans la misère par la faute d’un régime politique dont le modèle était celui de Cuba et de l’URSS des années 1960 et qui aurait pu bénéficier d’une manne pétrolière pendant des décennies, il s’agit d’une tragédie.
Les investissements pétroliers dans le monde sont en forte baisse. Les grandes compagnies pétrolières ne veulent plus et ne peuvent plus mener de grands projets qu’elles ont du mal à financer. De plus, personne n’accorde aujourd’hui la moindre confiance au gouvernement vénézuélien. Si on y ajoute la perspective dans quelques années du peak oil (pic pétrolier), le maximum de la consommation mondiale, difficile de justifier des investissements de centaines de milliards de dollars sur des décennies. Même des Etats indifférents aux pressions pour limiter les investissements dans les énergies fossiles comme la Chine, la Russie et l’Inde ne se risqueront pas dans une aventure vénézuélienne. Il faut y ajouter le fait que les installations pétrolières vénézuéliennes sont aujourd’hui parmi les plus polluantes existantes.
Entre 300 et plus de 500 milliards de barils de réserves exploitables
Le Venezuela possède pourtant les plus importantes réserves pétrolières au monde. Elles sont évaluées à au moins 304 milliards de barils exploitables. De quoi à elles seules alimenter la consommation mondiale pendant au moins huit ans! Et encore, il y a un peu plus de dix ans, le US Geological Survey estimait les réserves exploitables du pays à plus de 500 milliards de barils!
Sur le plan technique, la situation est bien moins favorable, à fortiori pour un pays qui a chassé ces meilleurs techniciens et les compagnies étrangères. Ces réserves colossales sont avant tout constituées, à 77% pour être précis, de pétrole extra lourd provenant de la ceinture de l’Orénoque au nord est du pays. Ce pétrole a une viscosité très élevée et contient beaucoup de souffre, d’azote et autres polluants contaminants. Son exploitation et son raffinage se traduisent par des émissions très importantes de gaz à effet de serre. Pour extraire ce pétrole, il faut creuser de nombreux puits horizontaux et injecter du sable pour forcer le pétrole à remonter à la surface. Une fois extrait, ce pétrole doit être mélangé à des qualités plus légères ou à des adjuvants pour être plus facilement transporté et raffiné.
Le processus est tellement «sale» que Total Energies et Equinor ont décidé cette année de ne plus y participer et de céder leurs parts, à perte, dans la joint venture nommée Petrocedeno permettant de mener ce processus à l’actionnaire principal compagnie nationale PDVSA (Petroleos De Venezuela SA). Total Energies en avait 30% et Equinor 10%.
Une étude réalisée en 2018 par l’Université américaine de Stanford sur 9.000 puits dans 90 pays avait conclu que l’industrie pétrolière vénézuélienne était la deuxième plus polluante au monde par quantités produites derrière celle de l’Algérie.
Le pétrole est pourtant indispensable au Venezuela. Il représente 90% de ses exportations. Il lui a permis dans les années 1960 et 1970 d’avoir le revenu par habitant le plus élevé de toute l’Amérique latine. Le Venezuela pourrait produire aujourd’hui en théorie 6 millions de barils par jour, plus de sept fois ce qu’il extrait aujourd’hui. Le Venezuela a été l’un des rares pays exportateurs de pétrole dont la production n’a cessé de décliner au cours des dernières décennies. A la fin de l’année 2018, avant même les sanctions imposées par les Etats-Unis, le Venezuela ne produisait plus que 1,2 million de barils par jour, le tiers de sa production de 1998 et l’équivalent de ce que le pays était capable de faire dans les années 1940…
L’effondrement de PDVSA (Petroleos De Venezuela SA)
Cette histoire se résume au naufrage de PDVSA (Petroleos De Venezuela SA), la compagnie pétrolière nationale. En 2003, après une grève du personnel, le président Hugo Chavez a décidé de licencier près de 20.000 personnes dont la grande majorité des cadres, des ingénieurs, des géologues. La société a perdu alors l’essentiel de son savoir-faire et de ses compétences. PDVSA est devenue une société sous contrôle politique, le bras armé du gouvernement pour distribuer des subsides et conclure des alliances internationales révolutionnaires. Rapidement PDVSA a commencé à rencontrer des difficultés financières. La corruption, les cadeaux, l’augmentation des coûts de fonctionnement et la perte d’efficacité de la production ont mis la compagnie en danger.
Le gouvernement vénézuélien, au lieu de remettre de l’ordre dans la gestion de PDVSA, a alors obtenu des prêts importants de la Russie et de la Chine pour la renflouer. Ces crédits étaient remboursés en pétrole, réduisant d’autant les capacités d’exportation. Comme en plus à partir de 2005, le gouvernement de Chavez a exproprié les pétroliers privés étrangers, plus aucun investissement n’a été fait dans les infrastructures du pays.
Il est difficile de voir aujourd’hui comment PDVSA, compte tenu du passé et de l’effondrement actuel de l’économie du pays, peut obtenir les moyens de reconstruire et réparer ses infrastructures. Sans compter le fait que le pétrole extra lourd et très polluant de ses réserves posent des problèmes supplémentaires. En plus les investissements nécessaires sont considérables. Selon PDVSA, il faudrait 58 milliards de dollars pour revenir au niveau de production de 1998 de 3 millions de barils par jour. Mais la plupart des experts indépendants estiment qu’il faudrait plutôt 200 milliards de dollars… C’est aussi le calcul de l’opposition au président Nicolas Maduro menée par Juan Gaido. Francisco Monaldi, expert du Venezuela au Baker Institute, considère que 110 milliards de dollars d’investissements pourraient permettre de ramener dans dix ans le niveau de production à 2,5 millions de barils par jour. Seules des compagnies pétrolières occidentales auraient en théorie les compétences techniques et les moyens financiers pour réaliser de tels investissements. Mais elles ne le feront pas. Le pétrole restera dans le sous-sol du pays pour l’éternité.