Le Parlement européen a voté allègrement une loi interdisant la vente de véhicules neufs à moteurs thermiques à partir de 2035. Le noble objectif avancé est de décarboner progressivement à 100% le secteur des transports en commençant par les véhicules particuliers. L’interdiction est facile à décider et à annoncer sans que la solution de remplacement soit évidente. La doxa du jour fait la promotion d’un tout-électrique à batteries et l’on voit naître un peu partout en Europe des gigafactories de batteries à grand renfort d’autocongratulations. Elles sont vraiment injustifiées.
Comment très mal poser un problème
Les promoteurs de la solution véhicules électriques à batteries (BEV) s’appuient sur trois données incontestables. Les émissions de CO2 à l’échappement d’un BEV sont nulles. Les émissions polluantes (HC, CO, NOx et particules) à l’échappement d’un BEV sont nulles. Le rendement énergétique d’un moteur électrique (typiquement 85%) est bien supérieur à celui d’un moteur à combustion interne (typiquement 30%).
Tout cela est exact mais n’adresse qu’une partie du problème à traiter. Et cela va coûter extrêmement cher et retarder l’adoption de meilleures solutions, rendant encore plus difficile la décarbonation des transports.
Car il faut considérer l’ensemble du système de mobilité pour en évaluer l’empreinte carbone réelle via une analyse des cycles de vie. Il faut prendre en compte les empreintes carbone attachées à :
– La fabrication des batteries en incluant les approvisionnements en métaux rares, y compris leur extraction.
– La fabrication des véhicules comprenant l’énergie consommée par les usines en incluant les approvisionnements en matériaux : acier, cuivre, matériau de synthèse (plastiques et composites).
– L’utilisation dont le carburant consommé en service : électricité, carburants liquides, gaz.
– Le recyclage du véhicule en fin de vie y compris celui des batteries.
– La fabrication des moyens de production des véhicules.
On abîme la planète quand on roule en voiture électrique chinoise
Le sujet est complexe, en particulier en raison de la variété de situations des pays où chaque étape de fabrication est susceptible d’intervenir. On rappelle quelques chiffres concernant les empreintes CO2 de l’énergie selon les moyens de production de cette énergie. La production totale d’électricité est responsable de 42,5% des émissions mondiales de CO2. Dans ce total, 73% proviennent des centrales à charbon. Par kilowattheure (kWh) produit, une centrale à charbon émet 820 g de CO2, contre 490 g pour une centrale au gaz.
Pour les énergies renouvelables telles que l’hydraulique, l’éolien et le solaire, photovoltaïque comme thermique, les seules émissions de CO2 sont celles liées à la construction des installations. Ainsi, un kWh de solaire photovoltaïque émet entre 50 et 150 g de CO2 selon le lieu de fabrication des panneaux photovoltaïques, un kWh éolien émet de 3 à 22 g de CO2, et 1 kWh hydraulique émet 34 g de CO2. Quant au nucléaire, même en tenant compte du futur démantèlement des centrales vieillissantes, 1 kWh ne représente que 3 g de CO2.
Si l’on en vient maintenant aux pays où les choses se passent, pour pouvoir apprécier objectivement la situation, on doit donner quelques chiffres concernant l’empreinte CO2 du MWh électrique dans les différents pays industrialisés : Pologne 781 g CO2/kWh, Allemagne 430 g CO2/kWh, Italie 340 g CO2/kWh, Union européenne 317 g CO2/kWh, France 60 g CO2/kWh, Chine 940 g CO2/kWh, Inde 820 g CO2/kWh et enfin États-Unis 820 g CO2/kWh. Venons-en maintenant aux matériaux (seulement les plus courants) qui sont à prendre en compte dans l’analyse systémique en cycle de vie : aluminium 190 MWh/m3, zinc 180 MWh/m3, cuivre 140 MWh/m3, acier 60 MWh/m3, béton 500 kWh/m3.
Est-on bien sûr que l’on n’abîme pas la planète quand on roule en Allemagne (voire en France) avec une voiture électrique chinoise ?
La question lancinante de la dette de CO2 des batteries
L’empreinte CO2 d’une batterie est très variable selon le pays de fabrication. En analysant exhaustivement les procédés, depuis l’extraction des matériaux rares jusqu’au recyclage, on trouve 250 g CO2/Wh comme empreinte carbone du mix énergétique mondial (le double si l’on se situe en Inde ou en Chine, et un peu moins de la moitié si la batterie est purement française, ce qui n’est jamais le cas, puisque nous ne disposons pas des matériaux dits critiques).
Une batterie de 100 kWh aura une empreinte CO2 de 25 tonnes au titre de sa fabrication. Pour situer les choses, un véhicule thermique qui émet 125 g CO2/km devra rouler 200.000 km pour émettre la même quantité de CO2. C’est ce que l’on appelle la dette CO2 de la batterie à sa naissance.
Pour compléter, il faut inclure la consommation électrique pour recharger la batterie et l’empreinte CO2 du kWh électrique dans le mix du pays où le véhicule est utilisé. Cela se traduit pour un véhicule de moyenne gamme par les chiffres suivants : il émet en Inde 370 g CO2/km, en Chine 258 g CO2/km, aux États-Unis 202 g CO2/km, en Angleterre 189 g CO2/km, en Italie 170 g CO2/km, en France 93 g CO2/km et en Suède 81 g CO2/km.
Les gros véhicules électriques à batteries sont une hérésie
Ce qui est sûr, c’est qu’un véhicule utilisant une batterie de 100 kWh ne devient jamais compétitif en termes d’empreinte carbone par rapport au même véhicule thermique dans de nombreux pays du monde. Dans la situation où l’électricité serait décarbonée au maximum, la bascule, qui place le véhicule électrique devant le véhicule thermique en termes de réduction de l’empreinte CO2, peut être obtenue pour un petit véhicule équipé d’une batterie de 20 kWh face à un véhicule thermique équivalent qui émet 120 g CO2/km aux alentours de 50 000 km.
Pour un véhicule équipé d’une batterie de 100 kWh, le basculement se produira aux alentours de 150 000 km. Si, dans la comparaison, le rendement du moteur thermique venait à s’améliorer de 15 %, ce qui est envisageable (lire page 40), le basculement peut ne plus jamais être atteint nulle part. Contrairement aux publicités faites pour les gros véhicules électriques à batteries, ils ne devraient plus avoir droit de cité dans un monde qui voudrait devenir propre !
Si le véhicule thermique utilise un carburant de synthèse décarboné, il n’y a plus de débat
Ainsi, il est faux de considérer que l’empreinte CO2 d’un véhicule électrique est très faible, même lorsque l’électricité est fortement décarbonée. Et si le moteur thermique améliore son rendement de 30 %, le véhicule thermique aura une empreinte carbone plus faible que le véhicule électrique équivalent, même dans un pays dont le mix énergétique est fortement décarboné comme la France. Évidemment, si le véhicule thermique utilise un carburant décarboné (type biocarburant ou carburant de synthèse), il n’y a plus le moindre débat…
Sur le seul critère de l’empreinte carbone, le véhicule électrique n’est pas vertueux contrairement à ce qui est asséné en permanence. Seuls les petits véhicules urbains à faible autonomie peuvent prétendre à une amélioration en incluant les émissions polluantes (ces émissions étant majoritairement dues à d’autres sources que le groupe motopropulseur : pneumatiques, freins, route, environnement routier) pour lesquelles la masse des véhicules est le principal facteur influent. Et là encore, le véhicule électrique à batteries est loin d’offrir une réponse satisfaisante.
Le boulet du poids des batteries
D’une façon générale, les batteries des véhicules électriques sont lourdes. C’est un inconvénient majeur, notamment en regard de l’autonomie. Une petite Peugeot e-208 pèse 1,5 tonne, une Tesla S dépasse les 2 tonnes et le nouveau Volvo EX90 avoisine les 3 tonnes. Cela s’explique, entre autres, par le poids des batteries qui tend vers les 300 kg pour une citadine et les 600 kg pour les gros modèles. La batterie d’une Tesla S 85 kW pèse 540 kg, plus du quart du poids de la voiture. Et il y a un effet boule de neige sur la masse du véhicule nu qui ne comprend pas la batterie, freins, suspensions…
Le poids est un problème au regard de la charge utile du véhicule. Dans une Peugeot 508 de 1 535 kg, 4 passagers de 100 kg chacun représentent 26 % de la masse totale. Avec une Tesla 3 Performance de 1 844 kg (85 kWh de 540 kg), ces mêmes passagers représentent 21,7 % de la masse totale. C’est ce qui fait le succès des vélos électriques et condamne les avions électriques.
De plus, les émissions polluantes à l’échappement (véhicule thermique ou électrique) sont devenues négligeables. Ce sont les émissions non thermiques qui prédominent : pneumatiques, systèmes de freinage, route… Et ici, le poids du véhicule est déterminant dans sa performance. Les véhicules électriques plus lourds (de 300 à 500 kg pour la batterie) sont fortement pénalisés par rapport aux véhicules thermiques équivalent.
La difficile équation du coût des batteries
Le prix des batteries reste un obstacle majeur au développement des véhicules électriques plus encore que leur poids. Cela résulte du coût des matériaux rares ou critiques indispensables à leur fabrication. Les batteries ne pourront se développer que si l’on arrive à les affranchir du besoin de ces matériaux, mais ce sera vraisemblablement au détriment du poids. Une équation qu’il est quasiment impossible de résoudre.
Les analystes estiment que la production de véhicules électriques mondiale va passer de 8 millions actuellement à 116 millions d’ici la prochaine décennie. En dépit du caractère spectaculaire de ces chiffres, il faut se souvenir qu’il y a 1,4 milliard de véhicules aujourd’hui dans le monde et surtout savoir qu’il n’y aura pas du lithium et du cobalt pour tout le monde.
Le problème des matières premières critiques
Les matériaux dits « rares » sont les métaux suivants : lithium, cobalt, nickel, manganèse et graphite (qui n’est pas un métal). La production du cobalt s’effectue grâce à l’électrolyse. Il faut extraire 500 tonnes (voire 1 000 tonnes) de minerai pour 1 tonne de cobalt. Essayons de situer les enjeux en se limitant à la France par exemple.
En France, il y a 38,3 millions de véhicules particuliers.
- L’équivalent en électrique, avec un usage du cobalt à 2 % (soit 6 kg par véhicule, et on en est loin aujourd’hui pour la plupart) nécessiterait pour une autonomie de 400 km par véhicule, environ 229 600 tonnes de cobalt.
- Puis avec 60 % de nickel dans les batteries actuelles, pour les mêmes conditions, il faudrait 6 894 000 tonnes de nickel.
- Réaliser une transition au tout-électrique en dix ans en se basant sur les meilleures batteries disponibles aujourd’hui revient à utiliser un tiers de la production mondiale de nickel, chaque année, juste pour les véhicules particuliers français (hors utilitaires, bus, etc.), cela en supposant cette production constante sur une décennie.
En 2021, la production mondiale de cobalt a atteint son niveau record avec 170 000 tonnes. La République démocratique du Congo en fournit 70 %. Les batteries sans cobalt existent et commencent à être utilisées. Pas pour des raisons humanitaires… mais pour des raisons économiques. Le cobalt et le nickel sont devenus très chers.
Une solution pour fabriquer des batteries plus abordables consiste à remplacer le nickel et le cobalt utilisés pour la cathode par du lithium métallique du fer et du phosphate (phosphate de fer lithié exactement) mais à volume et poids équivalent, les capacités électriques sont deux fois moindres. Des batteries plus lourdes pour des véhicules plus lourds à autonomie égale…
La batterie au sodium charge vite, est faiblement sensible aux variations de température, peut supporter 5 000 cycles, est facile à recycler, est plus écologique mais… a une capacité énergétique deux fois plus faible que la batterie au lithium.
Des progrès ont toutefois été faits en matière d’économie des matériaux rares. Les premières batteries lithium embarquaient 33 % de cobalt (nickel 33 %, cobalt 33 %, manganèse 33 % appelée NCM 33). Les batteries au lithium actuelles ont en moyenne une composition NCM 811 : 80 % nickel – 10 % de cobalt –, 10 % manganèse. Une batterie de voiture électrique pèse environ 300 kg pour une moyenne de 75 kWh. La plupart des voitures électriques actuelles embarquent au minimum 50 kg de cobalt.
La durée de vie des batteries
La durée de vie d’une batterie de véhicule électrique se mesure en fonction des cycles de charge et décharge. On estime qu’une technologie lithium-ion peut supporter entre 1 000 et 1 500 cycles. Cela correspond à une longévité d’environ dix ans, selon le modèle électrique, pour 15 000 à 30 000 km parcourus par an.
L’usure des batteries et la perte de capacité viennent de la solidification des ions lithium. Ils réagissent avec les matériaux qui constituent les anodes et cathodes de la batterie sur lesquels les ions viennent se déposer au fil des charges et des décharges limitant les performances de la batterie de façon irréversible en termes de capacité.
Que ce soit une charge à 100 % ou une décharge à 100 %, le risque de cristallisation de ces ions (la solidification) est élevé. Mais il y a une nuance : la batterie n’est jamais inactive. Elle se décharge naturellement au fil du temps. Donc une charge à 100 % ne restera jamais réellement à 100 %. En revanche, une décharge à 100 %, elle, ne connaîtra pas d’effet lent inverse. Une batterie ne se recharge pas lentement. Les ions restent donc longtemps du même côté et vont donc lentement se solidifier, créer des dendrites et la batterie sera alors morte, voire dangereuse.
- Dans des conditions idéales, une batterie actuelle offre 1 000 cycles de durée de vie. Soit, pour 350 km d’autonomie, 350 000 km avant remplacement de la batterie. Encore faut-il qu’elle ne soit pas stressée (surchauffe, charges et décharges intenses).
- L’équilibre parfait de stockage du lithium est forcément de 50 % de charge. On a ainsi autant d’électrons d’un côté que de l’autre. C’est l’état le plus stable possible.
- Pour éviter tout souci psychologique, certains constructeurs (d’appareils électroniques) affichent des 0 % et des 100 % alors que les capacités ne montent pas au-delà de 80 % et ne descendent pas sous les 20 %.
- En transport électrique, on parle de capacité de batterie « utile » (la charge max réelle) et nominale (la charge max théorique qu’on évite d’atteindre pour ne pas user prématurément la batterie).
- On peut utiliser d’anciennes batteries comme générateurs autonomes, il faut néanmoins veiller à l’usure des anodes et cathodes et au développement des dendrites.
- La perte de capacité vient de la réaction entre les atomes de lithium ioniques qui se cristallisent (se solidifient) au contact des électrodes. Au fil des cycles, la quantité d’ions utiles diminue.
- Au fil des cycles, ces atomes se solidifient et créent des dendrites qui peuvent traverser le séparateur et au mieux tuer la batterie, au pire créer une explosion comme cela arrive sur les smartphones.
- Dans une batterie vide, tous les ions sont du côté de la cathode et se solidifient au fil du temps. Plus la batterie reste vide longtemps, plus elle perd en capacité.
- L’inverse est vrai. Mais une charge complète ne reste pas à 100 % : la batterie se décharge naturellement à cause de l’instabilité du lithium.
Tout cela démontre que l’utilisation de batteries comme moyen embarqué de stockage de l’énergie électrique est la source de multiples problèmes. Ils en limitent considérablement le déploiement et ne semblent pas surmontables à court et moyen terme. Ils tiennent à la réalité physique des batteries et notamment celui de leur densité énergétique gravimétrique par rapport aux carburants liquides notamment.
Rappelons que 1 kg de diesel contient 44 MJ d’énergie et que 1 kg de batterie li-ion ne contient que 0,54 MJ d’énergie électrique soit un rapport 81 sur les masses comparées des deux moyens de stockage de l’énergie. Et l’écart entre les rendements de la chaîne de traction électrique avec celui de la chaîne de traction thermique ne comble pas l’écart des propriétés à l’usage. Alors pourquoi tout miser sur les véhicules électriques à batteries!