Personne ne peut en douter, les affaires énergétiques et la géopolitique sont étroitement entremêlées. L’invasion de l’Ukraine en février 2022 est venu le rappeler brutalement aux nombreux gouvernements européens qui avaient perdu le sens des réalités et les récents évènements au Niger en apportent une nouvelle illustration. Mais il faut faire la part des choses entre les inquiétudes légitimes et les « fake news » et autres manipulations. Certains militants sont prêts à s’affranchir facilement des faits pour faire avancer leurs thèses.
Le Niger est ainsi un producteur d’uranium et un fournisseur de la France. Ce minerai est utilisé pour la production de combustible alimentant le parc des 56 réacteurs nucléaires français et ceux de plusieurs pays clients. Mais est-il pour autant exact de considérer que la France est « dépendante du Niger » comme le répètent médias et militants depuis le coût d’Etat militaire anti-français qui s’est produit dans ce pays depuis quelques jours ? En fait, pas vraiment.
En moyenne, 20% de l’uranium importé annuellement provient du Niger
Tout d’abord, il faut regarder quelle part le Niger représente dans l’approvisionnement français en uranium naturel. Et il n’est pas évident de répondre à cette simple question. Il est en effet facile pour les « anti » de prendre l’année 2020 comme référence, au cours de laquelle la France a importé un peu plus de 30% de son uranium de ce pays, et pour les « pro » l’année 2018, durant laquelle ce taux n’était que de 5%. En fait, plus proche de la réalité, la part de minerai importé depuis le Niger se situe en moyenne autour des 20% (avec des oscillations entre 15% et 25%). Ce qui signifie par extension que 80% de notre uranium provient d’autres fournisseurs. On ne peut pas parler réellement de dépendance.
Il faut ensuite rappeler que l’uranium importé par la France n’est pas intégralement destiné à l’usage national. Notre pays étant un des rares à maîtriser l’ensemble de la chaîne du combustible, nous importons du minerai que nous enrichissons ensuite sur notre territoire pour vendre du combustible prêt à l’emploi à plusieurs pays étrangers pour alimenter leurs propres installations nucléaires. Ainsi, ne regarder que importations de minerai ne permet pas de définir le degré de dépendance de la production électrique française.
Des stocks représentant une dizaine d’années de consommation sans la moindre importation
Autre élément essentiel, les stocks et donc la nécessité ou non de trouver rapidement d’autres fournisseurs. La France consomme environ 1.000 tonnes de combustible par an pour son parc de 56 réacteurs, ce qui correspond à 1.000 tonnes d’uranium enrichi et 7.000 tonnes d’uranium naturel. Les stocks du pays au 31 décembre 2021 (dernière donnée consolidée disponible) étaient de 744 tonnes de combustible prêt à l’usage (donc 9 mois), 3.290 tonnes d’uranium enrichi (soit un peu plus de 3 ans de besoins), et 37.800 tonnes d’uranium naturel soit un peu plus de 5 années de combustible une fois enrichi. Soit en tout une dizaine d’années de combustible se trouvant aujourd’hui sur le sol français en stock. Ce qu’on peut comparer aux 3 mois de stock du gaz, par exemple.Ainsi, en partant de l’hypothèse que la France serait contrainte de se passer d’un fournisseur couvrant 20% de ses besoins et se serve dans les stocks stratégiques pour le remplacer plutôt que de faire appel à un autre fournisseur, nous nous trouverions au bout de nos réserves dans un peu plus de 50 ans…
L’uranium n’est pas un minerai rare
Mais ce n’est pas une hypothèse envisageable, notamment parce que l’uranium n’est pas un minerai rare, il y en a en France. Les pays producteurs sont nombreux répartis dans de nombreuses régions du monde politiquement stables et sûres. Deux gros fournisseurs sont par exemple le Canada et l’Australie qui sont peu sujets aux coups d’état et pas inféodés à la Russie ou à la Chine par exemple.
Il y a évidemment la question du prix. Pourquoi se fournir au Niger ou au Kazakhstan si on peut se fournir auprès de pays alliés ? Ainsi, l’uranium Kazakh, à environ 45 euros le kilo, est presque le moins cher au monde. Ce n’est pas le cas pour celui du Niger qui coûte cher à extraire. Il n’est même tout simplement pas rentable en théorie. Avec un prix d’équilibre de 76 euros le kg, il est nettement supérieur aux cours des marchés internationaux qui oscillent actuellement autour de 50 euros par kg.
Un calcul politique et stratégique français qui a tourné au fiasco
Si cette activité minière représente une part importante des revenus du Niger tout en n’étant pas rentable, c’est qu’elle résulte d’un accord politique avec la France qui a accepté d’acheter le minerai de ce pays à un prix supérieur à celui du marché. La de Paris qui visait à la fois à lui assurer une indépendance d’approvisionnement et à renforcer les liens avec un pays considéré comme essentiel pour lutter contre le terrorisme islamiste au Sahel. Pas vraiment une réussite… Mais il est difficile de parler de « pillage des ressources du Niger ».
La France peut maintenant se tourner par exemple vers le Canada. Il existe un certain nombre de projets de développement de mines dans ce pays qui ne se sont pas concrétisés pour des raisons de coûts. Avec un prix moyen d’un peu moins de 100 euros au kilo, les gisements ne peuvent être exploités qu’avec la signature de contrats d’achats à long terme. C’est une question qui mérite réflexion car le différentiel de 25 euros par kg en moyenne par rapport au minerai acheté au Niger ne représenterait un surcoût pour l’électricité nucléaire française que de quelques dizaines de centimes par kwh. L’uranium ne représente que 5% du coût de fonctionnement d’un réacteur.
L’argument sur une dépendance de la France à l’uranium du Niger est presque sans fondement. Il n’est même pas exagéré de dire qu’au contraire, le Niger était dépendant de son client français et des conditions auxquelles ce dernier avait consenti pour lui acheter son minerai.
Philippe Thomazo