L’accouchement a été difficile. Il a fallu près d’un mois pour contourner l’opposition de la Hongrie de Viktor Orban. Mais les dirigeants des 27 pays de l’Union Européenne ont finalement trouvé mardi 31 mai un accord qui devrait permettre de réduire de 90% leurs importations de pétrole russe. Une mesure qui devrait avoir un impact non négligeable sur les exportations russes et devrait aussi se traduire pour les consommateurs par un maintien à des niveaux très élevés des prix à la pompe.
Contrairement aux idées reçues, les achats de pétrole brut et de produits pétroliers raffinés russes par les pays européens ont un poids économique bien supérieur aux importations de gaz naturel. «La facture des importations de pétrole russe est quatre fois plus importante que celle du gaz, 80 milliards d’euros contre 20 milliards», expliquait à la mi-avril Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE.
Distinguer le pétrole livré par des navires et celui amené par oléoducs
La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole devant l’Arabie Saoudite et derrière les Etats-Unis. Elle exporte les deux tiers de son pétrole vers l’Union Européenne. En 2021, elle a fourni 30% du brut et 15% des produits pétroliers, notamment du diesel, achetés par l’UE. Depuis le 24 février dernier, date de l’invasion russe de l’Ukraine, les Européens ont versé près de 30 milliards d’euros dans les caisses de l’État russe pour régler la facture pétrolière. La Russie aura bien sûr la possibilité de vendre son pétrole à d’autres clients. C’est même plus facile que pour le gaz, livré pour l’essentiel via des gazoducs. D’ailleurs, depuis le 24 février et l’invasion de l’Ukraine, la Russie a vendu plus de cargaisons de pétrole à la Chine, l’Inde et l’Egypte. Mais l’opération est complexe et pas applicable à l’ensemble de la production écoulée en Europe.
L’embargo européen sur le pétrole brut sera mis en place dans les 6 prochains mois et sur les produits raffinés dans les 8 prochains mois. C’est de loin la mesure la plus significative et la plus difficile à prendre du sixième paquet de sanctions contre la Russie qui a été bloquée plusieurs semaines par la Hongrie. La solution trouvé a été d’acter l’arrêt progressif des importations de pétrole russe transportées par navires (les 2/3 des achats européens), et exempter en partie le pétrole acheminé par oléoduc, afin de lever le veto de Budapest très dépendant des livraisons russes par oléoduc.
Mais comme l’Allemagne et la Pologne se sont engagés à arrêter leurs importations par l’oléoduc Droujba, au total c’est bien 90% des exportations de pétrole russe vers l’UE qui seront arrêtées d’ici la fin de l’année, ont affirmé la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président français Emmanuel Macron. L’extension de l’embargo aux livraisons restantes par oléoduc sera ensuite discutée «dès que possible», sans qu’une date butoir ait été fixée.
Obstruction hongroise
L’unanimité des vingt-sept étant nécessaire pour adopter des sanctions, Budapest a fait de l’obstruction et joué un double jeu avec, il est vrai, de réels arguments sur sa dépendance à l’égard du pétrole russe. La Hongrie, pays enclavé sans accès à la mer, dépend pour 65% de sa consommation du pétrole acheminé par l’oléoduc russe Droujba. Et Viktor Orban pourra toujours dire à son allié historique Vladimir Poutine qu’il a tout fait pour retarder les sanctions pétrolières. La Hongrie a ainsi conditionné son accord à des garanties sur sa sécurité énergétique. En arrivant au sommet européen, le Premier ministre hongrois Viktor Orban avait même réclamé des assurances en cas de coupure de l’oléoduc Droujba qui approvisionne son pays en passant par l’Ukraine. Il a exigé que son pays puisse être alimenté en pétrole russe par voie maritime si l’oléoduc était coupé. «C’est la garantie dont nous avons besoin», a affirmé M. Orban. Il l’a obtenu. «En cas d’interruptions soudaines de l’approvisionnement, des mesures d’urgence seront introduites pour assurer la sécurité de l’approvisionnement.»
La Hongrie s’était opposée à la proposition initiale d’un embargo, à moins de bénéficier d’un délai d’au moins quatre ans pour le mettre en œuvre, et de pas moins de 800 millions d’euros de financements européens pour adapter ses raffineries. Mais la Hongrie n’étant plus concernée par l’embargo pouvait difficilement le bloquer. En outre, la mauvaise volonté était évidente car l’oléoduc Adria, qui alimente la Hongrie via la Croatie, aurait pu voir ses capacités fortement augmentées en quelques mois.
Toutes les questions techniques sur l’embargo ne sont pas réglées et il y aura encore des discussions mercredi 1er juin entre les ambassadeurs des Vingt-Sept, en vue de finaliser l’accord. Des négociations auront lieu ensuite pour cesser une partie des importations via Droujba (1/3 des approvisionnements européens). Sa branche nord dessert l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne, et ls branche sud la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Prague avait réclamé pour sa part un délai d’adaptation de dix-huit mois pour les produits raffinés qui a été accepté. Ceux demandés par la Slovaquie et la Bulgarie (deux ans chacun) font encore l’objet de discussions.
Le nouveau paquet de sanctions prévoit aussi l’exclusion de trois nouvelles banques russes du système financier international Swift, dont Sberbank, principal établissement financier du pays.