<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Turquie veut devenir un fournisseur de gaz de l’Europe

24 mai 2022

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Plateformes gazières israélienne Champ Tamar
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La Turquie veut devenir un fournisseur de gaz de l’Europe

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Les pays européens ont absolument besoin de trouver de nouvelles sources d'approvisionnement en gaz naturel pour pouvoir se passer rapidement du gaz russe. Le gaz naturel liquéfié (GNL), américain et qatari, ne sera pas suffisant. Le gaz israélien pourrait être en partie une solution. C'est le pari que veut faire la Turquie en passant un accord avec Israël pour amener son gaz via un gazoduc sous-marin sur son sol et le transporter ensuite en Europe. Mais être moins dépendant de Vladimir Poutine pour l'être plus de Recep Tayip Erdogan est-il une bonne idée?

La stratégie diplomatique et économique de la Turquie d’Erdogan est limpide depuis plusieurs années. Elle consiste à se rendre indispensable auprès des pays occidentaux pour obtenir en échange des financements, des équipements et un statut et une reconnaissance de puissance montante. Tout cela se fait avec un mélange de provocations, de tensions, de chantages et ensuite… de réconciliations. La Turquie le fait via sa place au sein de l’Otan, via son rôle clé de point de passage des réfugiés du Moyen-Orient et d’Asie vers l’Europe, via un rôle d’intermédiaire ambigu entre les pays occidentaux et la Russie et via un rôle clé dans le monde musulman. Et maintenant, Ankara veut obtenir une place de choix dans le domaine énergétique via le marché gazier.

La Turquie n’est pas un producteur de gaz même si le pays a tenté par l’intimidation d’obtenir une part du gâteau des gisements importants découverts entre Chypre côté grec et Israël, notamment ceux dénommés Tamar (voir la photographie ci-dessus) et Leviathan. Le nouveau jeu turque consiste maintenant à nouveau à faire ami-ami avec Israël, qui n’est plus soudain un pays voué aux gémonies, et à obtenir de distribuer via un gazoduc passant sur son sol le gaz israélien aux pays européens. On voit bien l’intérêt d’Ankara à une telle opération, moins celui des Israéliens et des Européens qui n’ont pas la moindre envie de se mettre entre les mains de Recept Tayip Erdogan.

Avec l’invasion de l’Ukraine, la Turquie pense avoir une carte à jouer

En tout cas, le projet qui semblait enterré semble à nouveau avancer. En 2016, lors d’une énième tentative de réchauffement diplomatique entre Ankara et Jérusalem, qui avait échoué, les deux pays s’étaient accordés pour «étudier la faisabilité d’un gazoduc sous-marin vers la Turquie et l’Europe». Ensuite plus rien. Mais la Turquie pense maintenant que la guerre entre l’Ukraine et la Russie, qui pèse considérablement sur l’avenir des approvisionnements énergétiques européens, lui donne une carte à jouer. La visite du président israélien Isaac Herzog en mars à Ankara et Istanbul pour renouer avec son homologue Recep Tayyip Erdogan a ouvert, selon les deux responsables, une nouvelle ère dans leurs relations.

Le chef de l’État turc s’est dit ainsi «prêt à coopérer avec Israël en matière d’énergie et de sécurité énergétique», avec en tête l’idée d’acheminer le gaz israélien vers l’Europe via la Turquie et de se servir au passage pour diversifier ses sources d’approvisionnement. «La Turquie a de l’expérience et la capacité pour mettre en place ces projets», a fait valoir Erdogan. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu se rend mercredi 25 mai en Israël et pourrait être accompagné du ministre de l’Énergie Fatih Dönmez.

Sérieux doutes en Israël sur la fiabilité du partenaire turc

Mais l’enthousiasme turc est loin d’être partagé en Israël. «Le sentiment qui prévaut est qu’en matière d’énergie les pays doivent se faire mutuellement confiance. Ce n’est pas ce qui caractérise la dynamique entre les deux pays», relève Gabi Mitchell, attaché à l’Institut Mitvim, spécialiste de la politique régionale d’Israël. «Erdogan n’est pas un partenaire fiable», ajoute-t-il.

«Je n’ai jamais pensé que le projet était faisable», affirme Aaron Stein, directeur du programme du Moyen-Orient au Foreign Policy Research Institute à Washington. «L’idée revient sur la table chaque fois qu’il y a rapprochement entre les deux pays mais la logistique pour passer du rêve en réalité est compliquée et coûteuse», ajoute-t-il. Un gazoduc sous-marin depuis Israël jusqu’en Turquie coûterait environ 1,5 milliard de dollars.

Mais après dix ans pendant lesquels Erdogan s’est posé en fer de lance de la cause palestinienne et en adversaire permanent d’Israël, il vient de faire un virage à 180 degrés dont il est coutumier. Il a récemment fait taire ses critiques et n’a ainsi exprimé que la «tristesse» lors des heurts sur l’esplanade des Mosquées en avril. Ensuite, l’option turque est réapparue après l’abandon par les États-Unis du projet EastMed de gazoduc en Méditerranée orientale visant à transporter le gaz israélien vers l’Europe via Chypre et la Grèce. «C’est difficile mais raisonnable et, surtout, faisable en comparaison à EastMed», juge un responsable turc.

La Turquie a d’autant plus intérêt à avoir accès au gaz israélien qu’elle dépend aujourd’hui étroitement de la Russie pour ses approvisionnements en énergie et cherche à diversifier ses sources. La Turquie a consommé 48 milliards de m3 de gaz en 2020 et 60 Gm3 en 2021 et devrait atteindre 62 à 63 Gm3 cette année. L’année dernière, 45% du gaz consommé en Turquie provenait de Russie, le reste d’Iran et d’Azerbaïdjan, complété par du gaz liquéfié (GNL) du Qatar, du Nigeria, d’Algérie et des États-Unis.

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