<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les trois facteurs déterminants de l’équation pétrolière

5 octobre 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Pont tanker wikimedia commons
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Les trois facteurs déterminants de l’équation pétrolière

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Les prix du baril de pétrole vont-ils continuer à monter comme ils l'ont fait depuis le début de l’été? Le reflux enregistré depuis quelques jours va-t-il durer? C’est la question que se posent fébrilement les gouvernements des pays massivement importateurs qu’ils soient européens ou asiatiques. La réponse dépend de trois facteurs clés. L'intérêt financier de l’Arabie Saoudite et de la Russie, les chefs de file du cartel Opep+, qui ont poussé les prix à la hausse en restreignant l'offre, va-t-il rester le même? Est-il aussi dans leur intérêt géopolitique et économique de continuer à le faire au risque de mécontenter les pays occidentaux et surtout… la Chine et d'alimenter l'inflation mondiale et la poursuite des hausses de taux? Enfin, les autres acteurs du marché pétrolier, hors Opep+, comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, le Guyana... ont-ils les moyens de faire redescendre les cours en augmentant progressivement leur production?

Le cartel des pays producteurs de pétrole dit Opep+, mené par l’Arabie Saoudite, pour les 13 pays de l’Opep, et par la Russie pour leurs dix alliés et formant ainsi l’Opep+, ont réussi au cours des trois derniers mois à renverser la tendance sur les marchés pétroliers. En dépit d’une croissance mondiale atone et des difficultés des économies américaines et chinoises, les baisses de production saoudiennes et russes et le déséquilibre ainsi créé entre offre et demande ont permis au cours du baril de regagner plus de 25% entre fin juin et début octobre. Les cours du baril ont reflué au cours des derniers jours d’environ 5%  et sont repassés sous le seuil des 90 dollars, mais le marché pétrolier mondial se retrouve aujourd’hui dans une situation où la demande d’environ 103 millions de barils par jour en moyenne, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), est supérieure de 1 à 2 millions de barils à l’offre.

Du coup, est-ce que la hausse va se poursuivre? Est-ce que le reflux enregistré depuis quelques jours peut-être durable? Est-ce que le baril de pétrole va atteindre le seuil des 100 dollars et même le dépasser comme le prévoient plusieurs établissments financiers ? Les réponses à ses questions dépendent de trois facteurs déterminants.

Le premier est de savoir si l’intérêt financier bien compris des acteurs qui ont poussé les prix à la hausse, Arabie Saoudite et Russie, va rester le même. Le deuxième point est de savoir s’il est dans leur intérêt géopolitique et économique de continuer à le faire au risque de mécontenter les pays occidentaux et… surtout la Chine et d’alimenter l’inflation mondiale? Et troisièmement, les autres acteurs du marché pétrolier, hors Opep+, comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, le Guyana…  ont-ils les moyens de faire redescendre les cours en augmentant progressivement leur production?

Les besoins financiers considérables de l’Arabie Saoudite et de la Russie

Le premier facteur déterminant est qu’il est absolument dans l’intérêt financier de l’Arabie saoudite, de la Russie et du reste du cartel de l’Opep+ de maintenir les prix du pétrole à la hausse. Plus ils sont élevés, mieux c’est pour leurs comptes publics et leur stabilité politique. La raison officiellement évoquée pour justifier les baisses de production, notamment par les Saoudiens, la nécessité «d’avoir un marché équilibré», n’a en fait aucun sens. Rappelons que l’Arabie Saoudite et la Russie sont respectivement les troisième et deuxième producteurs de pétrole (avec 10,2 et 10,5 millions de barils par jour selon les chiffres moyens de 2022) derrière les Etats-Unis (11,5 millions de barils par jour).

La véritable raison pour laquelle l’Arabie saoudite fait monter les prix du pétrole est tout simplement qu’elle a besoin d’argent… de beaucoup d’argent. Les revenus liés au pétrole sont la pierre angulaire du financement de l’État saoudien et de la pérennité du pouvoir de la famille royale. Il sert à subventionner de vastes pans de l’économie, sans lesquels l’emploi chuterait, les impôts augmenteraient et les prestations sociales disparaitraient. Cet argent est aussi indispensable pour financer les projets grandioses de développement de Mohammed ben Salmane, le nouveau maître du pays.

Le fameux prix minimum du pétrole, de 78 dollars le baril, permettant à l’Arabie saoudite d’être à l’équilibre budgétaire n’est pas une donnée pertinente. Tout simplement parce que Mohammed ben Salmane est engagé dans une course contre la montre pour transformer son économie et sa société et que l’équilibre budgétaire est le cadet de ses soucis.

Cette donnée du cours du baril nécessaire pour atteindre l’équilibre budgétaire a encore moins de sens aujourd’hui pour la Russie. Pendant une vingtaine d’années, le prix du pétrole permettant à Moscou d’être à l’équilibre budgétaire s’est situé, selon les calculs des économistes, autour de 40 dollars. Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, il est passé à 115 dollars… Mais en fait, l’équilibre des finances russes n’a quasiment aucune importance pour Vladimir Poutine. Ce qui importe à la Russie est de continuer à exporter son pétrole à des prix les plus proches de ceux du marché. Ce qu’elle a réussi à faire jusqu’à aujourd’hui avec succès. Moscou s’est finalement rallié à la stratégie saoudienne consistant à restreindre l’offre pour faire grimper les prix à partir du moment où un plafond de 60 dollars par baril pour les ventes de pétrole russe a été imposé en décembre 2022 par les pays du G7. Plus l’Opep+ fait monter le cours du baril, plus il est facile pour la Russie de vendre « discrètement » son pétrole à plus de 60 dollars le baril.

Ni la Russie, ni l’Arabie Saoudite ne veulent s’aliéner la Chine

Pour autant, le deuxième facteur déterminant de l’équation pétrolière et la raison pour laquelle les cours ne peuvent monter indéfiniment est d’ordre géopolitique et économique. L’Arabie Saoudite et encore moins la Russie ne peuvent et ne veulent s’aliéner la Chine qui est le premier importateur mondial de pétrole et un allié essentiel de Moscou… Or, les cours élevés du baril pèsent lourdement sur son activité économique. D’autant plus qu’elle n’a toujours pas réussi à se remettre du coup d’arrêt subi avec la pandémie de Covid.

Certes la Chine bénéficie de rabais importants sur le pétrole acheté à la Russie et à plusieurs autres membres de l’Opep+, dont l’Iran, l’Irak et même parfois de l’Arabie Saoudite. Mais il y a une limite rapidement atteinte à l’augmentation des prix sans que la Chine ne commence vraiment à en ressentir les conséquences économiques. Et puis la Chine touchée de plein fouet par la baisse de ses exportations est évidemment sensible à l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur les économies occidentales. Or, si les prix du pétrole continuent à augmenter, cela alimente l’inflation et donc la poursuite de la remontée des taux d’intérêt par les banques centrales ce qui fait grandir le risque de récession.

Augmentation de la production des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, du Guyana, de l’Iran…

Le troisième facteur déterminant de l’équation pétrolière est celui lié à la capacité des autres producteurs à compenser le déséquilibre entre offre et demande. Il y a évidemment la perspective éventuelle de réintégrer les 3 millions de barils par jour de l’Iran sur le marché pétrolier par le biais d’une nouvelle version de « l’accord nucléaire ». Mais les augmentations de production peuvent venir d’ailleurs d’autres augmentations de l’offre sont également prévues. Selon l’Agence américaine de l’énergie, les producteurs non membres de l’Opep+ devraient augmenter leur production de 2,1 millions de barils par jour en 2023 et de 1,2 million en 2024. L’agence s’attend à ce que la production pétrolière américaine dépasse 12,9 millions de barils par jour à la fin de 2023 et à ce que la croissance de la production se poursuive en 2024 pour porter la production américaine de brut au-delà de 13 millions de barils par jours. D’autres augmentations de production sont programmées au Brésil, au Canada, au Guyana et en Norvège.

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