La loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) impose depuis le 1er janvier 2024 à tous les professionnels de trier les biodéchets, et en particulier aux collectivités locales de fournir des solutions de collecte des biodéchets aux particuliers.
De quoi accélérer le développement de la méthanisation en France? En tout cas de quoi sérieusement reconfigurer le secteur : jusqu’alors, la méthanisation était surtout pratiquée en milieu rural par des agriculteurs.
Elle tend désormais à se développer en milieu urbain, péri-urbain et industriel avec même, parfois, des innovations inattendues comme la micro-méthanisation dans des conteneurs maritimes. Tour d’horizon.
Un besoin de valorisation croissant
Jusqu’au 30 décembre 2023, les organisations générant moins de cinq tonnes de déchets par an n’avaient pas d’obligation de les trier. Mais depuis le 1er janvier 2024, tous les professionnels sont concernés sans seuil minimum.
Même les plus petits: restaurants proposant moins de 150 couverts par jour, hôtels de moins de 100 lits, points de vente alimentaires de moins 900 mètres carré, cantines scolaires de moins de 350 élèves ou Ehpad de moins de 70 résidents…
Du côté des particuliers, ceux-ci ne sont formellement pas obligés à trier, mais fortement incités à le faire parce que les communes ont l’obligation depuis 2024 de leur fournir une solution de collecte des biodéchets. La croissance du flux de biodéchets à traiter devrait ainsi s’accélérer au cours des prochaines années.
Une croissance qui va profiter au compostage et à la méthanisation, deux solutions préconisées par les pouvoirs publics pour valoriser les biodéchets.
En tant qu’outil de la transition énergétique et compte tenu de la Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France, la méthanisation devrait logiquement être privilégiée par les entreprises et les collectivités locales convaincues par le besoin de décarbonisation.
Quel modèle d’affaires pour la méthanisation ?
La méthanisation est un processus de conversion de la matière organique en biogaz, c’est-à-dire en méthane d’origine biologique. Son essor répond à des enjeux d’économie circulaire – réduction et recyclage des biodéchets – et de décarbonisation de l’économie – baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Il existe évidemment des enjeux d’aménagement du territoire et d’emploi dans les territoires ruraux qui sous-tendent le développement territorial de la méthanisation.
De fait, aujourd’hui la méthanisation est principalement pratiquée par des exploitations agricoles situées en milieu rural. Leurs intrants sont les effluents d’élevage, certains déchets agricoles ou agroalimentaires et les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE), plantées et récoltées entre deux récoltes principales afin d’être valorisées dans les usines de méthanisation.
Les méthaniseurs peuvent être exploités par des agriculteurs seuls ou encore par des groupements dont la taille peut aller de quelques agriculteurs à plusieurs dizaines. Ces groupements sont souvent nécessaires pour rassembler le capital nécessaire à la construction de l’unité et surtout disposer d’un volume suffisant de matière organique pour alimenter le méthaniseur.
En effet, la matière première est stratégique dans le modèle d’affaires du biogaz. Il faut trouver un volume de déchets suffisant car les unités doivent fonctionner au maximum de leur capacité pour être rentables. Il faut également que la matière ait un pouvoir « méthanogène » le plus élevé possible pour produire le maximum de biogaz. Or, des différences existent entre les différents types de biodéchets.
Nombre d’unités de méthanisation par région et répatition sectorielle. ADEME-SINOE/Business Geografic — Ciril GROUP, Fourni par l’auteur.
Quelques unités de méthanisation non agricoles existent aujourd’hui en France, en particulier en Ile-de-France, mais leur nombre est dérisoire par rapport à l’ensemble des unités en fonctionnement.
L’augmentation des volumes de biodéchets à traiter dans les métropoles peut amener ce type de méthanisation à se développer, tout comme les unités agricoles territoriales situées à proximité des grands centres urbains, et qui pourraient gérer tout à la fois des déchets agricoles et des déchets urbains.
Zones industrielles et toits d’hypermarchés
Dans la mesure où la méthanisation est essentiellement rurale et que le gisement de biodéchets est plutôt urbain, de nouveaux acteurs se positionnent avec des stratégies d’implantation encore jamais vues : dans des zones industrielles et même sur le toit d’hypermarchés en milieu urbain !
La start-up Bee & Co, par exemple, propose des unités de micro-méthanisation dans des conteneurs maritimes. Un tel équipement a été installé à Marseille par Véolia sur le toit d’un centre commercial.
On assiste également à un redécoupage des fonctions. Par exemple, jusqu’alors, l’hygiénisation des biodéchets – c’est-à-dire l’élimination des agents pathogènes par un processus de réchauffement des biodéchets à 70 °C – était réalisée à la ferme. Or, on assiste depuis quelques temps à la création d’unités spécialisées dans ce domaine, qui pré-traitent les biodéchets avant de les envoyer chez les méthaniseurs.
Cette réorganisation des fonctions permet de traiter davantage de biodéchets, de façon plus industrielle et en réalisant des économies d’échelle.
De nouveaux collecteurs et transporteurs de déchets sont également apparus. C’est le cas de Bin’Happy, entreprise créée au Havre et qui se développe actuellement sur toute la Normandie.
Outre les économies d’échelle, c’est la proximité à la fois géographique et relationnelle qui est recherchée par les opérateurs.
Des méthaniseurs oui, mais loin des yeux
Réussir un projet de méthanisation ne va pas de soi. Lorsque la distance entre les habitations et l’unité de méthanisation n’est pas considérée comme suffisante par les citoyens, cela peut créer de la contestation.
L’opposition aux projets de méthanisation prend souvent la forme du phénomène NIMBY, pour « Not in my backyard » (ce que l’on pourrait traduire par « Pas de ça chez moi »).
Ce à quoi les opposants ajoutent d’autres arguments, tels que des problèmes d’odeurs ou de trafic de camions accru que les projets de méthanisation peuvent engendrer pour les riverains.
Pour autant, il ne faut pas réduire l’opposition des riverains au seul phénomène NIMBY. Une étude a montré que l’acceptation sociale d’un projet de méthanisation au niveau local dépend de la juste répartition des bénéfices et des inconvénients.
Autrement dit, d’une bonne gestion du projet qui passe par une participation active des habitants, et non pas une simple consultation « descendante », ainsi que de la confiance et de la transparence entre les promoteurs du projet et les résidents.
Car la méthanisation n’est pas seulement un projet énergétique, c’est un projet de territoire. C’est ce qu’est venu récemment rappeler une autre étude, qui rappelle que la méthanisation implique des décisions qui affectent le développement, l’environnement et la population locale d’un territoire.
Alors comment faire ? Une piste serait le renforcement des gouvernances territoriales afin de s’assurer que ces décisions soient prises de manière « inclusive », en tenant compte des besoins et des aspirations de tous les acteurs locaux.
Cela passe par une plus grande implication des citoyens qui va au-delà de la simple consultation. Par exemple grâce au financement participatif, qui a l’avantage d’associer de façon active les habitants et de redistribuer les bénéfices de l’unité. C’est ainsi que des éleveurs de vaches laitières en Loire-Atlantique, à Blain, ont réussi à mobiliser les investisseurs privés pour financer la construction de l’unité de méthanisation de biogaz de l’Isac.
Sebastien Bourdin Professeur en géographie-économie, Laboratoire Métis, EM Normandie
Roland Condor Titulaire de la chaire « Modèles entrepreneuriaux en agriculture », EM Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.