Tandis qu’il représente 90% des marchandises transportées, le transport maritime ne compte que pour 3% des émissions mondiales de CO2. Une part qui pourrait monter à 17% à l’horizon 2050. Raison pour laquelle, au début de l’année 2024, les États membres de l’Organisation maritime mondiale se sont fixé l’objectif de la neutralité carbone pour 2050. Dans les 25 ans qui viennent, ce sont donc d’importants investissements qui vont être nécessaires afin de moderniser et renouveler la flotte mondiale.
Décarboner : un enjeu existentiel
En France, la filière maritime est bien consciente de l’enjeu pour l’avenir et pour sa compétitivité, comme en témoigne la feuille de la décarbonation de la filière maritime. Présentée en 2023, elle se décline en 7 axes et 34 actions. Un effort d’autant plus important compte tenu de l’importance de la France dans la filière maritime mondiale.
Au niveau mondial, il est estimé que la décarbonation du secteur maritime, comprenant le financement de nouveaux navires décarboné, pourrait coûter de 1 000 à 2 000 milliards de dollars. Une somme d’autant plus importante que la flotte mondiale devrait doubler d’ici 30 ans. Cette décarbonation est conduite sur deux axes : modifier le type de carburant utilisé et réduire la consommation en améliorant les bateaux.
Pour les carburants, CMA-CGM a par exemple conclu des partenariats avec Suez et Engie afin de produire du gaz plus responsable pour les cargos LNG. C’est le projet Salamandre dont viennent d’être dévoilées les grandes lignes et qui vise à produire 200 000 tonnes de gaz renouvelable par an d’ici 2028. Les 120 grands porte-conteneurs commandés depuis 2017 par l’armateur marseillais seront ainsi tous propulsés avec des carburants dits de transition : GNL ou biométhane et peut-être bientôt, hydrogène.
L’amélioration des navires passe par de nombreuses innovations, qui toutes contribuent à réduire la consommation. Par exemple, l’usage de l’intelligence artificielle pour améliorer les manœuvres dans les ports ou les navires autonomes : le Yara Birkeland de l’armateur norvégien Kongsberg Gruppen, est ainsi équipé de lidars et de caméras optique et infrarouge, comme le Mayflower de l’ONG Promare et d’IBM, doté de la technologie PowerAI Vision avec radars et lidars. Cela passe aussi par l’amélioration des hélices afin de perfectionner la poussée, la mise en place de moteurs hybrides, fonctionnant au carburant et à l’électricité, améliorer la coque des navires ou encore optimiser le fardage. Autant d’opérations qui, mises bout à bout, conduisent à une réduction substantielle de la consommation de carburant. Tout cela suppose des investissements massifs et donc de la nécessité de disposer de capitaux.
Plus d’impôts, c’est moins de compétitivité
L’investissement est donc la clef stratégique du secteur. Et pour investir, il faut disposer de moyens financiers importants. C’est pourquoi les projets français de hausse des taxes inquiètent la filière. Que ce soit la suppression de la taxe au tonnage, pour la remplacer par une taxe sur le chiffre d’affaires, ou la mise en place de prélèvements exceptionnels sur les grandes compagnies, ce sont autant d’impôts prélevés qui ne pourront pas être investis dans la modernisation de la flotte.
D’autant qu’en matière fiscale, en France plus qu’ailleurs, ce qui est provisoire devient pérenne et les petits taux finissent toujours par monter. Choisissant la facilité de la hausse de la fiscalité, plutôt que le chemin plus difficile de la baisse des dépenses, le gouvernement répond à un besoin immédiat en pénalisant la filière maritime sur le moyen terme. Les investissements qui ne seront pas réalisés en 2024-2025 à cause de la hausse de la fiscalité pénaliseront le transport maritime français dans les dix années qui viennent. Le président d’Armateurs de France, Edouard Louis-Dreyfus, s’en est ému, en montrant les contradictions réglementaires qui imposent d’un côté d’améliorer les performances et, de l’autre, de réduire les marges d’investissement.
Un secteur maritime sous haute tension
Outre les enjeux de décarbonation, le secteur maritime est placé sous très haute tension. Entre les attaques des Houthis en mer Rouge, les menaces en mer de Chine, l’instabilité en Méditerranée orientale, la hausse des assurances et le blocage possible des détroits donnant accès à la mer Noire, c’est un secteur qui navigue en eaux troubles. C’est autant de surcoûts imprévus et donc de fragilisation des grandes compagnies mondiales, notamment européennes.
Jean-Baptiste Noé Docteur en histoire économique. Auteur de: « La Révolte fiscale. L’impôt : histoire, théories et avatars ».