<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Transition «heureuse», noble mensonge

18 juin 2020

Temps de lecture : 3 minutes
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Transition «heureuse», noble mensonge

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Peut-on faire accepter des sacrifices au nom d'un avenir meilleur? Chronique parue dans le numéro 1 du magazine Transitions & Energies.

Il est des livres célèbres qui vous tombent des mains. Le Principe responsabilité de Hans Jonas en fait partie. Heureusement, des passages savoureux vous surprennent parfois au milieu de l’ennui. C’est le cas lorsque le philosophe allemand compare les vertus de la « tyrannie communiste » à celles du « complexe capitaliste-démocratique-libéral » remarquant que les premières sont sans aucun doute plus à même que les secondes de relever le défi écologique.

Pour Jonas, l’impératif écologique nous met dans la position de devoir réaliser des « buts inconfortables » consistant à revoir sérieusement à la baisse notre niveau de vie. L’avantage du système communiste est qu’il est capable de supporter de grands sacrifices au profit d’un avenir meilleur, exactement ce qu’exigera bientôt, selon lui, la situation environnementale. Quant au capitalisme, il est loin de pouvoir contrarier la passion des masses pour le bien-être matériel : il semble au contraire uniquement qualifié pour l’encourager !

Cependant, relève-t-il, un obstacle se dresse pour empêcher les noces de l’écologie et du marxisme. Celui-ci parvient à « animer ses adeptes » car il sait créer l’enthousiasme, un « enthousiasme pour l’utopie ». Autrement dit, les privations ne sont que des moyens, secondaires ou supportables, en vue d’une fin joyeuse ! rien de comparable dans le cas de l’écologie, car le moyen se confond avec la fin. Comment pourrait-elle créer l’enthousiasme alors qu’elle recherche « une fin nullement reluisante de l’auto-modération de l’humanité » ?

L’écologie fait valoir la nécessité d’accomplir une corvée qui, par définition, est la plus ennuyeuse des tâches. Elle ne propose ni aventure ni accomplissement, mais simplement de descendre les poubelles ! C’est là que sans trop y croire mais avec malice, le philosophe envisage une solution politiquement incorrecte : utiliser « le noble mensonge » de Platon. Un pouvoir autoritaire détenu par une élite éclairée peut mystifier les masses en invoquant un « idéal prétexté » et ainsi « donner de l’influence au principe Crainte sous couvert du principe Espérance » ! Il s’agirait d’un « complot au sommet en vue du bien », une manière de donner à la citrouille des allures de carrosse.

Ce passage du Principe responsabilité retrace le chemin intellectuel et politique emprunté par l’écologie depuis sa naissance. Ses adeptes ont toujours su leur cause ennuyeuse et la nécessité de l’habiller de beaux atours. Le développement durable, cette utopie proposant joyeusement de garantir en même temps la protection de l’environnement,  la croissance économique et la justice sociale est un des plus beaux exemples de « l’idéal prétexté ». Les écologistes de tous bords sont sans cesse pris la main dans le sac de la mystification comme lorsque les partisans de la décroissance promeuvent la sobriété ou la frugalité « heureuse » ou lorsque Nicolas Hulot affirme par l’entremise de son ministère (quand il le dirigeait) que la transition est écologique, mais aussi « solidaire ». Sans cesse on les surprend à tenter de créer l’enthousiasme, à vouloir transformer la misérable corvée en un formidable projet…

Aux lecteurs et admirateurs de Jonas ne manquent que l’assurance et le cynisme d’un Machiavel : ils n’osent jamais choisir, ce qui explique l’ambivalence de leurs actions et de leur discours, entre le « complexe capitaliste-démocratique-libéral » et le régime autoritaire ressemblant à la « tyrannie communiste ». Ainsi, privé de port d’attache, le « noble mensonge » se promène au gré des vents et des courants d’air sans retenir vraiment l’attention. Les écologistes, lâcheurs de baudruches, sont les seuls à penser qu’ils puissent servir de phare. Il faudrait cependant leur dire que le sort de la transition n’est pas suspendu à l’espoir qu’elle puisse être « heureuse » ou « solidaire », mais simplement au fait qu’elle soit ou non nécessaire…

Hans Jonas, Principe responsabilité, Éd. Champs, 2013.

Bertrand Alliot

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