Transitions & Energies

Toyota affiche des profits records, mais paradoxalement son président et sa stratégie sont contestés


Le numéro un mondial de l’automobile affiche des profits records. Cela n’empêche pas son président, Akio Toyoda, petit-fils du fondateur, de faire l’objet de contestations pour trois raisons. D’abord, son mode de management assez autoritaire, ensuite une série de scandales sur la qualité des véhicules et des tests truqués et enfin et surtout parce que sa stratégie de décarbonation est originale. Contrairement à presque tous les constructeurs dans le monde, Toyota ne croit pas que la motorisation électrique à batteries peut-être la seule réponse. Une différence qui agace et inquiète. Par Antoine Testu au Japon.

Situation contrastée pour Toyota, numéro un mondial de l’automobile : les excellents résultats de l’année fiscale 2023, clôt en mars 2024, avec des ventes records de 11,09 millions de véhicules pour 287 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 31 milliards de profits, ont été en partie éclipsés par des interrogations sur la stratégie de décarbonation du constructeur japonais, des scandales à répétition et la personnalité de son président.

Akio Toyoda, petit-fils du fondateur et Pdg de Toyota Motors de 2008 à 2023, mais toujours président, (voir la photographie ci-dessus) a fait face à une « fronde » inédite en ne récoltant que 71,9% des votes de l’assemblée générale qui s’est tenue le 18 juin 2024, bien loin des 85% obtenus en 2023.

Précurseur et toujours champion de la motorisation hybride

Les très bons résultats financiers de Toyota s’expliquent avant tout par les excellentes ventes de ses véhicules hybrides non rechargeables, particulièrement aux Etats-Unis et au Japon. Sur ces deux marchés clés pour Toyota, la vague des véhicules 100% électriques à batteries (VEB) n’en est qu’à ses débuts et se heurte au scepticisme d’une grande partie des consommateurs. Ils préfèrent se tourner vers les hybrides dont Toyota est le précurseur et spécialiste incontesté depuis le lancement de la Prius en 1997. Et même en Europe où les VEB devraient assurer environ 13% des ventes en 2024 (contre moins de 8% aux Etats-Unis et moins de 2% au Japon), Toyota a réussi à écouler plus de 800.000 hybrides en 2023.

Depuis toutes ces années, le constructeur japonais a su perfectionner l’ingénierie et la production en masse de ses voitures hybrides pour dégager des profits élevés par voiture, plus que pour ses véhicules thermiques. Et leur succès ne se dément pas. En 2023 le constructeur aura vendu environ 3,42 millions d’hybrides (Prius, RAV4, Yaris, Corolla, etc.), soit 31% de plus qu’en 2022. Yoichi Miyazaki, vice-président et directeur financier, estime même qu’il n’est pas inenvisageable d’en vendre 5 millions à l’horizon 2026 voire même dès 2025. Cela signifierait que Toyota serait principalement un constructeur de véhicules hybrides ! 

La stratégie d’Akio Toyoda

Le constructeur japonais dispose ainsi d’une véritable poule aux œufs d’or avec sa technologie hybride qu’il n’a pas la moindre intention de lâcher. Il n’a d’ailleurs pas encore d’offre de véhicules 100% électriques abordable et performante dans les segments des citadines ou des petits SUV.

Le constructeur pourrait ainsi être dans une position idéale pour utiliser les bénéfices rapportés par sa technologie hybride afin de financer la bascule vers le 100% électrique. Mais ce n’est pas la stratégie choisie par le groupe et par Akio Toyoda. Toyota ne croit pas au tout électrique et préfère une approche une approche dite « multi-pathway » (multi directionnelle) pour réduire de 50% ses émissions de CO2 d’ici 2035 et se fixe 2050 pour atteindre la neutralité carbone.

Cette approche multi directionnelle comprend donc : les véhicules hybrides (rechargeables ou non), les voitures électriques à hydrogène et pile à combustible, les voitures à motorisation à combustion interne fonctionnant avec de hydrogène, les véhicules à moteur thermique utilisant des carburants de synthèse ou biocarburants neutres en carbone et enfin les voitures électriques à batteries qui n’occupent pour le moment qu’une part minime avec seulement 1% des ventes. Il s’agit essentiellement d’un seul modèle, le bZ4X, un SUV électrique lancé en 2022 et développé sur la plate-forme e-TNGA, simplement adaptée à l’électrique et dont les performances et les ventes se sont révélées décevantes. 

Une dispersion des investissements qui inquiète

Le constructeur japonais est en retard dans le tout électrique par rapport à ses concurrents généralistes qui pour certains commencent tout de même à s’interroger sur le risque également de tout miser sur une seule technologie. Toyota préfère lui disperser ses investissements dans de nombreuses technologies. Il vient ainsi d’annoncer le développement de nouveaux moteurs thermiques, plus efficients et compatible avec des motorisations hybrides ou des bio-carburants, prévus pour l’année 2027. Et continue d’investir dans la voiture à hydrogène malgré l’échec de sa Toyota Mirai (moins de 200 ventes en avril 2024), pénalisée par un coût d’achat très élevé (plus de 70.000 euros) et la difficulté à mettre en place une infrastructure de recharge.

Ces choix interpellent car les besoins en investissement dans le VEB sont considérables et les ingénieurs du constructeur japonais ont constaté à leur dépens avec l’échec du bZ4X que leur savoir-faire dans l’hybride ne leur était de presque aucune utilité pour concevoir des véhicules 100% électriques. Et qu’il était également indispensable de disposer d’une plate-forme dédiée pour pouvoir optimiser la production et les performances de leur voitures.

Une accélération timide dans le 100% électrique à batteries

Le VEB n’est toutefois pas oublié dans les plans du groupe qui accélère malgré tout. Une dizaine de nouveaux véhicules à batterie seront lancés d’ici 2026 (sous les marques Toyota et Lexus) et surtout Toyota développe précisément une nouvelle plateforme dédiée au VEB pour 2026 pour pouvoir lancer une seconde génération de VE en 2026-2027 qui devront rivaliser avec les leaders du marché, Tesla ou les constructeurs chinois. En parallèle, le constructeur investit aussi dans les batteries avec une nouvelle génération prévue à partir de 2026 qui devrait offrir 800 km d’autonomie dans sa version Performance (chimie lithium-ion) et l’objectif de lancer en 2027-2028 des batteries solides qui pourraient promettre 1.200 km d’autonomie et des recharges en 10 minutes.

Pour Akio Toyoda, l’électrique à batteries ne dépassera pas 30% du marché mondial

Mais cette accélération n’est en rien un bouleversement de la stratégie du groupe. En janvier 2024, Akio Toyoda a à nouveau réitéré son scepticisme vis-à-vis du véhicule électrique en estimant que celui-ci ne dépasserait jamais plus de 30% du marché automobile mondial. Il reste convaincu qu’une nouvelle technologie viendra surpasser le VEB pour atteindre la neutralité carbone.

C’est un choix très différent de la plupart des concurrents du constructeur japonais. Les constructeurs chinois (BYD, SAIC, NIO ou le nouveau venu dans l’automobile Xiaomi), Tesla ou même les autres constructeurs historiques (Volkswagen, Renault, Ford, etc.) misent eux tout ou presque sur le 100% électrique. Les deux prochaines années devraient voir une avalanche de nouveaux modèles avec des performances en hausse et des prix en baisse.

Reste à savoir si la panne de croissance du véhicule électrique constatée au premier semestre 2024 en Europe et aux États-Unis sera passagère. Le risque est néanmoins réel pour Toyota. A force de ne pas vouloir mettre tous ses œufs dans le même panier, le constructeur pourrait ne pas avoir fait le bon choix ou d’arriver après la bataille. 

Des scandales à répétition

Toyota est par ailleurs assailli par plusieurs scandales de fraude depuis 2022 qui choquent les Japonais et les clients de la marque jusqu’alors synonyme de fiabilité. Sa filiale Daihatsu a ainsi truqué ses tests de sécurité (airbags, appui-têtes, collision piéton, etc.) depuis plus de 20 ans. Toyota Industries ou Hino ont truqué les tests de certification de leurs moteurs (gaz d’échappement, consommation, etc.) depuis des dizaines d’année. Le coût pour l’entreprise n’est pas négligeable avec l’arrêt immédiat des livraisons de véhicules (qui reprennent petit à petit une fois les certifications validées convenablement) et les coûts d’indemnisation et de réparation. 

En mai, c’est Toyota qui a été directement visé par une enquête pour des tests de sécurité falsifiés, notamment dur les modèles Yaris et Corolla. Un danger pour l’image de marque du constructeur dont le succès tient historiquement à la loyauté de ses clients.

Une gouvernance considérée comme dysfonctionnelle

Plus que les fraudes ou dysfonctionnements en eux-mêmes, c’est la culture et la stratégie de l’entreprise qui les ont permis qui inquiètent. Le constructeur se dispersant dans de multiples technologies et projets d’investissement, de nombreux salariés du groupe, de ses filiales ou de ses fournisseurs témoignent de projets de R&D et de développements menés avec des budgets et des délais trop contraints. Soumis à une pression maximale pour respecter le calendrier et le budget, les employés ont tendance à bâcler les tests et procédures de certification. 

La gouvernance dysfonctionnelle avec la présence forcément envahissante du descendant du fondateur, Akio Toyoda, toujours très influent, est aussi pointée du doigt. Selon l’avocat spécialisé en fraude et gouvernance des entreprises Nobuo Gohara « Certes, les résultats sont très bons. Mais personne n’ose rien dire au président Toyoda. La gouvernance ne fonctionne pas ! Si jamais le climat des affaires changeait rapidement et que le groupe faisait face à une crise, il y a un risque de déclin accéléré. » 

Akio Toyoda a multiplié les excuses publiques, promis d’assister aux assemblées générales des 17 filiales du groupe Toyota et de renforcer la gouvernance et les contrôles internes mais la défiance à son égard est désormais de mise comme l’a traduit le vote contesté pour sa réélection au poste de président.

La bataille en Asie du Sud-Est face aux constructeurs chinois dessinera l’avenir

Fort de sa technologie hybride et de sa présence mondiale, le constructeur nippon avec à sa tête Koji Sato (directeur général) reste une puissance automobile de premier plan. Il ne risque sans doute pas un effondrement brutal mais peut-être de perdre à moyen terme son trône de 1er constructeur mondial.

Les ventes de Toyota en Chine, désormais le premier marché du VE, sont en chute libre (-27 en avril 2024 vs. 2023) et les premières anicroches à sa domination peuvent s’observer dans ce qui est encore, avec les autres constructeurs nippons, son pré-carré : l’Asie du Sud-Est. Les constructeurs chinois investissent massivement au Vietnam, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie qui pourraient suivre une trajectoire de conversion au tout électrique à la chinoise. En Thaïlande, l’électrique représente déjà 8% de part de marché, à 90% pour les constructeurs chinois, BYD en tête qui va y construire une usine cette année. 

Ce sont donc les performances de Toyota en Asie du Sud-Est au cours des deux prochaines années qui pourraient servir de juge de paix et dessiner le futur du groupe. Si les constructeurs chinois et leurs véhicules électriques parviennent à s’imposer dans cette région, alors l’avenir s’annonce difficile Toyota. S’il parvient au contraire à rester dominateur, notamment grâce à ses hybrides et ses nouveaux moteurs thermiques, c’est que sa stratégie aura été la bonne.

La rédaction