Il y a trois ans, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait qualifié dans un rapport passé inaperçu l’hydroélectricité de « géant endormi ». Elle fournit encore bien plus d’électricité que l’éolien ou le solaire. Elle répond à plus de 50% de la consommation nationale d’électricité dans 35 pays dont 28 dits émergents dont les populations cumulées représentent 800 millions d’habitants. Et les infrastructures construites en presque quasi-totalité au siècle dernier ont, si elles sont bien entretenues, une durée de vie d’au moins un siècle. L’ère des grands barrages est néanmoins terminée dans le monde, compte tenu à la fois des investissements nécessaires et de leur impact sur les populations et l’environnement. La construction de grands barrages sur la planète est passée d’un pic d’environ 1.500 par an à la fin des années 1970 à 50 par an en 2020…
Mais cela ne retire rien aux avantages de l’hydroélectricité, à savoir être à la fois renouvelable et pilotable. Contrairement à l’éolien et au solaire, sa production répond à la demande et est même la plus rapide à solliciter. Il faut quelques minutes à peine pour ouvrir les vannes, faire tourner les turbines et alimenter le réseau. Elle dépend aussi de la météorologie, la pluviosité, mais avec une capacité à la gérer dans le temps, contrairement au vent et à l’ensoleillement, par le fait que les barrages permettent par définition de stocker mécaniquement de l’électricité.
Des projets en Chine, en Suède, au Canada…
C’est cette capacité qui fait encore aujourd’hui la force de l’hydraulique. Car c’est en fait la seule solution technique permettant de stocker de l’électricité à une grande échelle et sur relativement longue période via les STEPs (Stations de transfert d’énergie par pompage). Leur principe est simple. Deux réservoirs d’eau situés à des hauteurs différentes peuvent stocker ou produire de l’énergie lorsque l’eau se déplace entre les deux réservoirs en passant par une turbine. Quand l’électricité est surabondante et peu chère, les pompes remontent l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. En revanche, quand la demande d’électricité est forte les eaux du bassin supérieures sont relâchées.
Ainsi, après une longue phase de déclin dans l’ombre des surmédiatisés et surévalués renouvelables intermittents et aléatoires (éolien et solaire), l’hydraulique bénéficie d’un regain d’intérêt. Cela tient à la fois à la nécessité de produire de l’électricité bas carbone mais également aux progrès techniques, à l’optimisation des installations existantes et à la multiplication de projets hydroélectrique de petite taille en lieu et place des « cathédrales » du XXème siècle.
Le marché de l’hydroélectricité est évalué à 251,58 milliards de dollars cette année et pourrait atteindre en valeur 356,36 milliards de dollars d’ici 2031, avec un taux de croissance annuel moyen de 5,1% entre 2024 et 2031 au fur et à mesure que des pays lanceront des projets alternatifs d’électricité bas carbone.
En ce qui concerne l’hydroélectricité par pompage, les STEPs, la Chine domine largement le marché mondial. La capacité installée d’hydroélectricité dite par pompage-turbinage de la Chine a atteint 50,94 millions de kW à la fin de l’année dernière. Plus impressionnante est la capacité des projets approuvés qui s’élevait à 179 millions de kW supplémentaires à la fin de l’année dernière.
L’impact des sécheresses
La Suède est un autre marché où l’hydroélectricité occupe une place très importante. Elle fournit environ 45% de la production d’électricité du pays contre 12% en France. En 2023, Vattenfall, la plus grande compagnie hydroélectrique de Suède, a annoncé son intention d’augmenter la capacité de ses centrales hydroélectriques de 720 MW grâce au déploiement de quatre projets dans le nord et le centre du pays.
Au Canada, qui bénéficie également d’un potentiel hydroélectrique important, les projets se multiplient. Un nouvel équipement installé au sud-ouest de Montréal produit suffisamment d’électricité pour alimenter près de 400 000 foyers, et il existe plusieurs autres projets hydroélectriques au Québec. La province est une plaque tournante de l’hydroélectricité, avec 61 centrales qui en font un exportateur majeur d’électricité bas carbone.
Si plusieurs pays craignent à juste raison l’impact négatif des sécheresses sur leur production d’énergie hydroélectrique dans le cadre de projets conventionnels, d’autres trouvent des moyens novateurs de développer leur capacité hydroélectrique. Les investisseurs se tournent de plus en plus vers des projets hydroélectriques à petite échelle pour surmonter les obstacles financiers à l’accès à l’énergie hydroélectrique. Ces projets peuvent être développés dans des communautés rurales et s’appuient largement sur le « cours de la rivière » ou l’écoulement naturel de l’eau plutôt que sur un barrage. Bien que cela signifie que la production d’énergie peut fluctuer en fonction de la saison, l’impact sur les écosystèmes de la région est réduit.
Oublié en France
Mais en France, l’hydroélectricité est aujourd’hui négligée. Il n’y a plus d’investissements faute de soutien public réservé à l’éolien et au solaire… Et pourtant la modernisation des équipements existants pourrait permettre d’augmenter fortement et durablement la production électrique renouvelable décarbonée. De par sa géographie, la France est richement dotée en reliefs et en cours d’eau favorable à cette source d’énergie. Durant les premières décennies du 20ème siècle, celle-ci a été l’une des premières à accompagner le développement de l’électricité sur le territoire, d’abord en direction de l’industrie, puis des particuliers. Cependant, ce développement s’est brutalement arrêté il y a environ 40 ans, laissant même certains chantiers, comme la STEP (Station de transfert d’énergie par pompage) de Redenat, à mi-travaux.
Des obstacles politiques, les écologistes radicaux
L’hydroélectricité est confrontée en France à de sérieux problèmes juridiques, avec le conflit sur les concessions qui ne cesse d’empoisonner les relations entre EDF, l’Etat Francais et la Commission Européenne. Il y a ensuite l’équation économique difficile à résoudre. Avec l’absence pour l’instant d’un mécanisme de rémunération de capacité : un barrage représente des coûts fixes importants, et une source de production amenée à être appelée en dernier ressort, l’eau étant précieuse. Il offre donc un service primordial au réseau, mais celui-ci n’est pas rémunéré, au contraire de la (faible quantité) d’énergie produite. Ce qui nuit à la rentabilité des équipements.
L’obstacle sociétal est encore plus grand. Tout le monde est aujourd’hui conscient que le moindre chantier de barrage entraînerait la création d’une ZAD. Et s’il paraissait acceptable dans les années 1960 d’évacuer des villages entiers pour bâtir des lacs artificiels car l’intérêt supérieur le commandait, rares sont ceux qui aujourd’hui oseraient prendre ce type de risques politiques.