La remontée des taxes sur l’électricité en février dernier était à la fois logique et nécessaire sur le plan des recettes fiscales. Abaissées au minimum en février 2022 pour limiter le choc de l’inflation et de la crise énergétique née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité (TICFE) avait été ramenée de 32€/MWh à 0,5€/MWh, c’est-à-dire presque rien. Il s’agissait alors de ce que le gouvernement avait présenté comme le « bouclier tarifaire ».
N’étant plus vraiment nécessaire, il a été raboté au début de l’année et les taxes sur l’électricité sont remontées en février à 22€/MWh entraînant alors une hausse du prix du tarif réglementé de l’électricité d’environ 10%. Maintenir un régime d’exception instauré durant la crise et qui a coûté 110 milliards d’euros à l’Etat de 2021 à 2023 ne pouvait plus se justifier. A fortiori, quand on voit aujourd’hui la situation catastrophique des finances publiques dans un pays particulièrement mal géré.
Rappelons que la TICFE, appelée également « contribution au service public de l’électricité » devait, au moment de sa création en 2004, corriger les surcoûts générés par les charges de service public supportées par les énergéticiens. Depuis 2022, elle est intégralement reversée au budget de l’État…
Une fiscalité sur l’électricité supérieure à celle sur le gaz naturel…
Mais ce n’est pas le plus critiquable. Ce qui l’est, est l’inertie du tarif réglementé de l’électricité, dont le coût de fourniture est resté stable au début de l’année au moment même où les prix de marché s’effondraient pour revenir, eux, à la normale. On a assisté alors à une aberration dont Bercy a le secret : la fiscalité sur l’électricité est ainsi remontée plus haut et plus vite que celle sur… le gaz naturel. Cherchez l’erreur ! Pourtant, la stratégie de transition énergétique française consiste en théorie à réduire la consommation de gaz importé pour limiter à la fois le déficit commercial et les émissions de CO2 en poussant à l’électrification des usages. Mais la politique fiscale française favorise le gaz par rapport à l’électricité produite en France. Vous avez dit incohérence.
Aujourd’hui se profile, en février prochain, la deuxième étape de ce retour à la normale. Avec la disparition totale du bouclier tarifaire, les taxes sur l’électricité vont revenir de 22€/MWh à 32€/MWh, leur niveau d’avant la crise. Cette hausse est annoncée et la baisse importante des prix de gros de l’électricité en Europe et en France devrait permettre de la rendre indolore et même de permettre une baisse non négligeable des prix de l’électricité pour les consommateurs. A moins que…
Une augmentation supérieure l’année prochaine de la TICFE aux 10€/MWh prévus
Car le ministère de l’Economie et des Finances, qui tente par tous les moyens de limiter le déficit budgétaire du pays, pourrait profiter de la situation. Il a ainsi lancé via Le Parisien un ballon d’essai dans les médias lors des derniers jours. Le gouvernement pourrait augmenter l’année prochaine les taxes sur l’électricité au-delà de la hausse prévue de 10€/MWh ce qui aurait pour conséquence d’aller jusqu’à potentiellement annihiler pour les consommateurs l’impact de la baisse des tarifs de gros.
Une hausse des factures pour les foyers et les commerçants et artisans n’étant pas au tarif réglementé
La baisse potentielle de 25% du tarif réglementé de l’électricité devrait finalement être ramenée à 9% avec le retour à la normale des taxes. Mais elle pourrait être encore rabotée. Et pire, les foyers et les commerçants et artisans qui ne sont pas au tarif réglementé pourraient eux se retrouver avec une hausse importante de leur facture électrique.
Des particuliers aux petites entreprises, tout le monde est concerné par la hausse de la TICFE : les abonnés au tarif réglementé d’EDF (le tarif dit bleu, le tarif heures pleines/heures creuses, ou l’offre Tempo), soit plus de 20 millions de clients, mais aussi les particuliers et professionnels qui ont souscrit une offre de marché à prix fixe ou variable chez un fournisseur alternatif.
Une mise en garde de la ministre de la Transition écologique et de l’Énergie
Au point que même la ministre de la Transition écologique et de l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a mis en garde dimanche 6 octobre sur France 3 contre « le risque » d’aller trop loin dans l’augmentation de la taxe sur l’électricité. « Si on va au-delà (des 32 MWh), le risque, c’est qu’effectivement il y ait une augmentation de prix de l’électricité. Il faut être très vigilant parce que les Français modestes et les classes moyennes (…) auront la double peine. Ce sont souvent elles qui vivent dans des passoires thermiques ».
A l’heure où la demande électrique est en berne et où le spectre de la surproduction pointe à nouveau son nez, la réponse normale serait de baisser les prix afin de stimuler la consommation. Faire tout l’inverse, c’est mettre en péril les objectifs d’électrification et donc de décarbonation.
Basculer vers les tarifs réglementés
Comment inciter à démonter les chaudières à gaz lorsque celui-ci est favorisé fiscalement et que son coût devient – du fait de la fiscalité – inférieur à celui d’une pompe à chaleur ? Comment peut-on justifier la relance de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires quand, dans le même temps, on limite de fait la demande d’électricité et limite l’utilité de ces nouvelles capacités de production ?
C’est normalement le Parlement qui va trancher cette question lors de l’examen du budget dans les prochains jours. Tout en mettant en garde, le ministère de la Transition écologique et de l’Énergie a tout de même aussi affuté des arguments en faveur de la super augmentation de la TICFE. « Les 20% (de clients) qui ont des tarifs non réglementés peuvent tout à fait basculer vers des tarifs réglementés »…
Philippe Thomazo