La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait une entrée en fonction qu’elle voulait spectaculaire. Elle a présenté la semaine dernière un plan pour le climat, le New Green Deal, dont l’objectif est de faire de l’Union Européenne la première région du monde à atteindre en 2050 la neutralité carbone. Et elle l’a fait avec emphase. «C’est un moment européen comparable à celui de l’homme qui marche sur la Lune», a-t-elle déclaré le 11 décembre, peu avant de détailler son plan constitué d’une cinquantaine de mesures.
Il s’agit, entre autre, de réduire les émissions de gaz à effet de serre des transports de 90% d’ici 2050. Pour cela, un million de stations de recharge pour 13 millions de véhicules propres ou à faible émission seront créées. D’ici à 2030, la part des énergies renouvelables devra passer de 20 à 32%. L’efficacité énergétique devra être améliorée de 32,5% en dix ans.
Le volet financier du plan est aussi essentiel. Ursula von der Leyen a mis 100 milliards d’euros sur sept ans dans la balance pour lever les réticences de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, trois pays très dépendants des énergies fossiles. Seule la Pologne n’a pas cédé. Ces 100 milliards s’ajoutent aux promesses de la Banque Européenne d’investissements. Cette dernière a déjà annoncé mobiliser 1.000 milliards d’euros sur dix ans pour financer la «nouvelle stratégie de croissance». Mais la Commission européenne reconnait que les besoins de financement seront encore plus élevés. Il faudra au moins 260 milliards d’euros d’investissement supplémentaires par an d’ici à 2030 et ils ne pourront provenir que des budgets nationaux.
Sauver l’industrie et la production européennes
Mais le principal écueil n’est pas financier. L’Europe ne peut pas transformer son économie, son outil de production, son industrie et son mode de vie, seule, en ignorant le reste du monde. Elle doit impérativement protéger ses entreprises qui seront soumises à des contraintes beaucoup plus importantes que leurs concurrents. Si elle ne le fait pas, l’Union Européenne court à la catastrophe économique et sociale.
La Commission a une réponse, la mise en place d’un «mécanisme inclusif du carbone» (MIC) qui a toute les apparences, sans jeu de mot, d’une usine à gaz. L’idée à l’origine était d’instaurer une «taxe carbone aux frontières». Elle se trouve, par exemple, dans le discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne en 2017. Elle a évolué vers cette nouvelle forme qui n’est plus une taxe carbone mais un mécanisme de compensation aux frontières qui a le mérite d’être plus «acceptable». Une taxe carbone sur les produits importés a toutes les chances d’être incompatible avec les règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Ces règles stipulent que des produits identiques ne peuvent pas être discriminés s’ils proviennent de producteurs étrangers par rapport aux producteurs domestiques.
Le MIC reposera sur le système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2 (dit ETS, Emission Trading System). Il fixe d’ores et déjà des limites aux émissions de dioxyde de carbone des entreprises les plus polluantes. Soit elles font un effort pour réduire leurs émissions, soit elles achètent sur le «marché du carbone» des droits à émettre du CO2 auprès des entreprises qui, elles, ont émis moins de carbone que prévu. De sorte que les entreprises les plus vertueuses en tirent un bénéfice. L’ETS doit alimenter un cercle vertueux dans l’industrie européenne. Il s’applique aux 11.000 sites industriels en Europe considérés comme étant les plus grands consommateurs d’énergie. Chaque année, les émissions de CO2 doivent diminuer, de 1,74% actuellement, et de 2,2% par an entre 2021 et 2030.
Mais à quoi bon réduire les émissions de carbone en Europe si les industries, pour éviter les quotas, délocalisent leur production? Cela s’appelle en langage imagé les «fuites de carbone». Autre problème, les industriels européens qui font des efforts pour réduire leurs émissions de carbone seront incapables de faire face à la concurrence de groupes qui en dehors de l’UE n’auront pas les mêmes obligations, les mêmes contraintes et les mêmes augmentations de coûts. Le MIC doit permettre d’imposer au monde entier le système européen et de régler à la fois le problème des «fuites de carbone» et de la compétitivité européenne. Il pourrait commencer à fonctionner en 2021 dans quelques secteurs clés de l’industrie lourde comme l’acier, l’aluminium et le ciment.
Usine à gaz et guerre commerciale
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, le MIC s’annonce particulièrement difficile à mettre en place et pourrait également déclencher une guerre commerciale. Le Conseil d’analyse économique considérait déjà il y a deux ans qu’une telle solution était trop complexe et créait de sérieux risques de mesures de rétorsion commerciales.
Comment connaître, par exemple, le contenu en carbone des produits importés? A fortiori, quand le produit est composite avec des éléments provenant de plusieurs pays et régions du monde, des matières premières à la fabrication, sans parler du recyclage? Et les pays soumis au MIC, à commencer par les Etats-Unis et la Chine, pourraient ne pas apprécier et mettre en place des mesures de rétorsion contre les exportations européennes. Autre problème apparemment insurmontable, les exportations européennes seront de fait à des prix plus élevés que leurs concurrents. Cette fois, la Commission n’a pas de réponse.
L’Europe d’Ursula von der Leyen, qui est très loin d’être le principal émetteur de CO2 dans le monde, avec moins de 10% des émissions planétaire, entend imposer son modèle vertueux au reste du monde. Mais en-a-t-elle la force économique et politique?