<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Taiwan : un autre cas d’école d’une politique énergétique sans boussole

10 octobre 2024

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Taiwan : un autre cas d’école d’une politique énergétique sans boussole

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L’île de Taiwan fait face à une crise énergétique majeure entre production électrique insuffisante, abandon du nucléaire, investissements insuffisants dans les renouvelables, dépendance aux importations de combustibles fossiles, menaces de blocus naval de la Chine et engagement de décarbonation totalement irréalistes. Au point de mettre en péril la prospérité de l’île et de faire peser une menace sur l’approvisionnement mondial en semi-conducteurs.

Il n’y a pas que l’Allemagne à avoir mené depuis des années une politique énergétique à la fois inefficace sur le plan climatique et dangereuse sur le plan économique, social et politique. Taiwan se trouve dans le même cas de figure en ayant quasiment abandonné le nucléaire en le remplaçant de fait comme moyen de production d’électricité pilotable par des centrales à charbon et au gaz. Comme en outre Taiwan n’est pas comme l’Allemagne victime d’une désindustrialisation et ne peut pas bénéficier de l’électricité produite par des voisins qu’elle n’a pas, l’île fait face à un risque considérable de pénuries qui met en danger ses géants industriels, notamment dans les semi-conducteurs.

Et cela pourrait avoir des conséquences planétaires. Car la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) produit au moins 90% des puces informatiques les plus perfectionnées au monde. Collectivement, les entreprises taïwanaises détiennent 68% de la production mondiale de puces électroniques…

Une crise multiforme

Une activité stratégique menacée par une crise énergétique aux multiples facettes. L’île dépend totalement des importations de combustibles fossiles. Elle affiche des objectifs ambitieux de décarbonation totalement irréalistes qu’elle ne parvient pas à atteindre. Et ses capacités de production électrique sont insuffisantes.

Il y a plus de 23 millions d’habitants à Taïwan qui consomment presque autant d’énergie par personne que les Américains. Une statistique trompeuse. La part du lion de cette consommation – 56 % – va à l’industrie et plus particulièrement celle des semi-conducteurs. L’entreprise TSMC utilise à elle seule environ 9% de l’électricité produite à Taïwan.

Augmenter les capacités de production est très difficile à Taiwan

Et ce n’est qu’un avant-goût de ce que le développement rapide de l’IA (Intelligence Artificielle) va nécessiter comme énergie. Selon les estimations de Greenpeace, l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs pourrait consommer d’ici 2030 deux fois plus d’électricité que l’ensemble de la Nouvelle-Zélande en 2021. L’essentiel de cette demande d’énergie, environ 82%, selon le rapport, proviendra de TSMC.

Augmenter rapidement les capacités de production d’électricité n’est pas chose facile à Taiwan. L’île est confrontée à une multitude de difficultés liés à sa sécurité nationale, son climat et des contraintes politiques. Elle dépend des importations de combustibles fossiles pour environ 90% de son énergie et vit sous la menace permanente d’un blocus ou d’une invasion de la Chine. Et pour des raisons politiques, le gouvernement s’est engagé à fermer son dernier réacteur nucléaire en service d’ici la fin de l’année prochaine. Dans le même temps, les problèmes d’approvisionnement en électricité deviennent criants. Le pays a connu récemment deux blackouts majeurs : un en 2021 qui a touché TSMC et 6,2 millions de foyers pendant cinq heures, et un autre en 2022 qui a touché 5,5 millions de foyers.

La marge d’exploitation potentielle du réseau électrique – la différence entre l’offre possible et la demande – devrait être de 25% pour assurer sa solidité. Mais il est arrivé à plusieurs reprises cette année que cette marge soit réduite à 5%.

83% de l’électricité vient des fossiles

L’année dernière, la production d’électricité de Taïwan dépendait à 83% des combustibles fossiles. Le charbon représentait environ 42%, le gaz naturel 40 % et le pétrole 1%. Le nucléaire fournissait 6 % de la production, et le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité et la biomasse près de 10% à eux trois.

Les fossiles sont importés par voie maritime, ce qui laisse l’île à la merci des fluctuations des prix internationaux et d’un éventuel blocus de la Chine. Le gouvernement a cherché à protéger les consommateurs de la hausse des prix mondiaux, mais cela s’est traduit par un endettement croissant de la Taiwan Electric Power Company (Taipower), le fournisseur national. En cas de blocus, Taïwan pourrait compter sur environ six semaines de réserves de charbon, mais guère plus d’une semaine de gaz naturel liquéfié (GNL). Étant donné que le GNL assure plus d’un tiers de la production d’électricité, l’impact serait immédiat.

Des progrès trop lents des renouvelables et l’abandon du nucléaire

Le gouvernement s’est donné par ailleurs des objectifs de décarbonation intenables. La feuille de route « 2050 net-zéro » publiée par le Conseil national de développement de Taïwan en 2022 promettait de fermer le secteur nucléaire d’ici 2025. La même année, la part du charbon devait être ramenée à 30%, celle du gaz à 50% et celle des énergies renouvelables à 20%. Aucun de ces objectifs ne sera atteint.

Et les progrès en matière d’énergies renouvelables sont lents. Le développement de l’énergie solaire est freiné par le manque de surfaces disponibles. Taïwan a autant d’habitants que l’Australie, consommons la même quantité d’électricité, mais son territoire montagneux à 79% fait la moitié de la taille de la Tasmanie…Il y a pourtant une ressource renouvelable que la nation possède en abondance : le vent. Le détroit de Taïwan bénéficie de la plus grande quantité d’énergie éolienne au monde disponible à proximité d’une population et dans des eaux de faible profondeur. Mais le développement est entravé par la volonté du gouvernement d’échapper aux producteurs d’équipement étrangers qui a imposé de lourdes exigences en matière d’utilisation de produits et de travailleurs taïwanais. Le pays n’est pas capable aujourd’hui de répondre à une demande urgente.

Mettre fin à l’indécision

Et du côté du nucléaire, la situation est tout aussi catastrophique. Sur les six réacteurs nucléaires du pays, trois sont aujourd’hui à l’arrêt presque définitifs, deux ont vu le processus de remise en service interrompu après un referendum contre l’énergie nucléaire et le seul qui fonctionne devrait fermer 2025. Les réacteurs fermés n’ont pas encore été déclassés, notamment parce que Taïwan n’a pas assez de capacité de stockage des déchets…

Il est difficile de trouver une situation énergétique marquée par autant d’indécision et de d’incapacité à prévoir et anticiper. Le gouvernement de Taiwan va devoir et vite prendre des décisions d’investissements s’il ne veut pas mettre en péril la prospérité de l’île.

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