Vendu 30 à 40% moins cher que l’essence dans un nombre grandissant de stations-service, le carburant Superéthanol-E85 a vu sa consommation s’envoler l’an dernier. Les ventes de ce carburant fabriqué avec un mélange d’alcool d’origine agricole et d’essence ont augmenté de 83% en 2022 avec 854 millions de litres écoulés. Il a représenté 6,5% du marché des essences –contre 4% en 2021– et est disponible maintenant dans une station-service sur trois avec 3.500 points de distribution sur le territoire. Toujours l’an dernier, 113.000 véhicules ont été convertis officiellement au Superéthanol et les ventes de véhicules neufs compatibles d’origine avec ce carburant ont bondi de 70% passant de 45.500 à 77.000.
Si le bioéthanol coûte moins cher que les carburants pétroliers, c’est que la fiscalité qui lui est appliquée est réduite, notamment parce que son utilisation émet moins de CO2 que les carburants traditionnels. Elle est de l’ordre de 11,83 centimes par litre contre 68,29 centimes pour le SP95. Le bioéthanol consommé en France représente «près de 1,8 million de tonnes de CO2 évitées», affirme Sylvain Demoures, secrétaire général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), citant comme source la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Et la filière se montre toujours très optimiste. Elle vise les 8% de part de marché pour l’E85 en 2023.
La fin de l’âge d’or
Pour autant, le Superéthanol devient de moins en moins compétitif et a connu une hausse de son prix de 50% en un an. Elle lui a fait largement dépasser 1 euro par litre. Il se situe maintenant à plus de 1,15 euro à comparer à 0,75 euro l’an dernier à la même époque. Et cette hausse a de grandes chances d’être pérenne.
Le Superéthanol est un mélange de carburant fossile traditionnel, de l’essence, et d’éthanol fabriqué avec de l’alcool issu de plantes riches en sucres comme la betterave (voir la photographie ci-dessus), cultivée massivement dans le Nord, et le maïs et le blé venant plutôt des exploitations du Sud-Ouest. Sa dénomination E85 indique en théorie une proportion de 85% d’éthanol et de 15% d’essence. En fait, cette proportion varie tout au long de l’année notamment parce que pendant la saison froide il est nécessaire d’avoir une plus grande proportion d’essence pour que les moteurs ne rencontrent pas de problèmes de combustion. En hiver, la proportion d’éthanol dans l’E85 descend autour de 65%. Et il faut que la température revienne autour de 13 degrés pour qu’un carburant avec une proportion de 85% d’éthanol s’enflamme correctement.
Problème, le processus de distillation permettant de produire l’éthanol nécessite de grandes quantités de gaz naturel dont il n’a échappé à personne que les cours se sont envolés… Il faut y ajouter évidemment le renchérissement mécanique des prix du maïs, de la betterave et du blé, liés à l’invasion de l’Ukraine et à l’inflation, notamment du prix des engrais et des pesticides eux-aussi fabriqués avec du gaz naturel et du pétrole. On peut aussi y ajouter un phénomène franco-français qui va pénaliser fortement la production de betteraves sucrières, à savoir la décision du gouvernement de ne pas accorder une troisième dérogation permettant aux betteraviers d’utiliser des insecticides néonicotinoïdes. Il existe donc aujourd’hui un risque de devoir importer de l’éthanol pour produire l’E85 en quantités suffisantes…
Entre 30.000 et 40.000 kilomètres pour rentabiliser l’investissement dans un boitier
La vraie question pour l’automobiliste est de savoir au bout de combien de kilomètres le passage au Superéthanol devient une opération rentable. Il faut prendre en compte l’achat du boitier électronique permettant d’ajuster le système d’injection du moteur et son installation impérative par un professionnel agréé. Cela représente entre 800 et 1.600 euros, mais certaines régions les subventionnent comme l’Île-de-France ou la Provence-Alpes-Côte d’Azur à hauteur de 500 euros, tout comme le département de l’Oise et certaines communes. Il faut y ajouter le changement de carte grise, même si la part régionale de la carte grise est réduite à zéro dans la plupart des régions et surtout la hausse de consommation, en moyenne de 25%, de tous les véhicules fonctionnant au Superéthanol liée tout simplement à la moindre densité énergétique de ce carburant.
Cela se traduit par le fait qu’il faut parcourir, aux conditions actuelles d’écart de prix entre les carburants et selon les véhicules, entre 30 à 40.000 kilomètres, pour rentabiliser l’investissement. Et il faut y ajouter un risque supplémentaire négligé, celui de l’usure plus grande du moteur, un risque évidemment minimisé par les professionnels du secteur mais qui est bien réel…
L’éthanol contrairement à l’essence absorbe l’eau et accélère ainsi la corrosion d’un certain nombre d’éléments mécaniques notamment liés au système d’injection. L’éthanol a aussi des capacités détergentes supérieures à l’essence qui peuvent décoller des dépôts situés dans le réservoir ce qui n’est pas sans conséquences problématiques sur le circuit d’alimentation. Un véhicule conçu d’origine pour fonctionner avec de l’E85 peut donc être un choix plus judicieux. Mais seuls Ford et Jaguar Land Rover le propose dans leurs gammes.