Évoquée depuis de nombreuses années, la « transition énergétique » serait-elle en train de prendre forme ? Aujourd’hui, l’objectif pour de nombreux pays est de transformer leur système économique pour ne plus émettre de CO2 à une échéance donnée : 2050 en France et en Europe, 2060 en Chine par exemple.
Les principaux moyens d’y parvenir (la production d’énergie renouvelable et l’électrification de nombreux usages) sont précisés et des plans de déploiement sont dévoilés. Malgré tout, le chemin est encore long. En France, les prototypes, démonstrateurs et filières industrielles tardent à s’initier, notamment vis-à-vis du stockage d’énergie, pourtant un pilier clé pour le développement des énergies renouvelables. Afin de créer un vrai écosystème industriel français capable de répondre à ces besoins, il est important de soutenir la R&D et le déploiement de solutions adaptées.
En route vers une électricité renouvelable… mais variable
Aujourd’hui, en Europe (EU27), plus de 70 % de l’énergie primaire consommée est encore d’origine fossile. Deux secteurs en sont particulièrement dépendants : les transports et la production de chaleur. L’électrification a pour but d’introduire le vecteur électricité dans des secteurs où celle-ci était peu présente. Pour le transport, cela passe par le remplacement des véhicules thermiques (fossiles) par de l’électrique. Pour la chaleur, cela passe principalement par un transfert des vecteurs fioul et gaz vers l’électricité, notamment avec les pompes à chaleur.
On a donc besoin d’électricité et surtout d’électricité produite par des moyens renouvelables.
Rien de nouveau a priori ? Les feuilles de route indiquent, tout de même, un besoin de développement d’éolien et de photovoltaïque considérable. En 2050, ces technologies devront ainsi fournir 4.000 TWh d’électricité en Europe, contre moins de 1.000 TWh aujourd’hui.
Pour les produire, il est donc nécessaire d’investir massivement dans de nouveaux projets. Aujourd’hui, les pionniers du renouvelable sont rejoints par de nouveaux acteurs, comme les grandes majors pétrolières qui prennent le virage de la transition énergétique. Ainsi, TotalEnergies et BP ambitionnent d’installer respectivement 100GW et 50GW d’énergies renouvelables d’ici 2030.
Dans cette massification de la production d’électricité renouvelable, outre les problématiques de ressources minérales et de consolidation du tissu industriel indispensables à ce développement, il est important de prendre en compte la variabilité de la production de ces technologies.
Des mix de production d’électricité 100 % renouvelables sont possibles. Mais ceux-ci reposent majoritairement sur les productions photovoltaïque et éolienne, qui sont par nature des technologies qui dépendent des conditions de vent et d’ensoleillement. On dit que la production est variable, en opposition à la production des centrales à gaz, par exemple, qui est pilotable en fonction de la demande.
La nécessité de réseaux flexibles et adaptables
Or, dès lors qu’une part importante de la production est variable, la stabilisation du réseau électrique se complexifie. Il faut, en effet, garantir à chaque instant que la puissance électrique injectée sur le réseau est égale à la puissance consommée. Il est donc nécessaire d’augmenter les capacités de flexibilité du réseau, c’est-à-dire trouver des moyens permettant de faire coïncider l’électricité injectée sur le réseau et l’électricité consommée.
Ce besoin de flexibilité peut être exprimé avec un critère temporel, induit par la nature du mix de production électrique. Par exemple, à l’échelle d’un jour, la production d’électricité photovoltaïque va fortement varier : en début d’après-midi, cette production pourra dépasser la demande, tandis qu’en soirée, elle ne sera pas suffisante. La flexibilité souhaitée dans ce cas correspond donc à augmenter la consommation durant le pic de production et diminuer la demande lors des moments de production faible.
Autre exemple à l’échelle saisonnière, la production d’électricité éolienne est plus importante en hiver qu’en été. De la même façon, en hiver cette production pourra dépasser la demande tandis qu’en été, elle pourrait ne pas être suffisante. La flexibilité souhaitée dans ce cas correspond donc à augmenter la consommation durant l’hiver et diminuer la demande en été.
Finalement, on peut définir plusieurs échelles temporelles : intra-quotidien, intra-hebdomadaire, inter-hebdomadaire et inter-saisonnier. Afin de répondre économiquement à l’ensemble de ces temporalités, un panel de solutions est proposé aujourd’hui.
Le moyen de flexibilité le plus économique consiste à adapter la consommation en fonction de la production. Ce principe existe déjà depuis plusieurs années, par exemple avec le pilotage de nombreux ballons d’eau chaude qui s’activent la nuit, ou certains process industriels qui s’effacent lors de pic de consommation.
Demain, cette flexibilité sera complétée par de nouveaux potentiels, issus par exemple de l’électrification du transport. Ainsi, un pilotage optimisé et/ou globalisé de la charge des véhicules électriques déclenchés lors des moments de surproduction électrique pourra permettre, lors des déficits de production, de diminuer la consommation sur le réseau en déchargeant ces véhicules. Dans ce cas, un foyer ou même un quartier pourrait être alimenté, au moins en partie, par de l’électricité ne provenant pas du réseau.
Il est nécessaire de développer le stockage d’énergie
Un autre moyen de flexibilité, plus onéreux mais n’impactant pas les usagers est le stockage d’énergie.
Par exemple, le stockage d’énergie pour la modulation intra-journalière est souvent assimilé aux batteries électrochimiques. Ceci s’explique car, tirée par la demande des véhicules électriques, les batteries sont disponibles en nombre et à un coût de grande série.
Toutefois, les besoins pour la mobilité diffèrent des besoins pour la flexibilité du réseau. Ainsi, une batterie dans un véhicule dimensionnée pour 300km et effectuant 1.000 cycles de charge/décharge permettra au véhicule de réaliser 300.000km, ce qui est généralement suffisant pour un véhicule utilisé sur une vingtaine d’années. Pour la flexibilité du réseau électrique, il est question de système de stockage pouvant effectuer jusqu’à un cycle par jour : les 1.000 cycles seraient réalisés en moins de 3 ans.
D’autres technologies de stockage massif d’électricité sont aussi pertinentes, comme les technologies stockant l’énergie sous forme mécanique (les Stations de Transfert d’Énergie par Pompage ou STEP, sous forme de chaleur (les batteries Carnot) ou encore sous forme d’air comprimé (Advanced Adiabatic Compressed Air Energy Storage – AACAES).
Ces technologies « mécaniques » ont un impact environnemental bien plus faible que celui des solutions électrochimiques, ainsi qu’une structure de coût qui les rend moins chères à utiliser pour des temps longs de décharge de l’énergie stockée (c’est-à-dire des durées supérieures à 4h). Par exemple, le AACAES est un système de stockage massif pertinent pour des durées de décharge de l’ordre de 10h et à faible impact écologique.
À l’heure actuelle, certains défis de la transition énergétique, comme l’électrification de la mobilité, semblent bien être pris en compte par les pouvoirs publics. D’autres en revanche, comme le stockage d’énergie, semblent oubliés. Or, pour disposer demain des bonnes technologies et du bon tissu industriel et être ainsi apte à faire face aux défis de la transition écologique, il faut aider dès aujourd’hui les instituts de recherche et les entreprises à développer et démontrer leurs technologies de stockage massif de l’énergie.
David Teixeira Docteur en Mécanique et Energétique, Chef de projet stockage d’énergie, IFP Énergies nouvelles
Yannick Peysson Responsable de programme R&D, IFP Énergies nouvelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.