Il y a encore quelques années, le Sri Lanka était un pays dont la situation économique et sociale était loin d’être mauvaise Avec un Pib moyen par habitant de 4.000 dollars en 2018, il était classé par la Banque Mondiale dans la catégorie des nations dites «moyennes supérieures». Toujours en 2018, l’Ukraine avait un Pib par habitant de 3.000 dollars et l’Inde de 2.000 dollars.
Comme tout le monde le sait, Le Sri Lanka se trouve aujourd’hui dans une situation catastrophique. Le pays a subi un effondrement total, son gouvernement a sombré dans le chaos et ses citoyens désespérés en proie à la famine multiplient les émeutes dans les rues. Les pénuries massives d’énergie et une inflation hors de tout contrôle sont les principaux facteurs à l’origine de la crise avec la corruption et l’incompétence gouvernementale mais qui pour ses deux derniers éléments… n’ont rien de vraiment nouveau. L’inflation en juin au Sri Lanka était supérieure à 50%. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 80%. Un demi-million de personnes sont tombées dans la pauvreté extrême au cours de la dernière année.
Devenir le modèle du pays «vert», le premier 100% organique
Tout cela à cause, notamment, de décisions politiques aberrantes. Les dirigeants du Sri Lanka se sont laissés convaincre par les élites vertes occidentales des bienfaits de l’agriculture biologique et des investissements «ESG», qui prennent en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Résultat, le Sri Lanka est devenu le premier pays au monde 100% organique avec un score ESG presque parfait (98), il est même supérieur à celui de la Suède (96), de la France (81) et évidemment des Etats-Unis (51). Mais le Sri Lanka s’est effondré…
En tenant compte, évidemment, de facteurs spécifiques au Sri Lanka comme la corruption du gouvernement, des accords financiers irréfléchis avec la Chine, les interdictions insensées d’engrais et la soumission à des experts étrangers qui sont des apprentis sorciers, le Sri Lanka s’est effondré avant tout parce qu’il a mené une politique énergétique aberrante. Il a totalement oublié, comme les grands experts étrangers qui l’ont conseillé, que les engrais et la nourriture sont avant tout le produit de l’énergie consacrée à leur production. Si on décide brutalement de se passer de cette énergie au nom de grands principes, on court à la catastrophe. Le Sri Lanka vient d’en donner un exemple tragique.
Interdiction des engrais et pesticides chimiques
La plus grossière erreur à l’origine de l’effondrement du pays a été l’interdiction des engrais et des pesticides chimiques en avril 2021. Un tiers des terres agricoles du Sri Lanka se sont retrouvées à l’abandon en raison de l’interdiction des engrais. Plus de 90% des agriculteurs sri-lankais utilisaient des engrais chimiques avant leur interdiction. Après leur interdiction, 85% ont subi des pertes de récolte. Après l’interdiction des engrais, la production de riz a chuté de 20% et les prix ont grimpé en flèche de 50% en seulement six mois. Le Sri Lanka a dû importer pour 450 millions de dollars de riz alors qu’il était autosuffisant en céréales quelques mois plus tôt. Le prix des carottes et des tomates a quintuplé. S’il n’y a que 2 millions d’agriculteurs au Sri Lanka, 15 millions des 22 millions d’habitants du pays dépendent directement ou indirectement de l’agriculture.
Les conséquences financières ont été très lourdes. La production de thé est cruciale car elle générait en année normale avant 2021 environ 1,3 milliard de dollars d’exportations par an. Ainsi, les exportations de thé payaient 71% des importations alimentaires du pays avant 2021. Mais la production et les exportations de thé se sont effondrées de 18% entre novembre 2021 et février 2022, atteignant leur plus bas niveau en 23 ans.
Il s’en est suivi un cercle vicieux très classique dans un pays fragile en développement: envolée de l’inflation, perte de confiance, crise de la monnaie, sortie de capitaux et donc crise budgétaire et de la balance des paiements débouchant sur une crise de l’endettement et l’impossibilité de payer les importations vitales d’énergie et de nourriture.
Et pourtant, le Sri Lanka est une île tropicale chaude avec beaucoup de précipitations annuelles, parfaite pour la culture du riz, du thé, du cacao et des épices. Elle est située le long de nombreuses routes commerciales océaniques pour un accès facile au marché. Avec l’ajout d’engrais et de techniques agricoles modernes, le pays était passé de l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale. Il était devenu autosuffisant en riz, l’alimentation de base, depuis 2005…
«Sous le charme des élites vertes occidentales»
L’enchaînement qui a mené à la catastrophe est parfaitement décrit par Saloni Shah, analyste de l’alimentation et de l’agriculture au Breakthrough Institute et auteur d’un article publié dans Foreign Policy intitulé: «In Sri Lanka, Organic Farming Went Catastrophically Wrong» (Au Sri Lanka, l’agriculture organique a été catastrophique).
Voilà les premières phrases de son texte.
«Face à une crise économique et humanitaire qui s’aggravait, le Sri Lanka a reconnu cet hiver que l’expérience nationale d’agriculture biologique était mal conçue Le président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa avait promis lors de sa campagne électorale de 2019 de faire passer les agriculteurs du pays à l’agriculture biologique sur une période de 10 ans. En avril dernier, le gouvernement de Rajapaksa a tenu cette promesse, imposant une interdiction nationale de l’importation et de l’utilisation d’engrais et de pesticides synthétiques et ordonnant aux 2 millions d’agriculteurs du pays de passer à l’agriculture biologique.
Le résultat a été brutal et rapide. Contre les allégations selon lesquelles les méthodes biologiques peuvent produire des rendements comparables à l’agriculture conventionnelle, la production nationale de riz a chuté de 20 pour cent en seulement six mois. Le Sri Lanka, longtemps autonome dans la production de riz, a été contraint d’importer pour 450 millions de dollars de riz alors même que les prix intérieurs de cet aliment de base de l’alimentation nationale ont bondi d’environ 50%. L’interdiction a également dévasté la culture du thé du pays, sa principale exportation et source de devises. »
Michael Schellenberger, spécialiste des questions environnementales et candidat au poste de Gouverneur de l’Etat de Californie, vient de publier un article titré «Green Dogma Behind Fall Of Sri Lanka» (Le dogme vert derrière la chute du Sri Lanka). Il affirme que «la raison sous-jacente de la chute du Sri Lanka est que ses dirigeants sont tombés sous le charme des élites vertes occidentales colportant l’agriculture biologique et les investissements «ESG».»
Les pays occidentaux riches peuvent sans doute faire face à des baisses de production et à un renchérissement des produits alimentaires et de l’énergie, certainement pas les pays en développement.