<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Enfin une solution pérenne au découplage des prix du gaz et de l’électricité

15 novembre 2022

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : La commission européenne à Bruxelles
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Enfin une solution pérenne au découplage des prix du gaz et de l’électricité

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La Commission européenne vient d’avoir la révélation. Elle vient enfin de découvrir une solution efficace et acceptable pour tous pour découpler les prix du gaz et de l’électricité. Il s’agit du «contract for differences» (contrat de différences). Il permet grâce à une garantie de prix par une entité publique de couvrir, quelles que soient les circonstances de marché, les besoins des producteurs d’électricité pour rentabiliser leurs investissements et aux consommateurs de récupérer les surprofits quand ils existent. Il n'y a plus qu'à généraliser rapidement cette pratique. Par Dominique Finon.

Dans un document non officiel de la Commission européenne en date du 20 octobre sur le découplage des prix de l’électricité et du gaz, celle-ci découvre soudain les vertus des contrats de long terme à prix garantis par l’Etat (contrats de différences) déjà utilisés pour les projets éoliens et solaires. Une révélation pour les technocrates bruxellois, puisqu’il s’agit d’un moyen pérenne, efficace et ne lésant personne pour découpler les prix de l’électricité et du gaz. Ces contrats pourraient prendre le relais des mesures temporaires que l’Union Européenne (UE) vient de décider pour faire face à l’envolée des prix de l’électricité. Il s’agit notamment du plafonnement des profits horaires des centrales non gazières (qui répond au nom abscons de « infra-marginal (rent) cap »), censé permettre de limiter les prix de vente. Les contrats financiers avec l’Etat peuvent remplir la même fonction avec bien plus d’efficacité s’ils sont généralisés.

Plafonner les revenus des producteurs à coût faible, une solution d’urgence

Le système de plafonnement décidé en urgence a été mis en place parce que le mécanisme espagnol de plafond de prix du gaz sur les ventes aux centrales électriques n’est pas viable au plan européen. Sa mise en œuvre aurait nécessité une généralisation à tous les Etats-membres pour éviter les effets de distorsion dans les échanges entre pays et il se heurtait au refus de l’Allemagne. En quoi consiste ce système? Pour un Etat-membre qui l’adopte, il s’agit de prélever une partie de la « rente » que tout équipement à coût de combustible bas ou nul dégage chaque heure sur le marché horaire. Car les prix y sont déterminés par celui des centrales à gaz qui est très supérieur. Un texte officiel européen précise que « les revenus au-dessus du plafond sont collectés par l’Etat pour servir à la réduction des factures des consommateurs d’électricité », mais sans définir comment. Une possibilité est que les sommes collectées soient versées aux fournisseurs pour qu’ils les répercutent dans leurs offres de prix à leurs clients.

Pour comprendre la logique de cette mesure, il faut revenir au mode de fonctionnement des marchés électriques. Du fait de la non-stockabilité de l’électricité, son marché est obligatoirement à pas horaire. Les prix ont peu de continuité d’une heure à l’autre. Par le jeu de la concurrence, les producteurs sont amenés chaque heure à aligner leurs offres de prix sur le coût du combustible de chaque équipement pour se donner les meilleures chances d’être retenus. Il s’ensuit que le prix horaire s’aligne sur le coût de combustible de la centrale « marginale » appelée la dernière par le marché horaire. En Europe, ce sont les centrales à gaz qui sont les dernières appelées une grande partie de l’année, ce qui rend le marché largement exposé aux mouvements des prix du gaz.

Les centrales EnR (Energies renouvelables) ou nucléaires, qui ont un coût de combustible faible ou nul, sont appelées bien avant la centrale marginale, (d’où leur nom de producteurs « infra-marginaux ») et dégagent des surplus horaires (ou « rentes infra-marginales ») très importants pendant les périodes de prix du gaz très élevés comme depuis quelques mois après l’invasion de l’Ukraine. Ils vont bien au-delà des revenus nécessaires pour recouvrer leurs coûts du capital. C’est la raison pour laquelle il est apparu nécessaire de prélever les excès de profits au-delà d’un certain niveau et de s’en servir pour limiter les hausses de prix de vente finale des fournisseurs.

Dans les pays qui choisiront ce dispositif (ce qui est possible dès décembre), l’Etat prélèvera les surplus dégagés par les équipements EnR et autres, qui sont les écarts entre le plafond (que le texte fixe à 180 €/MWh) et le prix du marché (qui se situe encore vers 300-350 €/MWh). Et comme on l’a dit, si un Etat veut que les consommateurs profitent de ce plafonnement des rentes des producteurs « infra-marginaux », ces surplus collectés doivent être réalloués aux fournisseurs (au prorata de leurs parts de marché) pour qu’ils baissent leurs offres de prix de vente à leurs clients.

La vertu des contrats financiers de long terme

Les contrats de différences (contract for differences ou CfD) sont des contrats financiers avec l’Etat qui garantissent les revenus par MWh des nouvelles unités sur la durée de récupération de l’investissement. Ils commencent à être largement utilisés dans l’Union européenne pour faciliter le développement des capacités EnR et bientôt nucléaires. Sans ces contrats, ces technologies qui sont intensives en capital sont très exposées aux risques de marché.

Précisons rapidement comment fonctionnent les CfDs comme ceux qui sont mis en œuvre depuis 2013 au Royaume Uni. Dans un tel contrat, un prix de référence est fixé qui couvre les coûts du producteur bas carbone. Engagé dans un tel contrat, celui-ci encaisse ou décaisse la différence entre le prix du marché horaire et ce prix de référence, selon que le premier est supérieur ou inférieur au second. Pour un investisseur dans des équipements à fort CAPEX que sont les EnR ou le nucléaire, ce type de contrat présente le grand avantage de faire reporter les risques de marché sur l’entité publique à qui l’Etat délègue la gestion du contrat, ce qui avait fortement motivé les Britanniques à adopter ce type de contractualisation pour promouvoir les EnR et le nucléaire.

Pour toutes les heures pendant lesquelles le prix du spot est en dessous du prix de référence du contrat, l’entité publique reverse la différence aux producteurs. Cette couverture de risque a un coût que calcule l’entité publique sur une période donnée. Il est payé non pas par le budget de l’Etat, mais par les consommateurs, via une taxe modulable par MWh (qui est recalculée tous les trimestres au Royaume Uni).

La situation actuelle de prix très élevés a révélé l’autre intérêt de ce type de contrat, à savoir la rétrocession des rentes horaires du producteur-investisseur lorsque le prix du marché horaire est au-dessus du prix de référence. Celui-ci joue donc le rôle d’un plafond de revenus. Outre-Manche, la Low Carbon Contract Company qui est l’entité publique en question, collecte ainsi systématiquement les surplus de chaque équipement engagé dans un CfD passé avec elle. Elle reverse la somme collectée aux fournisseurs chaque trimestre en la répartissant au prorata de leur part de marché, charge à eux d’en faire bénéficier leurs clients, ce que surveille le régulateur Ofgem. En d’autres termes, les CfD de par leur symétrie organisent la rétrocession des rentes infra-marginales excessives aux fournisseurs et partant aux consommateurs. Plus besoin donc de taxer les producteurs « infra-marginaux » en période de prix du gaz élevés.

Dans le document non officiel du 20 octobre, la Commission découvre que ces contrats de long terme sont un moyen durable pour éviter le couplage des  prix de l’électricité et du gaz en permettant d’effacer les rentes des producteurs électriques non-fossiles. On y lit « Les énergies renouvelables et les autres types de producteurs infra-marginaux  seraient rémunérés dans le cadre de contracts for differences (CfD), indépendamment du prix du marché horaire. Le prix de ces contrats (…) serait une fonction directe des coûts de production réels des technologies concernées ».

A noter donc que, selon le document bruxellois qui ne nomme jamais le nucléaire explicitement, ces contrats CfDs devraient être généralisés à « toutes les technologies infra-marginales » qui ont toutes un coût de combustible faible ou nul, et par conséquent aux équipements nucléaires. Autre point important à noter, les CfDs devraient être étendus progressivement aux équipements bas carbone existants pour faciliter le prélèvement de toutes les rentes infra-marginales. « Le plafond (de revenu) infra-marginal actuel qui pourrait être directement intégré dans le fonctionnement du marché de gros pour des raisons pratiques, devrait encourager les producteurs existants à rechercher une structure de rémunération de long terme basée sur des contrats pour différences (avec l’Etat) ».

Une réforme facile à mener

On vient donc de découvrir à Bruxelles que les contrats financiers avec l’Etat déjà utilisés pour encadrer les investissements dans les projets EnR, permettraient aussi de découpler les prix de l’électricité de ceux du gaz, s’ils étaient généralisés à toutes les technologies bas carbone et aux équipements existants. Ces développements ne rencontreraient pas d’obstacles du côté des règles européennes et pourraient être mis en œuvre rapidement.

La Commission se plait à souligner dans le document que ce type de réforme ne demande pratiquement aucun changement du market design. Elle préserverait totalement les coordinations de court terme par les marchés spot, particulièrement efficaces pour assurer les coordination entre les productions intermittentes et l’appel aux centrales flexibles et aux stockages.« Cela peut être assuré par un marché bien intégré et interconnecté, dans lequel tous les obstacles aux technologies alternatives telles que le stockage et la réponse à la demande sont supprimés afin qu’elles soient en concurrence sur un pied d’égalité et qu’elles puissent progressivement remplacer les centrales électriques au gaz, en plus des sources renouvelables et à faible teneur en carbone »

Pour ceux qui réfléchissent sur les réformes de long terme  du market design qu’il faudrait mener pour à la fois faciliter investissements bas carbone et dans les sources de flexibilité et pour assurer la protection des consommateurs, cette proposition de généralisation des contrats financiers de long terme à toutes les équipements bas carbone apparaît être un pas décisif dans le bon sens.

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