EDF pourra-t-il redevenir un jour, pas trop lointain, le champion dont la France a besoin pour mener la transition énergétique ? Rien n’est moins sûr. Affaibli par des décennies d’incohérences et de négligences politiques, par une situation économique et financière plus que précaire, mais aussi par une gouvernance problématique et une perte d’efficacité et de compétences internes, le géant public de l’électricité semble incapable de mener sur plusieurs fronts le défi auquel il est confronté.
Il lui faut impérativement prolonger la durée de vie du parc nucléaire existant dans des conditions économiques et de sûreté acceptables. Il lui faut dans le même temps lancer un programme massif de construction de nouveaux réacteurs (EPR2) tout en se développant dans les renouvelables intermittents (éolien, solaire) et en investissant à nouveau dans l’hydroélectrique pour moderniser l’existant et éventuellement le développer (STEPs). EDF doit aussi conforter son outil industriel en parvenant à remporter des marchés à l’exportation qui ne tournent pas à la catastrophe financière (Hinkley Point).
La mode des SMR à laquelle EDF a longtemps résisté
Enfin, EDF doit innover avec de nouveaux réacteurs correspondant mieux aux besoins de nouveaux marchés ne nécessitant pas des réacteurs de grande taille, celui des fameux et très à la mode SMR (Small Modular Reactor) ou petit réacteur modulaire. EDF a longtemps été réticent, à la fois faute de moyens financiers et humains et aussi craignant de voir ses cathédrales EPR menacées. Mais l’entreprise a fini par s’y résoudre, notamment sous la pression des pouvoirs publics extrêmement sensibles aux modes, avec son programme Nuward (Nuclear Forward) ou nucléaire en avant… qui a été mené dans l’urgence.
D’autant plus qu’EDF éprouve les pires difficultés à mener de front toutes ses missions. Le démarrage de l’EPR de Flamanville après 17 années d’un chantier cauchemardesque est pour le moins laborieux. L’entreprise publique a perdu le marché de la construction de deux réacteurs en République Tchèque contre son concurrent sud-coréen KHNP. Et le projet Nuward qui se voulait très innovant (trop ?) doit être totalement revu. Il pose à la fois des problèmes techniques et des problèmes de coûts et de calendrier de développement.
Retardé et vraisemblablement suspendu
EDF a ainsi été contraint cet été de revenir sur un projet de SMR plus classique dans sa conception. Cela revient évidement à le retarder et vraisemblablement même à le suspendre. Avec les difficultés de construction des EPR (en Finlande, en France et au Royaume-Uni), l’innovation nucléaire française inquiète plus qu’elle fascine. Résultat, le Royaume-Uni, la Suède ou la Pologne préfèrent des SMR avec des technologies éprouvées, à l’instar du projet d’AP300 de l’américain Westinghouse, version réduite de son réacteur AP1000.
Fin juin, au moment même où Nuward venait de décrocher l’autorisation par Bruxelles d’une nouvelle aide d’État de 300 millions d’euros et entrait en phase d’avant-projet détaillé, la décision a été prise de tout changer et de simplifier le design. Fini les générateurs de vapeur à plaques imaginés par TechnicAtome et la chaudière nucléaire intégrée semi-enterrée.
Un revers de plus à l’exportation
Plus inquiétant encore, sur le projet Nuward EDF s’est associé avec ce que la France fait de mieux dans le domaine : Technicatome (qui fabrique les chaudières nucléaires des navires de la marine nationale), Naval Group, Framatome et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Il s’agissait de proposer rapidement un SMR de moyenne puissance pouvant répondre à des besoins spécifiques. Il prenait la forme d’un binôme de deux petits réacteurs fournissant chacun 170 MW électriques (voir le schéma ci-dessus) et devait être l’un des plus compacts de sa catégorie (moins de 15 mètres de hauteur). Le choix avait aussi été fait de passer à la sûreté dite « passive », c’est à dire l’arrêt et le refroidissement du réacteur en cas d’incident sans nécessiter d’intervention humaine ni d’alimentation électrique.
La technologie française semblait intéresser plusieurs pays dont à nouveau la République tchèque mais aussi la Finlande, le Kazakhstan et un temps la Suède. Mais l’énergéticien suédois Vattenfall n’a finalement pas sélectionné Nuward pour mener une « étude de faisabilité », lui préférant les concepts plus éprouvés de GE-Hitachi et de Rolls-Royce.
Pour gagner du temps sur l’exportation de Nuward, les dossiers de certification devaient même être soumis aux autorités tchèque et finlandaise en même temps qu’aux autorités françaises. Evidemment, ce n’est plus le cas. La construction d’un démonstrateur sur le site du CEA à Marcoule avait aussi été envisagée. Elle n’a plus aucun sens. Il est même difficile aujourd’hui d’imaginer un avenir à Nuward.