Rafraîchissons la mémoire de ceux qui n’ont pas vu ou ont oublié la trame de fond du film Mad Max, dont le premier opus est sorti en 1979. Les deux chocs pétroliers inspirent aux scénaristes l’idée d’un monde en crise, justement à cause de la quête du pétrole. Une hyper violence généralisée s’installe, orchestrée par des bandes sillonnant les routes au volant de bolides. Une police de la route, dont Mel Gibson, le (très jeune) héros du film, est un des pilotes iconiques, s’oppose à ces bandes, au volant de voitures de patrouille tunées. Point commun à toutes les voitures du film : elles sont bricolées, réparées, améliorées à partir de « pièces récupérées à droite à gauche » (sic), sur des épaves.
Vous l’avez compris : dans le monde de Mad Max, on ne fabrique plus de voitures neuves, mais on répare l’existant, en récupérant tout ce qui peut l’être sur les autres voitures, cannibalisées. Une scène, dès le début du film, donne le la : la première course-poursuite, qui sème sur la route son lot d’épaves, est suivie d’une nuée de dépanneuses, qui, tels des charognards, se jettent sur les épaves.
Citroën CX, Renault Avantime, Fiat Multipla…
D’autres œuvres de science-fiction envisagent une situation analogue : dans Les Fils de l’homme, sorti en 2006, qui décrit là encore un monde plongé dans une crise majeure (l’homme est devenu stérile, c’est ballot), on ne construit bien évidemment plus de voitures neuves. À quoi bon ? Les héros du film roulent donc en Citroën CX break, en Renault Modus, Renault Avantime, Renault Megane II et même en Fiat Multipla, toutes, à bout de souffle. Ces modèles, dont certains ont fait un bide absolu, comme l’Avantime ou le Multipla, ont été sélectionnés pour leur look « avant-gardiste ».
Un choix opéré également par les scénaristes de Retour vers le futur II, dans lequel une Citroën DS modernisée (elle est volante, excusez du peu) sert… de taxi ! D’ailleurs, dans ce deuxième opus situé dans le futur (aujourd’hui devenu le passé, puisque l’action se situe en 2015), une part significative des voitures en circulation sont en réalité des oldies modifiées. On y croise également une Saab 900, une Jeep Wrangler, une BMW Serie 6, toutes sorties dans les années 1970 ou 1980. À tel point que le garagiste de Hill Valley – la ville dans laquelle se déroule l’action des trois opus de Retour vers le futur, à différentes époques – fait la publicité de la conversion des « anciennes » en aéroglisseurs. « Je transforme votre vieille guimbarde en voiture cosmique, tout cela pour 39 999,95 $ ! »
Vous l’avez compris : l’idée d’un monde dans lequel on ne construirait plus ou presque plus de voitures neuves, un monde dans lequel on ferait durer le plus longtemps possible le parc automobile existant, est un thème dystopique récurrent.
Nous roulons déjà dans des voitures de plus en plus vieilles
Dystopique, vraiment ? La Commission européenne n’a-t-elle pas annoncé l’interdiction totale des voitures à moteur thermique à l’horizon 2035, soit… dans une douzaine d’années à peine ? Douze ans, ce qui correspond peu ou prou à l’âge moyen du parc automobile français aujourd’hui, ce qui est en réalité proprement hallucinant. Il était en effet d’un peu plus de huit ans au début des années 2010. Mais depuis que les ZFE ont été annoncées (voir page 48), et que le bannissement des voitures à moteur diesel dans les grandes villes se rapproche, le marché du neuf (thermique) s’est totalement effondré. Un phénomène amplifié encore par la crise du Covid, qui a réduit d’un tiers les achats des loueurs de voitures, gros pourvoyeurs d’occasions récentes sur le marché automobile. Un phénomène encore amplifié par la crise des semi-conducteurs, qui a amputé le marché européen, pour ne retenir que celui-là, de plusieurs millions de ventes en seulement deux ans. Résultat des courses, le parc automobile français vieillit en ce moment de deux mois tous les ans.
Ajoutons au tableau que les voitures électriques, non contentes de bouleverser l’univers des constructeurs traditionnels au risque d’en condamner certains à disparaître, menacent également de mort les équipementiers. Quand on compte 250 pièces dans un moteur à essence, il en faut cinq fois moins sous le capot d’une électrique ! L’Association européenne des équipementiers prédit une baisse de 30 % des ventes de pièces détachées automobiles, hors carrosserie, à l’horizon 2040.
Posséder une voiture à moteur thermique sera un jour un privilège
Vous voyez dès lors ce qui se profile à l’horizon, et cela n’a rien d’une dystopie. Très bientôt, posséder une thermique encore opérationnelle, avec quelques décennies et des centaines de milliers de kilomètres au compteur sera bientôt un privilège. Il deviendra vital de tout entreprendre pour lui faire passer sans encombre le cap des 300 000, 500 000, et pourquoi pas, 1 million de bornes. Certes, elle devra contourner les ZFE, si elles résistent à la pression des automobilistes bannis. Pour l’instant, seule une thermique est capable de transporter des passagers avec bagages à l’autre bout du pays dans un délai raisonnable. En électrique, terminé les week-ends de pont chez papy mamy dans le Périgord ou en Provence, ou de ski à la montagne !
Dans ce futur finalement très proche, on trouvera sans peine des pièces d’occasion, du moins pour les modèles les plus répandus. Mais à l’inverse, les pièces neuves s’arracheront, ou bien encore devront faire l’objet de refabrications en petites séries, à prix d’or.
Mais il y a plus embêtant, et ce, dès maintenant en réalité : il n’y a quasiment plus de mécaniciens à l’ancienne en France ! Les jeunes générations, CAP en poche, ont exclusivement appris à faire faire le diagnostic par la valise informatique. Terminé le travail à l’oreille, au toucher, à l’intuition, à l’expérience, comme leurs aînés faisaient jusqu’ici. Résultat, on remplace des pièces, des composants, sans chercher à réparer ni comprendre l’origine du problème.
Autant dire que dans ces conditions, les thermiques qu’il faut chercher à tout prix à faire durer sont plutôt celles qui sont sorties d’usine dans les années 1990/2000. ABS, airbags, injection électronique sont au rendez-vous. Mais pour le reste, sous le capot, c’est encore simple, basique, robuste, bref, durable… de la vraie bonne caisse pour Mel Gibson dans Mad Max.