Pendant cinquante ans, la France a extrait de son sous-sol pas loin de 76.000 tonnes d’uranium, utilisé aussi bien à des fins militaires que civiles pour alimenter en combustible ses centrales. Au début des années 1990, la production franco-française d’uranium dépassait même les 3.000 tonnes par an, sachant que les besoins annuels d’EDF pour faire tourner ses réacteurs sont compris entre 8 et 9.000 tonnes.
Mais depuis que la dernière mine d’uranium a fermé ses portes dans l’Hexagone, en 2003, la France dépend désormais à 100% des importations, en provenance du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, du Canada, du Niger et d’Australie. Dans ce quinté de fournisseurs, l’ancienne République socialiste, qui a fêté récemment ses 30 ans d’indépendance, s’est hissée à la première place, place que le Kazakhstan occupe également au niveau mondial, avec plus de 40% de parts de marché.
Dans ce pays lointain d’Asie centrale, Orano (ex-Areva) exploite deux mines, à Muyunkum et Tortkuduk, dans le cadre de la joint-venture Katco, détenue à part quasi égales avec le conglomérat d’État kazakh KazAtomProm. C’est l’uranium de ces mines qui est exporté vers la France, pour y être ensuite enrichi, et utilisé dans les 56 réacteurs français. Autant dire que le sujet de la continuité de l’approvisionnement en uranium des centrales françaises, existantes comme celles qui devraient être construites dans les prochaines années, est stratégique. Au moment où les cours de l’uranium sont aussi orientés à la hausse, le point de vue du fournisseur kazakh est particulièrement intéressant.
Murat Zhurebekov
T&E : La transition énergétique est devenue une priorité en Occident. Quelle est la stratégie énergétique du Kazakhstan?
Murat Zhurebekov : Nous sommes contre la transition énergétique. Le prix du pétrole ne nous donne aucune envie de passer à l’énergie verte! Bien entendu, c’est une plaisanterie. [NDLR : le Kazakhstan est un grand exportateur de pétrole.] Plus sérieusement, le chef de l’État, Kassym-Jomart Tokaïev, a fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2060. Nous sommes actuellement en train d’élaborer la stratégie nécessaire pour atteindre cet objectif. Elle passe par la diminution de la part de carbone dans le fonctionnement de centrales électriques, en passant notamment de centrales à charbon à des centrales à gaz. Nous allons aussi investir dans le développement actif de sources d’énergie renouvelables. Nous avons pris des engagements dans le cadre des Accords de Paris, et nous allons les tenir. Pour les sociétés pétrolières qui existent au Kazakhstan, européennes, américaines, toutes vont se conformer aux directives qui seront imposées par les États. Par ailleurs, nous estimons qu’avec le temps, des technologies de captation de carbone vont se développer, et le prix d’utilisation de ces technologies va chuter. Nous pourrons alors continuer à commercialiser des sources d’énergie fossiles, dont nous continuerons à avoir besoin longtemps, et ce, sans polluer.
Le président de la République française, Emmanuel Macron, a annoncé la construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs nucléaires dans les prochaines années. Pour faire tourner ses centrales, l’uranium kazakh serait bien utile. Un partenariat de longue durée avec la France est-il envisageable?
– Pourquoi pas? Nous coopérons avec la France depuis déjà vingt ans dans ce domaine. La société Orano participe à l’exploitation d’une de nos mines d’uranium. Aujourd’hui, nous discutons de la possibilité de la construction d’une centrale nucléaire au Kazakhstan, pour fournir jusqu’à 15% de l’électricité dont nous avons besoin. Nous étudions l’expérience et le savoir-faire de plusieurs pays en la matière, et la France occupe une bonne place. Le Kazakhstan est, et restera toujours ouvert à la coopération bilatérale avec la France, notamment en matière d’extraction d’uranium.
La France peut-elle compter sur l’uranium du Kazakhstan pour les vingt, trente ou cinquante prochaines années?
– Nous n’avons eu aucun problème avec la France jusqu’ici. Le sujet ici est plutôt d’ordre commercial. Et dans toute décision politique, les termes commerciaux sont la base. S’ils conviennent à la France en tant qu’acheteur et au Kazakhstan en tant que producteur, quels autres problèmes peut-il y avoir? Le Kazakhstan est l’un des leaders de la production d’uranium dans le monde et je pense que sa production sera suffisante pour approvisionner le marché et nos partenaires français.
Quel est le bon prix de l’uranium?
– L’uranium est une marchandise négociée en Bourse. Par conséquent, nous sommes également soumis au marché. Son prix ne dépend pas de la décision d’un État ou d’un producteur. Si c’était le cas, le prix de l’uranium ne baisserait pas, mais resterait à son niveau le plus élevé! Nous sommes des acteurs du marché, tout comme d’autres producteurs. Il n’y a pas d’OPEP de l’uranium, et je pense que les principes de base de la détermination des prix de l’uranium sont déterminés par l’offre et la demande.
Et si la demande double demain?
– Comme pour le pétrole, si la demande double, le prix du pétrole augmente proportionnellement. Même chose pour l’uranium demain. Et si le prix de l’uranium est trop élevé pour certains pays, ils se tourneront probablement vers d’autres sources d’énergie.
Quelles sont les prévisions d’extraction de l’uranium dans les prochaines années au Kazakhstan face à une demande grandissante?
– Ce minerai est très particulier. Par conséquent, même à l’intérieur du pays, les plans d’extraction d’uranium, et les prévisions en termes de volume, sont des informations tenues secrètes! Nous avons une société nationale spéciale, KazA- tomProm, qui s’occupe de cela et, croyez-moi, même moi, premier vice-ministre de l’Énergie, je ne sais pas quels sont les plans pour les cinq prochaines années.
Si vous étiez président de la France, seriez-vous inquiet au sujet de l’approvisionnement du pays en uranium?
– Si j’étais le président de la France… J’ai du mal à m’imaginer président de la France. Mais si j’étais le ministre de l’Énergie français, je ne dormirais pas la nuit à cause de l’approvisionnement en uranium et je serais très inquiet.