Longtemps, la possibilité d’une intervention humaine pour modifier le climat et limiter le réchauffement a été considérée à la fois comme farfelue, risquée et comme un moyen de ne pas faire les efforts nécessaires à la transition énergétique. Mais les choses sont en train de changer. Avant tout parce que si les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître des technologies permettant de transformer le climat pourraient être notre dernière option.
Un très intéressant article publié par la prestigieuse Université américaine de Yale montre que l’urgence climatique incite à porter un nouveau regard sur des technologies jusqu’à aujourd’hui controversées.
Deux grandes catégories de technologies
«Le temps n’est pas de notre côté», déclarait à l’automne dernier l’un des partisans de la géo-ingénierie, David King, ancien conseiller scientifique du gouvernement britannique. «Ce que nous allons faire au cours des 10 prochaines années déterminera l’avenir de l’humanité pour les prochains 10 000 ans». David King a participé à l’Accord de Paris de 2015 et ne croit plus que la réduction des émissions à effets de serre sera suffisante pour éviter un désastre. Il est en train de mettre sur pied un centre pour «réparer le climat» à l’Université de Cambridge. Ce sera le premier centre de recherche majeur dans le monde sur la géoenginerie et «il va être nécessaire», explique David King.
La géo-ingénierie se définit, selon le Oxford Geoengineering Program, comme «une intervention délibérée et à une large échelle sur le système naturel de la terre afin de contrer le changement climatique». Il existe deux grandes catégories de technologies envisagées pour modifier le climat.
La première consiste à abriter la terre d’une partie du rayonnement solaire. Cela comprend par exemple la possibilité de répandre des particules de sulfates dans la stratosphère ou de refroidir les pôles en pompant le sel des océans et en l’injectant dans les nuages, toujours aux pôles, pour les rendre plus brillants et réfléchissants.
La seconde catégorie de technologies concerne la possibilité de retirer le CO2 et d’autres gaz à effet de serre de l’atmosphère. Par exemple, en stimulant dans les océans la croissance des espèces d’algues qui absorbent le plus le carbone. La question se pose aussi de trouver les moyens de retirer directement le CO2 de l’atmosphère à des coûts «raisonnables».
Des scientifiques se mobilisent aujourd’hui dans les plus grandes universités pour faire émerger des solutions et des technologies. Les académies nationales de science américaines ont lancé en octobre 2018 une grande étude sur les technologies permettant de réfléchir les rayons du soleil, leur faisabilité, leurs impacts et leurs risques. En avril, une conférence a eu lieu sur le sujet à Washington DC. Parmi les principaux intervenants se trouvaient David Keith, un physicien de l’Université de Harvard, qui a développé une technologie permettant de retirer le CO2 directement de l’atmosphère et Kelly Wanser du Marine Cloud Brighting Project qui étudie l’efficacité de répandre du sel de mer et d’autres matériaux dans les nuages pour réfléchir la lumière du soleil.
Science-fiction
La géo-ingénierie commence à être prise au sérieux mais pour devenir une discipline respectée, le chemin est encore long tant elle se heurte aux conformismes, aux scepticismes et à des peurs irrationnelles. Dans certains milieux scientifiques proches des écologistes radicaux, on n’est parfois pas loin d’accusations en hérésies… Un groupe de scientifiques a écrit dans le magazine Nature en avril dernier que la géoingénierie solaire était à la fois «bizarre, perturbante… avec un parfum de science-fiction».
En fait, la géo-ingénierie est une vieille histoire qui remonte aux années 1960 et s’apparentait effectivement alors à de la science fiction. Des chercheurs suggéraient de faire flotter des milliers d’objets blancs comme des balles de golf dans les océans pour réfléchir les rayons du soleil. En 1977, Cesare Marchetti, l’un des pères de l’étude des mécanismes et de l’histoire des transitions énergétiques, proposait de capturer le CO2 et de l’enfouir via les courants marins descendants. Dans les années 1980, le scientifique soviétique Mikhail Budyko suggérait de charger l’atmosphère en particules de sulfate pour réfléchir le rayonnement solaire tandis qu’Edward Teller, l’inventeur de la bombe H, voulait mettre des miroirs géants dans l’espace.
Une nouvelle école de géoingénierie a vu le jour récemment. Moins scientifique, elle prône, un peu naïvement, de revenir à la nature, de restaurer les forêts naturelles pour qu’elles absorbent en plus grande quantité le CO2 de l’atmosphère. Le World Resources Institute estime que 20 millions de kilomètres carrés dans le monde pourraient redevenir des forêts. Une surface qui est le double de celle du Canada. Mais il ne s’agit plus vraiment de géoengénierie, plutôt d’une croyance dans la capacité de la terre à se régénérer…