<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Il faut sauver le train… des politiques et de la SNCF

20 août 2024

Temps de lecture : 6 minutes
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Il faut sauver le train… des politiques et de la SNCF

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Le contribuable français investit plus de 10 milliards d’euros par an dans l’entretien et le développement du chemin de fer. Pour quels résultats ? Une qualité de service dégradée et une part du ferroviaire dans les transports qui stagne désespérément à 10 %. La relance du train, sans cesse promise, est un mirage. Au lieu d’être un fer de lance de la transition énergétique, le chemin de fer en est un boulet. Par Éric Leser. Article paru dans le numéro 21 du magazine Transitions & Energies.

Le ferroviaire est le moyen de transport de masse préféré à la fois des écologistes, des syndicats et des politiques. Il est paré de toutes les vertus et son développement est, à en croire les discours répétés à l’envi, une priorité. On peut parler de sacralisation du train et cela même s’il n’assure finalement que 10 % des transports en France, de passagers comme de marchandises, depuis des décennies.

Pour les écologistes, le train est un modèle sur le plan de l’efficacité énergétique… ce qui est indéniable mais à condition que les wagons ne roulent pas à vide. Il limite considérablement les émissions de gaz à effet de serre… quand les lignes sont électrifiées et l’électricité décarbonée comme en France.

Pour les syndicats, les ouvertures à la concurrence imposées par Bruxelles n’ont finalement pas vraiment réduit l’emprise sur son marché d’une entreprise publique, la SNCF, qu’ils cogèrent de fait depuis des années. Une situation coûteuse pour l’État et le contribuable qui est devenue aussi un obstacle presque infranchissable à l’adaptation de l’entreprise et de son outil aux besoins de ses clients et de la transition énergétique.

Soixante-dix-sept années de grèves

Mais toutes les tentatives pour reprendre le contrôle de l’entreprise ont été vaines face à la capacité des syndicats à mener des grèves qui bloquent le pays. La SNCF est ainsi tout simplement l’entreprise au monde qui fait le plus grève… Il n’y a pas une année depuis 1947, depuis soixante-dix-sept ans, sans mouvement de grève. Depuis 2000, pour ne pas fausser la statistique en prenant en compte les semaines de conflit de 1968 et 1995, cela représente plus de 5 millions de journées de travail perdues…

Du coup, invariablement les pouvoirs publics cèdent au bout de quelques jours, quelques semaines voire quelques mois. Il en va ainsi de la dernière réforme des retraites marquée par l’allongement de la durée du travail. Elle ne s’appliquera pas à la SNCF… Un accord a été conclu au tout début du mois de mai entre la direction et les syndicats. Il instaure un régime de préretraite qui efface de fait l’essentiel de la réforme. Et les métiers les plus susceptibles de perturber la circulation des trains, contrôleurs, conducteurs… ont droit au régime le plus dérogatoire. Il s’agissait d’éviter une grève pendant les Jeux olympiques. Le scandale a été tel que le Pdg de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, y a perdu son poste. Il ne fera pas un second mandat et sera remplacé en septembre. Mais il reste difficile à croire que le gouvernement n’était pas au courant de la teneur de l’accord avant qu’il soit conclu…

La SNCF est ingérable, mais cela n’empêche pas les politiques et les élus, nationaux comme locaux, d’adorer le train et d’afficher unanimement leur volonté de le défendre et le promouvoir. Peu importe l’efficacité de la dépense publique et son impact réel sur les transports de passagers comme de marchandises. Le train est populaire. Ils le financent, le vantent… Même si les résultats ne sont jamais au rendez-vous.

100 milliards d’euros pour atteindre la neutralité carbone

Cela est lié pour commencer au manque de lucidité sur les limites de la technologie du rail. C’est paradoxal, mais son réseau propriétaire et sa faible résistance au roulement sont à la fois ses qualités et ses défauts. Ce mode de transport peut difficilement faire preuve de simplicité et de souplesse, et, ce qui est de plus en plus criant aujourd’hui, de capacités, fréquences, et qualités de service à des coûts compétitifs.

Peu importe si l’équation économique est intenable. Qu’il soit urbain (Grand Paris Express, RER, métros) ou interurbains (TGV), le développement du ferroviaire engloutit des sommes considérables que la France, surendettée, n’a pas…

Jean-Pierre Farandou affirme ainsi qu’il faut au moins 100 milliards d’euros sur quinze ans « un objectif indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050 » et pour doubler la part du ferroviaire dans les transports qui stagne. Un montant nécessaire pour désaturer les nœuds ferroviaires à Lyon, Marseille ou Bordeaux, doubler l’offre sur les liaisons entre régions, accroître celles en milieu de semaine, multiplier les billets à prix attractifs.

Aucune évaluation des investissements

Personne ou presque ne conteste cette proposition. Elle mériterait pourtant, a fortiori dans un pays surendetté, d’être évaluée soigneusement au regard de ce qu’a été capable de faire la SNCF au cours des dernières décennies et des bénéfices que pourrait retirer le pays en termes sociaux et environnementaux d’un tel investissement. Le b.a.-ba.

D’autant que les sommes investies depuis vingt ans dans le ferroviaire sont considérables avec les résultats que l’on connaît. Elles représentent, investissement et fonctionnement additionnés, 140 milliards d’euros entre 2007 et 2019 pour obtenir une stabilisation du service rendu pour les voyageurs et le fret, et un réseau insuffisamment modernisé.

Entre 2007 et 2019, la part de marché du chemin de fer a augmenté de 0,3 % pour les voyageurs (10,3 %) et baissé de 1,7 % pour le fret (9,7 %). Et sur le plan financier, les recettes du trafic atteignaient en 2019 un maigre 8,8 milliards d’euros, en baisse de 15 % par rapport à 2007. Difficile de justifier les investissements par un soi-disant transfert modal ou un impact majeur sur la décarbonation des transports.

Les dépenses publiques pour le rail auront augmenté de 39 % en monnaie constante de 2007 à 2019 et représentaient 10,5 milliards d’euros en 2019 (hors charges de retraite, 3 milliards annuels pour l’État). Cela n’a pas empêché la dette de la SNCF de gonfler, amenant l’État à en reprendre 35 milliards. Cette progression de 39 % des dépenses (hors reprise de la dette) est à comparer dans le même temps aux 13 % de croissance du PIB, aux 20 % de croissance de la dépense publique, aux 18 % pour l’hôpital, 12 % pour l’enseignement et 4 % pour la famille et la petite enfance.

Depuis les lois du Grenelle de l’environnement en 2009, la France a investi près de 90 milliards dans les transports publics, dont 22 dans les lignes à grande vitesse, sans pour autant réduire un tant soit peu la domination écrasante de la route.

Vulnérabilité et vétusté du réseau

Et la qualité des infrastructures pose toujours un problème… L’âge moyen des 28 000 km de voies opérationnelles était de 29 ans à la fin 2019. Il était de près de 31 ans en 2015 mais est de 17 ans en Allemagne. La moitié des caténaires des 12 000 km de voies électrifiées en 1 500 volts ont plus de 65 ans, ce qui est supérieur à leur durée de vie optimale…

L’investissement de régénération s’est bien accéléré : 56 milliards d’euros sur le réseau principal hors lignes à grande vitesse, un peu plus du double qu’entre 1994 et 2006, et 11 milliards dans le réseau d’Île-de-France, plus 160 % par rapport à la période précédente. Pour autant, les études qui se succèdent (Autorité de régulation des transports, rapport du Sénat 2022) constatent une amélioration insuffisante et un retard dans la modernisation de l’exploitation.

Encore au début de l’année, la Cour des comptes a alerté dans son rapport annuel sur l’impréparation du réseau ferroviaire au changement climatique. Le document détaille la vulnérabilité des lignes en exploitation du fait de leur vétusté et leur exposition aux événements extrêmes, tels que fortes chaleurs, foudres, inondations et vents violents.

Les subventions bénéficient aux usagers existants

Dans un autre rapport publié en avril 2022 par l’Institut Montaigne, Jacques Gounon, président de Getlink (ex-Eurotunnel), et Patrick Jeantet, ex-Pdg de Keolis, expliquent les raisons de fond de l’échec du ferroviaire. Les subventions ne sont pas efficaces, profitant le plus souvent à ceux qui utilisent déjà les transports collectifs, car l’offre est trop concentrée dans les centres des villes qui ne génèrent que 2 % des émissions des transports. Par ailleurs, le réseau ferroviaire ne dessert qu’une commune sur dix, avec des fréquences non adaptées à tous les usages.

Surtout, relèvent les auteurs, l’État est incapable de prendre des mesures efficaces pour pousser à renoncer un peu au transport sur route depuis l’abandon de l’écotaxe sur les poids lourds en 2014 et le mouvement des Gilets jaunes né en 2018 d’une augmentation de la taxe carbone sur les carburants.

Ils soulignent enfin « qu’au cours des dernières décennies, les transports collectifs ont été massivement subventionnés, avec un fort développement de l’offre. L’évolution des trafics et des émissions démontre que les subventions aux transports collectifs seules sont, au-delà d’un certain point, inefficaces : la voiture est aujourd’hui beaucoup plus chère que les transports collectifs, ceux qui choisissent de se déplacer en voiture ne le font donc pas pour des raisons de coût. Il s’agit d’un choix de confort pour lequel ils acceptent de payer ou de la conséquence d’une absence d’alternative pertinente… Les subventions aux transports collectifs ont donc principalement bénéficié à leurs usagers. »

Inefficacité de la dépense publique

Dans ces conditions, on peut se demander légitimement par quel miracle les 100 milliards d’euros demandés pour le train dans les quinze prochaines années permettraient de doubler la part de marché et de faire baisser significativement les émissions de CO2 quand les 100 milliards des deux dernières décennies se sont traduits par une stagnation…

Ces 100 milliards, auxquels on peut d’ailleurs ajouter les 40 milliards du Grand Paris Express, ne seraient-ils pas plus efficaces pour réduire les émissions en permettant un basculement massif vers les véhicules électriques, une amélioration très significative de la qualité thermique des logements et des bâtiments ou une forte accélération de l’électrification des usages et du programme de relance nucléaire ? C’est une question que personne ne se pose…

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