<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Sanctions contre le pétrole russe, un jeu de rôle

26 juillet 2024

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Sanctions contre le pétrole russe, un jeu de rôle

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Autant, les sanctions et destructions des gazoducs Norsdstream 1 et 2 ont très fortement réduit les exportations russes de gaz naturel, autant les sanctions et la limite de prix des barils vendus par Moscou (60 dollars) imposée par les pays occidentaux en décembre 2022 ont eu beaucoup moins d’impact. Et le pétrole est de loin la principale source de revenus à l’exportation de la Russie et donc de financement de sa machine de guerre. Selon les derniers chiffres, les exportations russes d’hydrocarbures ont rapporté 720 millions de dollars par jour le mois dernier contre environ 1,1 milliard de dollars par jour avant l’invasion de l’Ukraine. En fin de compte, dans ce qui est un vrai jeu de rôle, presque tout le monde affirme être satisfait, à l'exception de l'Ukraine. Les puissances occidentales se vantent d'être fermes avec la Russie. Poutine peut affirmer que l'Occident n'a pas été en mesure de le priver de ses revenus pétroliers. Les grands négociants pétroliers profitent de la volatilité accrue des cours ce qui leur permet d'engranger de gros bénéfices. La Chine et l'Inde s'approvisionnent en pétrole russe bon marché. Et les critiques qui affirment depuis deux ans que les sanctions sont inefficaces peuvent clamer qu’ils ont raison…

Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a assisté à la fin de la semaine dernière à une réunion spéciale du cabinet du nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer visant à améliorer la stratégie pour limiter les exportations de pétrole russe. Cela faisait plus d’un quart de siècle et Bill Clinton en 1997 qu’un dirigeant étranger ne s’était adressé au cabinet britannique. Même si de nombreux critiques soulignent, à juste raison, la grande inefficacité des sanctions occidentales contre les exportations de pétrole russe, cela montre dans le même temps l’importance pour l’Ukraine d’affaiblir les capacités financières russes permettant d’alimenter sa machine de guerre.

La visite de Volodymyr Zelensky à Downing Street est intervenue au lendemain du sommet de la Communauté politique européenne qui s’est tenu à Blenheim Palace au cours duquel 44 pays et l’Union Européenne ont décidé de cibler la « flotte fantôme » de pétroliers russes qui permet à Moscou d’échapper aux sanctions. Il s’agit selon les estimations d’environ 600 tankers de tailles très diverses et souvent assez âgés qui transportent 1,7 million de barils de pétrole par jour. Cette flotte permet de financer l’effort de guerre de Moscou, de transporter discrètement des armes et des munitions et même de servir de stations d’écoute et d’espionnage.

Un moment mal choisi

Pour autant, le moment choisi pour ces différentes initiatives semble un peu curieux. La Russie a récemment réduit ses exportations de pétrole brut afin de conserver plus de barils pour ses raffineurs nationaux dont les usines sont remises en service après avoir été entretenues et réparées à la suite d’attaques de drones ukrainiens. Cela explique pourquoi les exportations de pétrole russe sont à leur niveau le plus bas depuis janvier et devraient le rester pendant les mois d’été.

Selon Rystad Energy, la production russe devrait se limiter à 2,7 millions de barils par jour en juillet et en août, avant de remonter à 2,9 millions de barils par jour en septembre. À titre de comparaison, la Russie exportait 3,6 à 3,7 millions de barils par jour il y a encore quelques mois, en avril et en mai. Si cette baisse des exportations de pétrole pèsera sur le budget de la Russie, elle stabilisera les prix des carburants à l’intérieur du pays et garantira des quantités suffisantes de produits raffinés pour les besoins civils et militaires.

Les exportations de gaz se sont effondrées, pas de pétrole

La baisse des exportations russe joue un rôle dans l’augmentation de la volatilité des prix du pétrole. Et elle se traduit évidemment par une baisse des recettes à l’exportation. Avant l’invasion de l’Ukraine, elles lui rapportaient environ 1,1 milliard de dollars par jour. Le mois dernier, les recettes de la Russie provenant de ventes d’hydrocarbures ont plafonné à 720 millions de dollars, une baisse de 35% certes, mais qui est loin d’être suffisante pour épuiser le trésor de guerre du pays.

Si les exportations de gaz naturel de la Russie vers l’Europe par le biais de gazoducs ont été pratiquement réduites à néant, notamment depuis le sabotage des NordStream 1 et 2, les exportations de pétrole brut et de produits raffinés se portent bien. La hausse des prix du baril au-delà des 80 dollars depuis des mois facilite grandement la stratégie de Moscou visant à contourner les sanctions et maintenir des revenus importants de ses exportations.

Les pays occidentaux ont bien cherché à imposer depuis décembre 2022 un plafond de 60 dollars le baril aux exportations russes de pétrole brut, mais les cours sont suffisamment élevés pour que des pays comme la Chine et l’Inde, qui n’ont de toute façon pas recours aux assureurs occidentaux pour leurs tankers et sont donc pour la plupart à l’abri du plafond, paient plus que ces 60 dollars.

Si l’efficacité des sanctions est aussi limitée, c’est la aussi conséquence de la nature planétaire du marché pétrolier et de sa taille (voir l’infographie ci-dessous).

Ainsi, les pays occidentaux ont réduit leurs importations de pétrole russe mais des pays comme la Chine et l’Inde ont pris le relais en achetant du brut russe à des prix avantageux. Ce réalignement a atténué le coup porté à l’économie russe et a également mis en évidence les limites des sanctions occidentales unilatérales.

Tout le monde est satisfait…

En fin de compte, dans ce qui est un vrai jeu de rôle presque tout le monde affirme être satisfait, à l’exception évidemment de l’Ukraine. Les puissances occidentales se vantent d’être fermes avec la Russie. Poutine peut affirmer que l’Occident n’a pas été en mesure de le priver de ses revenus pétroliers, ce qui est vrai en grande partie. Les grands négociants pétroliers profitent de la volatilité accrue du baril liée à la guerre et aux sanctions, ce qui leur permet d’engranger de gros bénéfices. La Chine et l’Inde continuent de s’approvisionner en pétrole à bon marché. Et les critiques qui affirmaient il y a déjà deux ans que les sanctions seraient inefficaces peuvent clamer qu’ils avaient raison.

La vérité est que les revenus pétroliers de la Russie continuent de financer la guerre et que les sanctions et les mécanismes de plafonnement des prix n’ont pas réussi à priver la Russie de ses revenus d’exportation. La volonté de trouver des solutions alternatives en fait la démonstration.

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