Après s’être embarqué dans une guerre des prix du pétrole en provoquant de façon délibérée l’Arabie Saoudite, la Russie de Poutine affirme aujourd’hui qu’elle peut faire face aisément aux conséquences de l’effondrement des cours du baril. Les médias russes et leurs relais à l’étranger mettent en avant depuis plusieurs jours la solidité économique et financière de la Russie soumise déjà depuis plusieurs années à des sanctions américaines pour avoir annexé la Crimée et initiée une guerre larvée à l’est de l’Ukraine. A les croire, même avec un baril à 25 dollars et pendant dix ans, Moscou ne craint presque rien.
Le risque d’une récession
Il est vrai qu’au cours des cinq dernières années le pays a réduit son budget et accumulé des réserves de 550 milliards de dollars. Mais derrière la propagande, la réalité est comme toujours un peu différente. Selon plusieurs analystes et économistes, si la guerre des prix du pétrole se prolonge pendant au moins un an, la Russie va commencer à souffrir.
Et elle n’échappera sans doute pas à une récession. L’an dernier, dans une étude sur les scénarios à risque, la Banque centrale russe estimait qu’avec un baril à 25 dollars, l’économie du pays entrerait en récession. Interrogé par l’agence Bloomberg, Vladimir Tikhomirov, économiste du BCS Financial Group à Moscow, estime que l’économie russe peut se contracter de 0,5% si les cours du baril restent autour de 35 dollars. «Le ministre des finances ne prend pas en compte la baisse de l’activité économique, ses estimations sont exagérées», souligne-t-il.
La popularité du président «à vie»
Ce qui est menacé directement aujourd’hui est l’annonce faite il y a quelques mois par le Président «à vie», Vladimir Poutine, d’une augmentation des dépenses publiques afin de soutenir le pouvoir d’achat de la population qui stagne depuis des années. «Si dans un an, ils voient que le prix du pétrole s’est stabilisé autour de 30 dollars, ils seront contraints de prendre des mesures pour réduire les dépenses ou d’augmenter les impôts, il n’y a pas d’autres possibilités», explique à l’agence Bloomberg Natalia Orlova, chef économiste à Moscou de l’Alfa-Bank. Pour Karen Vartapetov, analyste de S&P Global Ratings à Moscou, avec un baril dont les cours sont de l’ordre de 35 dollars, le budget russe peut tenir trois ans, pas plus.
Vladimir Poutine, au pouvoir depuis l’an 2000, devrait encore le rester longtemps. Le Parlement russe, la Douma, a voté le 10 mars un amendement constitutionnel qui permettra à l’actuel président de 67 ans de briguer deux nouveaux mandats. Il faudra que cette réforme soit entérinée par la Cour constitutionnelle et un vote populaire, des formalités… La stratégie de Vladimir Poutine pour doper sa popularité en baisse consistait à dépenser plus pour le développement des infrastructures et pour soutenir l’activité et une croissance de 1,3% du Pib. La faiblesse de la croissance et la stagnation et même la baisse des revenus sont les principales raisons de la baisse de popularité depuis des mois du président russe.
Interventions de la Banque centrale
Même avant la chute des cours du pétrole, le gouvernement avait l’intention d’utiliser des sommes provenant des revenus pétroliers et placées dans un fonds souverain. Il est vraisemblable si la situation ne change pas sur le marché pétrolier, qu’il lui faudra mobiliser une part plus importante de ce fonds. Mais cela ne sera pas sans risques. «Si le fonds souverain venait à être utilisé en grande partie, cela mettrait la Russie dans une situation financière de grande vulnérabilité», prévient Christopher Granville, directeur de TS Lombard.
Mardi 10 mars, la Banque centrale russe est intervenue sur le marché des changes pour acheter du rouble et soutenir les cours de sa devise malmenée par la baisse du pétrole. Elle ne pourra pas non plus continuer à baisser les taux d’intérêt pour soutenir la croissance.
La situation économique et financière de la Russie est aujourd’hui sous contrôle et n’est pas menacée dans l’immédiat par l’effondrement du marché pétrolier et la perspective d’une éventuelle récession mondiale du fait de l’épidémie de Coronavirus. Mais le pétrole et le gaz représentent un tiers du Pib de la Russie. Si la dépression pétrolière devait durer, la population en subira les conséquences d’une façon ou d’une autre.