L’inhabituelle douceur automnale nous le ferait presque oublier. Nous venons d’entrer dans les saisons froides. Et les craintes sur la sécurité d’approvisionnement en énergie du pays (et plus largement de l’Europe) n’ont pas disparu. RTE (le Réseau de Transport d’Électricité) a présenté, le 14 octobre, un ensemble de scénarios sur le passage de cet hiver à haut risque en tentant d’évaluer chaque variable à surveiller.
La principale de ces variables a le gros défaut d’être totalement imprévisible à long terme: c’est la météo. RTE avait donc promis une réactualisation, mois par mois, de ses prévisions et scénarios. Cela a été chose faite la semaine dernière.Le premier point abordé est celui de l’évolution de la consommation. Si, couverts par le bouclier tarifaire, il n’est pas observé une inflexion à la baisse de la consommation électrique des ménages, le signal prix fonctionne lui à plein dans l’industrie avec une diminution de la demande de 8 à 9% par rapport à la tendance corrigée des aléas météorologiques.
Ralentissement de la consommation et de l’activité économique
Si cette nouvelle est positive pour la sécurité d’approvisionnement, elle trahit néanmoins un fort et problématique ralentissement économique. Cependant, contrairement aux promesses politiques, il est totalement illusoire de penser qu’on peut, en l’absence d’évolutions technologiques coûteuses et longues, produire autant avec une énergie moins abondante. Ces évolutions viendront (certaines sont déjà en cours de déploiement) mais à court terme, le signal prix et ses conséquences économiques ne sont qu’une des conséquences de l’adaptation de l’économie et la mise en corrélation de la demande par rapport à l’offre disponible.
Le deuxième point, celui qui fait le plus parler ces derniers jours, est la disponibilité du parc nucléaire français et les risques pesant sur celle-ci. Les risques nous les connaissons: l’évolution des travaux de réparation liés à la corrosion sous contrainte, et le climat social au sein d’EDF qui a conduit au mouvement de grève dans la plupart des centrales. Un mouvement qui est maintenant terminé après que la direction de l’énergéticien public ait cédé, sur ordre du gouvernement, a toutes les demandes de la CGT.
Les travaux liés à la corrosion sous contrainte de certains réacteurs nucléaires avancent bien
Cela n’empêche pas de tirer notre chapeau à EDF sur la façon dont le problème de la corrosion sous contrainte est abordé et surmonté. Les travaux avancent bien, et même très bien. EDF gagnerait à mettre en lumière les hommes et les femmes qui, en moins d’un an, ont réussi à identifier un problème jusque-là inconnu, à en comprendre l’origine, et à réparer les centrales touchées dans des temps records. Et, dans le même temps, réussir à développer un système de vérification et de suivi de cette corrosion de façon non destructive pour gagner énormément de temps à l’avenir. A l’heure où certains aiment à se lamenter sur la perte de compétence des techniciens français dans le nucléaire, ce qu’il faut bien appeler un exploit mérite d’être noté.
Ainsi, les travaux spécifiques liés au traitement de cette corrosion ont été annoncés achevés le 4 octobre sur Chinon B3, Bugey 4 et Cattenom 4, et depuis sur Civaux 1. Ces travaux sont par ailleurs en bonne voie d’achèvement sur d’autres réacteurs comme Flamanville 2.
Voilà pour les bonnes nouvelles. Cependant, en face, le climat social très compliqué et les grèves touchant EDF ne permettent pas de relâcher la vigilance, et ce avec plusieurs illustrations.
L’hydroélectrique sera au rendez-vous
Cette mise à jour de RTE permet aussi de voir que les efforts faits sur la gestion des réserves d’eau en cette période de sécheresse (au prix d’une augmentation des importations et de l’usage des centrales au gaz depuis le début de l’été) permet d’améliorer la situation et revenir dans des niveaux déjà connus bien que très inférieurs à la moyenne. Et, malgré ce niveau toujours très bas, les barrages français devraient être disponibles pour produire durant les pointes de consommation de cet hiver.
Si la situation s’est progressivement améliorée, elle n’est pas encore optimale au regard de la période. Les réserves d’eau sont ainsi remplies à 63%, un taux inférieur de 6,8 points à la moyenne historique. Les Alpes du Nord constituent la seule zone géographique dont les réservoirs d’eau sont plus remplis qu’en temps normal. Les réservoirs du Massif Central ne sont plus très loin de leur moyenne historique contrairement à ceux des Alpes du Sud et des Pyrénées qui sont tout juste remplis à moitié et restent plus de 20 points en deçà des normales.
Concernant le gaz, l’excellent niveau de remplissage des stocks de gaz (à plus de 99% pleins, soit plus de 130TWh) permet d’écarter les risques de rupture d’approvisionnement des centrales thermiques durant la première partie de l’hiver. Cependant, ces stocks ne sont pas suffisants. Le pays devra continuer d’importer continuellement du gaz et les risques de pénurie ne peuvent pas encore être totalement écartés pour la seconde partie de l’hiver, notamment les mois de février et mars. Il est à noter que pour le système électrique, la période la plus tendue étant la première partie de la saison froide, cette configuration amène donc à un relatif optimisme.
Enfin, nous avons les résultats de l’appel d’offres concernant les effacements de consommation des entreprises électro-intensives. Arrivant à un résultat de 2,7GW de capacité d’effacement, en très nette hausse (+36%) par rapport à l’année dernière.
Tous ces éléments permettent aujourd’hui de donner un très faible risque sur la sécurité d’approvisionnement durant les prochaines semaines, risque qui va cependant augmenter à partir de début novembre du fait de l’évolution météorologique. Les points de vigilance identifiés (conflit social chez EDF, pluviométrie pour nos barrages) doivent être surveillés attentivement afin d’écarter définitivement tout risque de blackout.
Philippe Thomazo