La France vit encore en partie dans l’illusion qu’elle pourra échapper, par miracle, aux pénuries de gaz et sans doute d’électricité qui vont frapper l’Europe l’hiver prochain. Elle se trompe. Pour deux raisons. D’abord, parce que son système de production électrique est lourdement affaibli par la mise à l’arrêt pour maintenance d’une grande partie de son parc de réacteur nucléaire, 30 réacteurs sur 56 au jour d’aujourd’hui. Ensuite, parce que même si elle est moins dépendante du gaz russe que nombre de ses voisins, solidarité européenne oblige, elle sera contrainte de partager une partie de ses réserves.
Moins de besoins et plus de fournisseurs
En théorie, la France est plus à même de faire face à la coupure du gaz russe que ses voisins italiens et allemands. Nous en consommons moins grâce à notre parc de centrales nucléaires, et nos fournisseurs sont plus variés. Par ailleurs, nous avons la capacité d’augmenter nos importations de GNL (Gaz naturel liquéfié) par méthaniers grâce à nos terminaux de regazéification… que n’ont même pas les Allemands.
La France peut ainsi se féliciter d’avoir d’ores et déjà quasiment rempli ses capacités de stockage. Elle a pu le faire car en 2021 la Russie n’était que le deuxième fournisseur de gaz naturel de la France (17%) et que Paris a pu solliciter ses autres partenaires, comme la Norvège, qui fournit 36% du gaz utilisé, mais aussi l’Algérie, le Nigeria, le Qatar et surtout les Etats-Unis qui ont multiplié les livraisons de GNL au cours des derniers mois.
16 sites de stockage
La France compte 16 sites de stockage de gaz naturel répartis un peu partout sur le territoire. Les deux grands acteurs du secteur sont Storengy (filiale d’Engie), et Teréga. Storengy possède 14 sites et ses «capacités de stockage représentent l’équivalent d’un quart de la consommation française de gaz annuelle et permettent de couvrir jusqu’à 50% des besoins en période de froid», explique Alain Caracatzanis, directeur des opérations de Storengy France. De son côté, Teréga, qui possède deux grands sites de stockage dans le Sud-Ouest, représente «près d’un quart des capacités françaises en stockage de gaz». En ce moment, le taux de remplissage des stocks de Storengy et Teréga a dépassé 90%, avec une «trajectoire d’injection plus soutenue que l’année dernière», ce qui permettra d’atteindre les 100% demandés par le gouvernement.
Mais ces stockages sont constitués pour faire face aux à-coups de la demande pendant la saison froide, pas pour se substituer à des livraisons défaillantes. En outre, et surtout, ils ne sont pas dimensionnés pour subvenir aux besoins des pays voisins.
L’Allemagne ne peut pas échapper à la pénurie
Illustration de l’inquiétude qui grandit. Le prix européen du gaz a poursuivi la semaine dernière une hausse qui semble inexorable. Elle est le reflet des difficultés pour l’Union à la fois à trouver des fournisseurs de substitution et à amasser des réserves suffisantes pour pouvoir se passer des exportations russes pendant l’hiver.
Le contrat à terme du TTF néerlandais, référence du gaz naturel en Europe, a dépassé plusieurs fois en séance 250 euros le mégawattheure (MWh), un niveau qui n’a plus été observé depuis les premières journées de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’est encore loin du sommet historique en séance atteint le 7 mars à 345 euros. Mais il y a des chances… que les cours remontent à ses niveaux.
Le régulateur allemand de l’énergie a prévenu la semaine dernière que le pays risque de manquer son objectif de remplissage de ses réservoirs fixé par le gouvernement. Le responsable du régulateur, Klaus Müller, a averti que des pénuries étaient à attendre dans certaines régions durant l’hiver, et qu’il ne s’agissait «pas d’un hiver mais d’au moins deux, et le deuxième hiver pourrait être encore plus difficile».