<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Rénovation énergétique immobilière : « La stabilité réglementaire est absolument indispensable »

21 mars 2025

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Rénovation énergétique immobilière : « La stabilité réglementaire est absolument indispensable »

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Un entretien avec Guillaume Millo, expert en réhabilitation immobilière, auteur du livre Achetez Rénovez Gagnez : La stratégie de rénovation immobilière rentable pour générer des plus-values et faire des économies grâce à la transition énergétique, Jikji éditions. Propos recueillis par Éric Leser. Article paru dans le numéro 24 du magazine Transitions & Energies.

T&E : Un des conseils originaux que vous donnez aux personnes qui envisagent d’acheter un logement est de ne pas aller en priorité vers le neuf mais vers l’ancien. Pourquoi ?

-G.M. : D’abord, nous n’avons pas besoin en France de construire des logements neufs comme nous l’avons fait dans le passé. Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait un manque en France de 4 millions de logements. Le pays s’est alors doté d’un outil industriel pour produire du logement en masse avec pour objectif d’en fabriquer 240 000 par an. Nous sommes toujours sur le même curseur depuis quatre-vingts ans. En 2022, nous avons ainsi construit 260 000 logements neufs. Mais la demande a diminué. Ce qui n’a pas empêché de stimuler de façon artificielle, pour des raisons sociales, d’emploi et de soutien à l’activité économique, la construction de logements par tout un ensemble d’aides et d’incitations.

Continuer ainsi n’a aucun sens. Au rythme de 260 000 logements neufs par an, on en aura construit 6,5 millions d’ici 2050. Et dans le même temps, la population française devrait avoir augmenté de 7 millions d’habitants. Compte tenu du ratio de 1,80 personne par logement en moyenne, on aura des millions de logements neufs inutiles. On mesure bien le côté artificiel du marché du neuf qui s’est effondré avec la fin d’avantages fiscaux comme la loi Pinel par exemple. Et on n’a sans doute pas touché le fond.

Si on poursuit notre raisonnement, on s’aperçoit que 90 % des logements nécessaires d’ici 2050 sont déjà construits.

T&E : Cela signifie qu’on peut adapter 90 % du parc de logements actuel aux normes les plus strictes en matière d’efficacité énergétique ?

-G.M. : La réponse est oui. Il faut déjà avoir présent à l’esprit le fait que d’ici 2050 l’objectif est de ne plus avoir la moindre artificialisation des sols. Cela signifie qu’il restera seulement deux possibilités. Raser pour construire du neuf et réhabiliter. La rénovation va devenir un standard. Mais il faut se placer impérativement dans une logique de temps long quand on l’aborde.

À titre personnel, j’ai rénové en 2007 une ancienne auberge que j’avais achetée. Nous sommes en 2025, je n’ai quasiment rien fait depuis. J’ai toujours mon poêle à bois de l’époque. La disposition des pièces est toujours la même. Les revêtements de sol sont toujours les mêmes tout comme les fenêtres. La seule chose que j’ai faite, c’est du rafraîchissement. J’ai changé la VMC [Ventilation mécanique contrôlée] et mis un coup de peinture. Il faut bien prendre conscience que les décisions de rénovation prises aujourd’hui auront un impact dans les trente prochaines années.

On parle aujourd’hui beaucoup des interdictions de locations. D’ici 2034, les trois dernières étiquettes du diagnostic de performance énergétique, E, F, G, seront interdites de location. Cela représente 15 millions de logements, soit 40 % du parc immobilier existant. Et derrière, il y a un autre défi encore plus gigantesque dont personne ne parle : zéro émission en 2050. Imaginons que nous arrivions à rénover 40 % des logements en neuf ans, ce qui serait une performance extraordinaire. Il faudra ensuite rendre tous les bâtiments zéro émission en seize ans. C’est-à-dire rénover 95 % du parc immobilier. Comment fait-on ?

On vise les rénovations avec l’étiquette B du diagnostic de performance énergétique, une consommation de 80 kWh par mètre carré et par an, et on additionne à cela la mise en place sur le bâtiment d’énergies renouvelables pour permettre l’autoconsommation. Mais si aujourd’hui 40 % du parc immobilier n’est rénové que pour échapper aux trois dernières étiquettes, cela signifie qu’une fois que cela sera fait, il faudra tout recommencer…

Non seulement l’État n’a pas les moyens d’investir massivement dans la rénovation, mais en plus, nous sommes partis pour faire les choses deux fois.

Il faut bien mesurer les enjeux financiers. Une rénovation globale et performante pour atteindre l’objectif 2050, cela représente en moyenne entre 50 000 et 70 000 euros. En prenant 60 000 euros comme référence et si on rénove 90 % du parc immobilier, cela représente un investissement de 80 milliards d’euros par an jusqu’en 2050. Un ouvrier dans le bâtiment produit à peu près 15 000 euros de chiffre d’affaires par mois. Les 80 milliards représentent 450 000 emplois directs.

T&E : En théorie, on peut avoir, sous réserve de formations, les 450 000 ouvriers dont nous avons besoin. Puisque nous avons selon vous un outil surdimensionné pour construire des logements neufs. Peut-on convertir une partie du secteur de la construction vers la réhabilitation ? 

-G.M. : Cela ne sera pas facile. Cela fait à peu près trente ans que je suis sur des chantiers. J’ai fait du neuf et de la réhabilitation. Ce sont des spécialités très différentes. Ce sont des façons de procéder et des organisations qui n’ont rien de comparable. Ce n’est pas le même métier. J’ai travaillé dans un grand groupe pendant de nombreuses années. Il y avait des personnes spécialisées dans le neuf et d’autres, comme moi, dans la réhabilitation. Et on ne faisait appel à moi que pour cela. Je faisais parfois beaucoup de kilomètres, alors qu’il y avait des moyens sur place, pour bien appréhender l’objet de la rénovation.

T&E : On a mesuré le défi qui nous attend à l’échelle du pays. On peut peut-être maintenant passer à l’échelle du particulier et voir comment il peut essayer de faire les choses bien. Quelle stratégie doit-il adopter et quels sont les bons réflexes à avoir pour éviter les erreurs coûteuses ?

-G.M. : Il faut tout de suite viser l’étiquette B et une consommation de 80 kWh par mètre carré et par an. Certains vous diront que cela coûte cher. Mais cela coûte beaucoup plus cher de le faire en plusieurs fois. En fait, l’ajustement de prix est assez minime si on fait une rénovation globale et performante en visant le label BBC, c’est-à-dire bâtiment basse consommation.

On fait cela avec quatre postes principaux. Numéro 1, l’isolation (toit, plafond, murs et planchers). Numéro 2, les fenêtres. Avec cela, on couvre déjà près de 75 % des déperditions thermiques. Il faut faire les deux en même temps parce que cela permet de traiter un paramètre dont personne ne parle : l’étanchéité à l’air. Cela représente 15 % de la déperdition thermique. Comme il y a des différences de pression entre l’air chaud et l’air froid, l’air chaud qui est plus dilaté s’échappe l’hiver du bâtiment par tous les orifices possibles. Cela peut être les prises, les défauts d’étanchéité entre l’isolation et les fenêtres. C’est pour cela qu’il faut traiter l’isolation et le changement des fenêtres en même temps pour pouvoir faire la jonction entre ces deux postes.

Point numéro 3, la ventilation avec une ventilation mécanique et contrôlée. Renouveler l’air sert essentiellement à deux choses. D’abord, évacuer l’humidité que génèrent l’activité domestique et la respiration des êtres humains. S’il n’y a pas de renouvellement, l’humidité va venir se stocker sur les points froids qui se trouvent généralement aux pieds des murs. Cela peut créer des pathologies. On a des moisissures, des champignons qui apparaissent. En rendant étanche le bâtiment, on piège l’humidité et il faut l’évacuer.

Ce qui nous amène au deuxième point, c’est indispensable pour avoir un air sain. J’ai une valeur standard pour cela. Il faut renouveler 0,6 volume d’air à l’heure. Si vous avez un logement qui fait 100 m2 avec une hauteur sous plafond de 3 mètres, cela fait un volume de 300 m3. Il vous faut donc un débit d’air de l’ordre de 180 m3/h. Ce qui doit être la performance de l’extracteur d’air que vous faites installer. Autres éléments à savoir, il faut extraire dans les pièces humides, salles de bains, cuisines et sanitaires, et renouveler l’air frais par les pièces sèches. Il faut des entrées d’air dans les menuiseries, c’est-à-dire les fenêtres, et les coupler avec les dispositifs de ventilation, pas les bricoler. Il faut aussi penser à détalonner toutes les portes intérieures et laisser une ouverture de 0,5 à 1 millimètre sous les portes pour que l’air circule. Enfin, pour en finir avec la ventilation, je recommande de mettre un dispositif de VMC autoréglable. Cela ventile avec un débit permanent, ce qui est une très bonne chose pour avoir en permanence une atmosphère saine dans le logement. En plus, c’est le dispositif le moins cher du marché. Et la consommation électrique est négligeable.

T&E : Il reste le dernier point. Quel système de chauffage adopter ?

-G.M. : Ce n’est pas pour rien si le chauffage est le point numéro 4. Il doit venir en dernier. C’est une règle impérative que même l’État est incapable de respecter en accordant la priorité à l’acquisition d’une pompe à chaleur pour remplacer une chaudière à gaz ou au fioul. Si vous commencez par le chauffage, vous allez être obligé de surdimensionner la pompe à chaleur pour subvenir aux besoins d’un logement qui n’est pas isolé. Lorsque vous ferez ensuite vos travaux de rénovation, la pompe à chaleur va fonctionner à bas régime et s’user prématurément. Cela diminue de moitié sa durée de vie. Je recommande fortement de sous-dimensionner la pompe à chaleur pour répondre à 80 % du besoin maximum de chaleur. Je suis sûr ainsi qu’elle tourne souvent à plein régime et que le matériel ne s’use pas. Et pour les périodes de grand froid, on installe en plus des radiateurs électriques d’appoint.

T&E : Quel type de pompe à chaleur recommandez-vous ?

-G.M. : D’abord, je tiens à dire que les pompes à chaleur sont un excellent outil. Elles fonctionnent en France avec de l’électricité presque entièrement décarbonée, grâce au nucléaire, et par ailleurs elles produisent une énergie véritablement renouvelable en allant chercher des calories dans l’air ou dans le sous-sol.

Les pompes à chaleur se distinguent par leur coefficient de performance. C’est-à-dire ce que la pompe à chaleur va produire comme énergie par rapport à celle consommée par un radiateur électrique. Pour les calories récupérées dans l’air, il est aux alentours de 3, mais à condition que la température extérieure ne descende pas trop bas. En-dessous de -10, -15 degrés, cela ne fonctionne plus.

Les systèmes les plus performants sont ceux à géothermie où les calories alimentant la pompe sont récupérées via des sondes dans la terre. Les températures à partir de quelques mètres sous terre sont constantes tout au long de l’année indépendamment des aléas climatiques, entre 11 et 13 degrés.

T&E : Avez-vous enfin des conseils à donner qui permettent de distinguer les bons des mauvais artisans ? Ce qui est un souci majeur pour les particuliers qui se lancent dans des travaux et redoutent de tomber sur des incompétents voire des escrocs.

-G.M. : On ne peut jamais être sûr à 100 % mais j’ai plusieurs critères qui permettent de se rassurer. Maintenant, le premier point n’a rien à voir avec les entreprises, mais avec l’État. La stabilité réglementaire est absolument indispensable. Cela permettra de ne plus voir se multiplier des structures malveillantes qui existent pour profiter du fait que les particuliers sont perdus face à la complexité de normes et de procédures qui changent en permanence.

Après, pour sélectionner les entreprises, la première règle est celle des 10 000 heures. Elle stipule que quand on a passé 10 000 heures à faire quelque chose, on atteint le niveau de maîtrise. J’en déduis qu’il faut qu’une entreprise pratique depuis au moins cinq à six ans pour maîtriser son métier. Autre règle, il faut une progression maximale du chiffre d’affaires de l’entreprise de 10 % par an. Au-delà, c’est très compliqué de gérer l’augmentation des effectifs et la transmission des savoirs. Dernière règle, c’est le niveau de chiffre d’affaires. Il faut qu’il soit au moins dix fois supérieur à ce que seront vos factures. Si vous avez 50 000 euros de travaux à faire, je recommande de prendre une entreprise dont le chiffre d’affaires est d’au moins 500 000 euros.

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