Refashion : Taxer notre mo(n)de

30 août 2024

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Refashion : Taxer notre mo(n)de

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TRIBUNE. Pour limiter l’empreinte environnementale et carbone de l’industrie textile, la France s’est dotée d’un énième organisme, Refashion, et d’une énième écotaxe. Pourquoi faire simple et efficace quand on peut faire compliqué, injuste, peu transparent et peu efficace. Notamment parce que le dispositif fait l’impasse sur l’Ultra-fast-fashion qui est une calamité environnementale et expédie en Afrique et au Pakistan les textiles collectés réutilisables. Par Annabelle Piquet, entrepreneure et gérante de TPE.

Responsable d’environ 20% de la pollution mondiale de l’eau potable et de 10% des émissions totales de CO2, l’industrie textile est devenue ces dernières années l’une des plus néfastes pour l’environnement. Le nier serait ridicule, ne pas agir serait criminel. Le textile pose problème, en particulier dans sa fin de vie. Le recyclage est quasiment inexistant et rendu compliqué par l’aspect composite des matières utilisées.

C’est dans ce contexte qu’est né l’éco-organisme Refashion, agréé par les pouvoirs publics français. À l’instar d’Ecosystem pour les produits électroniques et électroménagers, il a pour vocation, d’une part, de collecter auprès des entreprises une éco-participation pour chaque article textile neuf mis sur le marché français et, d’autre part, de réinvestir cet argent dans la prévention et la gestion de la fin de vie de ces articles. En somme, un joli cercle vertueux aussi rond que le graphique de la mode circulaire que Refashion adore arborer sur ses supports de communication, bien que celle-ci n’ait à ce jour aucune réalité concrète.

Multiplier les acteurs, les structures et les taxes

Si la cause est louable, l’existence même de Refashion m’interroge : pourquoi l’État français persiste-t-il à déléguer ce genre de mission à des entreprises privées alors qu’il existe déjà de nombreuses structures publiques sous tutelle du Ministère de la transition écologique, telles que l’ADEME, qui pourraient simplement se voir élargir leurs attributions ? Multiplier les acteurs et les structures, c’est inévitablement augmenter les charges fixes liées au fonctionnement de celles-ci mais c’est également augmenter les risques d’opacité des comptes et de dérives de gestion. Comment ne pas faire le parallèle avec le RSI, organisme privé auquel l’État avait confié le régime social des indépendants avant de le dissoudre en 2018 après des années de dysfonctionnements et d’erreurs majeures aux conséquences souvent désastreuses pour de multiples entreprises.

Force est de constater qu’en France la réponse apportée aux problèmes est quasiment toujours d’ordre fiscal avec la création de nouvelles taxes, une éco-taxe dans ce cas précis, même si l’appellation d’éco-participation tente de noyer le poisson. Bien que les principaux concernés rechignent à utiliser ce mot et que l’État se dédouane de ce vilain rôle de collecteur, il convient d’appeler un chat un chat. Oui, l’éco-participation est une taxe, une nouvelle, une de plus qui pèse sur des entreprises de toutes tailles, même les petits commerces ou les rares survivants de l’industrie textile française déjà écrasés par une des fiscalités les plus lourdes d’Europe. Gageons également que, comme la plupart de ses semblables, cette taxe sera inévitablement reportée sur le prix final des articles textile et pèsera donc sur le budget du consommateur français dont le sacro-saint pouvoir d’achat est pourtant au cœur des débats.

Inutile complexité

La logique du pollueur-payeur, qui est pourtant loin d’avoir fait ses preuves par le passé, semble être encore à l’œuvre dans ce cas précis, mais, dans les faits, est-ce aussi simple ? Les entreprises qui doivent s’acquitter de cette éco-participation sont celles que Refashion appellent des « metteurs sur le marché ». Ce terme est suffisamment ambigu pour que Refashion se sente obligé de préciser qu’il désigne les entreprises, producteurs, grossistes ou distributeurs, qui, les premiers, s’acquittent de la TVA française. Ainsi, un commerce français devrait payer cette taxe pour les articles textile qu’il aurait achetés à une entreprise étrangère sous le régime de la TVA intracommunautaire en Union européenne ou hors de celle-ci, mais en serait exonéré pour les articles achetés à une entreprise, étrangère ou non, si celle-ci facture la TVA française.

Non, ce n’est définitivement pas simple et cette inutile complexité donne d’ores et déjà lieu à des erreurs, probablement involontaires, mais souvent en faveur de Refashion lorsque l’éco-taxe est exigée en double pour un même article, au producteur et au distributeur. Notons également que, désireux de simplifier ces impossibles calculs pour les plus petites structures, Refashion a mis en place une taxation unique en dessous du palier de 5.000 articles par an. Merci pour le geste et dommage pour la mercerie de village qui ne vendrait que 1.000 articles annuellement ! Après la taxation en double pour un même article, voici l’éco-taxe pour des articles fantômes !

Le problème, c’est l’Ultra-fast-fashion

L’industrie textile n’a jamais été verte, mais c’est à partir de 2018 que la quantité de déchets textile en France semble brutalement suivre une courbe exponentielle. Comment expliquer cela alors que le budget moyen des Français consacré à ces achats est stable ou en baisse depuis lors ? La réponse est évidente : cela correspond à la déferlante de l’Ultra-fast-fashion. Des entreprises telles que Shein et Temu expédient à elles seules plus de 9.000 tonnes de marchandises par jour,  majoritairement textiles, essentiellement vers l’Europe et la France qu’ils reconnaissent comme être l’un de leur plus gros marché. En 2023, le géant Shein proposait chaque jour sur son site internet plus de 7.200 nouveaux modèles en moyenne, soit plus de 470.000 modèles disponibles en temps réel. Les articles à très bas prix vendus par ces marques sont de piètre qualité et souvent en matières issues de la pétrochimie, ce qui rend leur durée de vie très courte et leur réemploi (textiles de seconde main) quasiment impossible. L’entreprise Le Relais, historiquement leader de la collecte, du tri et du recyclage textile en France tire depuis plusieurs années la sonnette d’alarme sur la sur-représentation de ces marques dans leur collecte et la difficulté de leur traitement. Au vu de ces éléments, peut-on encore affirmer que les payeurs de l’éco-taxe sont véritablement les principaux responsables de la pollution textile en France ? Si l’on suit scrupuleusement la charte et la logique de Refashion, les acteurs de l’Ultra-fast-fashiondevraient s’acquitter de l’éco-taxe pour chaque article textile vendu directement au consommateur français mais l’on peut raisonnablement douter que ce soit le cas, quand on constate à quel point les finances publiques peinent déjà à leur faire payer intégralement leur dû de TVA, sans oublier que le calcul de l’éco-taxe est établi sur une base déclarative et repose donc essentiellement sur l’honnêteté du déclarant…

Aucune transparence

Refashion étant, fort heureusement, un organisme à but non lucratif, il convient désormais de se pencher sur l’utilisation et la redistribution de cette taxe puisque telle est sa raison d’être. Entre 2022 et 2023, la collecte de l’éco-participation s’est grandement accélérée passant de 10 millions à 100 millions d’euros. Il s’agit donc de sommes d’argent plutôt conséquentes. En 2023, la structure qui ne comptait pourtant qu’une vingtaine de salariés, affiche des charges de personnel s’élevant à 4 millions d’euros et Refashion n’a pas souhaité communiquer le détail de la rémunération des organes de direction. Plus embêtant, 90% des textiles collectés et considérés comme réutilisables sont exportés à l’international, sur le continent africain mais également au Pakistan qui en a réceptionné pas moins de 33.000 tonnes en provenance de la France en 2022. Quid de l’impact énergétique du transport de nos fripes ? Peut-on vraiment se féliciter de ne plus enfouir en France nos déchets textiles quand bon nombre d’entre eux finiront dans une décharge à ciel ouvert à l’autre bout du monde ? Car, ne soyons pas naïfs, si certains pays importateurs de ces déchets textiles, ont l’industrie nécessaire pour assurer leur traitement, ce n’est clairement pas le cas pour une grande majorité d’entre eux.

Ces dernières années, plusieurs pays africains, notamment le Rwanda, le Kenya, l’Ouganda ou encore la Tanzanie ont décidé de s’attaquer au problème en refusant les conteneurs de fripes en provenance des États-Unis mais également d’Europe, affirmant qu’ils ne voulaient plus servir de poubelle au marché textile occidental. La pollution occasionnée par ces flux devenait catastrophique mais ces pays espéraient également pouvoir relancer l’industrie locale de confection de vêtements. Au Rwanda, malheureusement, les textiles « Made in Rwanda » demeurant inaccessibles financièrement pour bon nombre d’habitants, ceux-ci ont choisi de se tourner vers… les produits de l’Ultra-fast-fashion de l’industrie chinoise ! La boucle est bouclée mais le cercle est loin d’être vertueux ! Pendant que les entreprises françaises n’auront bientôt plus que « l’impôt sur les os », les entreprises chinoises ont encore de beaux jours devant elles.

Annabelle Piquet

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