Depuis le début de la crise sanitaire, la forte densité de population est pointée comme un facteur de propagation du coronavirus. La concentration de très nombreuses personnes dans un espace restreint a d’ailleurs favorisé certains épicentres d’infection. Face à ce risque, de nombreux habitants sont partis se mettre au vert, dans des logements plus grands, des environnements moins denses, estimant qu’il serait plus facile de s’aérer tout en respectant les consignes de distanciation sociale.
L’idée de dédensifier les villes a ainsi réémergé, ravivant un imaginaire rural fantasmé, marqué par une dichotomie entre villes denses et campagnes vides qui n’a plus vraiment de sens. Pour autant, la crise nous invite effectivement à questionner le mouvement de densification qui régit l’urbanisme depuis des décennies, et nous appelle à revenir à des densités plus raisonnables.
Des zones rurales moins isolées qu’avant
Le schéma qui oppose dans nos esprits la ville, dense et stressante, à la campagne, vide et reposante, ne correspond plus à la réalité, notamment parce que le rural côtoie de plus en plus les grandes villes. On vit en périphérie de la métropole, dans un cadre campagnard, avec maison et jardin, tout en profitant quotidiennement de la ville à proximité, où l’on travaille et où l’on sort.
Mieux desservies par les réseaux de transport qu’auparavant, les zones rurales ne sont d’ailleurs plus aussi protégées des virus que l’on peut le croire. Hommes et marchandises voyageant désormais de Hongkong à Los Angeles en moins de treize heures, les épidémies sont capables d’émerger à peu près n’importe où. Les nouveaux agents pathogènes ont tendance à arriver dans un premier temps dans les hubs mondiaux, mais ils peuvent rapidement atteindre des zones plus reculées et y proliférer en quelques heures.
Bien sûr, la faible densité des campagnes y ralentit la propagation des maladies, mais gardons en tête que les populations rurales disposent aussi de bien moins d’infrastructures pour les prendre en charge une fois la maladie contractée.
L’idéal contestable de la ville dense
En outre, les frontières entre urbain et rural sont de plus en plus poreuses. En France, les territoires qui ne sont ni ville ni campagne mais empruntent à l’une et à l’autre connaissent depuis trente ans une forte croissance démographique, donnant lieu à un habitat et des rythmes de vie discontinus. Les zones rurales gagnent 0,7% de population par an et abritaient en 2018 environ 20% de la population française.Qu’elles soient péri-urbaines ou plus lointaines, ces campagnes suivent aujourd’hui leur propre logique de développement. Dépendantes des villes et des flux de la mondialisation tout en étant liées aux villages, au monde rural et aux paysages qui les environnent, elles offrent une interaction entre ces deux mondes qui séduit leurs résidents.
Malgré le repeuplement de ces zones, l’urbanisme a continué à encourager la densification des villes, dénigrant «l’étalement urbain». Les métropoles sont effectivement supposées plus vertueuses sur le plan environnemental, par leur capacité à optimiser les distances et les services.
C’est dans la ville dense que la collectivité pourra produire au meilleur coût les services urbains dont les habitants ont besoin. Par elle, on pourra mieux préserver les espaces naturels. Pour elle, les architectes et les urbanistes inventeront de nouvelles combinaisons de matériaux, de conceptions et de solutions afin de répondre aux attentes des habitants: un habitat confortable, sain, sobre, intime, dans une ville équipée, connectée, sûre et mixte, au service d’une société apaisée, ouverte et responsable.
Parallèlement, le besoin de nouveaux logements ne cesse d’augmenter dans les métropoles, augmentant inexorablement la densité dans les villes. Un mouvement qui semble inéluctable.
Quand le Grenelle de l’environnement proscrit l’étalement urbain!
Dans sa version la plus élémentaire, le développement durable impliquerait donc le retour à la «vraie ville» et ses densités, confinant par ailleurs les campagnes à l’agriculture.
Trop d’analystes et de chercheurs se sont un peu facilement ralliés à la défense de cette conviction, qui prend parfois la tournure d’une croisade contre la péri-urbanisation, l’étalement urbain, la société péri-urbaine. Justifié par le développement durable, le discours contre les «étalés» est parfois si pesant qu’on a pu avec raison le qualifier de «racisme spatial». La pression est d’autant plus pénible lorsqu’un processus aussi nourri de débats publics et d’expertises scientifiques que le Grenelle de l’environnement débouche sur une loi qui proscrit l’étalement urbain.
Les crises sanitaires comme celles que nous traversons incitent pourtant à la dédensification, et nous rappellent qu’un retour aux densités «à l’ancienne» n’est pas souhaitable. On sait que les densités très fortes des premières grandes villes industrielles ont favorisé la propagation de maladies comme la diphtérie, la tuberculose, le botulisme, ou le saturnisme. Au-delà des enjeux sanitaires, les Français désireux de quitter les villes sont de plus en plus nombreux, et l’urbanisme doit s’adapter à cette demande d’une meilleure qualité de vie.
Dédensifier Paris sans la gentrifier?
Pour autant, dédensifier une ville comme Paris sans en écarter encore davantage les populations les moins aisées reste un défi. Dans la capitale, les quartiers les plus aérés demeurent les plus embourgeoisés, où le parc de logement est essentiellement privé. Le parc de logement social de Paris intramuros, beaucoup plus dense, abrite quant à lui une majorité de catégories populaires.
Recréer un minimum de mixité sociale en Île-de-France impliquerait idéalement d’inciter des centaines de milliers de personnes de catégories sociales supérieures à quitter Paris intra-muros pour les communes de banlieue. Cela exigerait de rendre bien plus attractive la banlieue, en matière de qualité de vie et de densité, tout en y renforçant les pôles d’emploi.
Seul ce moyen permettrait de contrecarrer le processus bien engagé de gentrification que connaît le centre de l’agglomération. Plutôt que de défendre à tout prix une politique de logements permettant aux plus pauvres de rester dans Paris intra-muros, ce qui n’a jamais réellement fonctionné jusqu’ici, il s’agirait de donner envie aux populations les plus aisées de quitter Paris, entraînant une moindre demande et une moindre densité dans la capitale.
Une telle politique impliquerait qu’il existe une autorité métropolitaine ayant compétence d’urbanisme sur la partie urbanisée de la région parisienne, ce qu’aucun acteur local ne souhaite à l’heure actuelle. Difficile dans ces conditions d’agir.
Cette absence de volonté politique révèle combien le modèle de villes concentrées dans des métropoles qui s’est imposé en France ces dernières décennies est devenu une représentation collective, un horizon indépassable de l’urbanisme. Les risques qu’elle nous fait courir sur le plan sanitaire doivent pourtant nous décider à abandonner ce modèle et à revenir à des densités plus raisonnables –en France en tout cas. Cela n’implique pas de reconstruire une frontière entre villes et campagnes qui n’existe plus, mais de redonner sa place à un urbanisme périurbain et rural.
Gabriel Dupuy Professeur émérite d’Aménagement Université Paris1 Panthéon Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.