A peine un mois après son arrivée au pouvoir, la nouvelle administration Trump a provoqué une onde de choc sans précédent en Europe. Le vieux continent a soudain réalisé qu’il va lui falloir compter sur ses propres ressources et ses propres moyens pour assurer à l’avenir sa sécurité et sa défense et faire face à la menace russe. Pouvoir compter sur le parapluie américain a été un luxe que les pays européens n’ont pas toujours mesuré à sa juste valeur. Selon une étude publiée l’année dernière par le Center of Economic Studies et le IFO Institute, depuis la disparition de l’URSS, les « dividendes de la paix » ont représenté pas moins de 1.800 milliards d’euros économisés par les pays européens.
Mais il va leur falloir maintenant et dans l’urgence se doter de capacités militaires leur permettant de se défendre seuls et de faire face à un conflit conventionnel de haute intensité. Cela devrait se traduire par une augmentation importante et rapide des dépenses de défense dans toute l’Europe, y compris le Royaume-Uni. Les pays de l’Union Européenne (UE) cherchent aujourd’hui à se doter de moyens financiers permettant d’investir collectivement 200 à 300 milliards de dollars supplémentaires dans leurs capacités militaires au cours des prochaines années. Les pays européens ayant une armée digne de ce nom, la France, le Royaume-Uni, la Pologne et dans une moindre mesure l’Allemagne envisagent de porter leurs budgets de défense à 3% voire même 5% de leur PIB.
Passer de l’Etat providence au réarmement
Dans l’hypothèse où le financement de cet effort inédit depuis plus d’un demi-siècle serait assuré, le développement de nouvelles capacités industrielles et chaînes d’approvisionnement s’annonce particulièrement compliqué.
Allouer des fonds au réarmement est une chose, construire une économie de guerre en est une autre. Comme l’a récemment montré dans une étude le World Economic Forum, les économies européennes ont été façonnées depuis des décennies pour apporter avant tout à leur population une protection sociale de plus en plus large et généreuse. Elles consacrent ainsi en moyenne 1,9% de leurs PIB à la défense et plus de 25% au financement de cet Etat providence. « Nous devrons maintenant donner la priorité à la défense plutôt qu’à d’autres choses », a récemment prévenu le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, ancien Premier ministre des Pays-Bas.
De l’essence, du fioul et du kérosène
Pour changer de priorités, une refonte complète des industries de défense et du secteur manufacturier en général est nécessaire, de même qu’une réévaluation totale de la politique de sécurité énergétique de l’Europe et de sécurité de ses approvisionnements stratégiques.
De façon plus concrète et dans un avenir prévisible, les armées ont besoin pour fonctionner d’hydrocarbures en grande quantité dont la sécurité d’approvisionnement est assurée. Les chars, les avions et les navires fonctionnent avec de grandes quantités d’essence, de fioul et de kérosène. Et des avions de chasse, des chars de combat et des frégates fonctionnant avec des moteurs électriques et de l’hydrogène, ce n’est pas pour demain, ni même pour après-demain. Un rapport récent du Centre néerlandais pour la politique énergétique internationale (CIEP) met ainsi en garde contre la faiblesse et la fragilité des raffineries pétrolières européennes. Elles sont insuffisantes en termes de capacités et mal protégées contre des attentats et des attaques. Le CIEP souligne aussi la nécessité de sécuriser des stocks stratégiques de pétrole et de carburants raffinés pour faire face à un conflit qui, par exemple, perturberait les transports de tankers depuis le Moyen-Orient.
Le Pacte vert est devenu un obstacle
De façon plus générale, les objectifs très ambitieux et même irréalistes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de baisse de la consommation de combustibles fossiles du Pacte vert européen cher à la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, sont dans l’immédiat des obstacles à la relance d’une industrie de défense et à la mise en place d’une économie de guerre. Il va falloir et vite faire des choix. Car il est impossible à la fois d’investir lourdement pour décarboner la production d’acier, d’aluminium, de produits chimiques et la construction navale et d’augmenter rapidement les capacités de production.
Le Pacte vert était déjà considéré comme problématique même avant la crise sécuritaire qu’affronte l’Europe. Les objectifs fixés par le pacte vert, constitué de milliers de pages de normes, de réglementations et de recommandations concoctées par une armée de technocrates, sont non seulement inatteignables mais il est considéré comme un danger pour l’économie et la prospérité de l’Union Européenne et de ses citoyens. C’est exactement de qu’écrit le Rapport Draghi, publié en septembre dernier et aussitôt enterré.
Sécurité d’approvisionnement en matières premières et composants
Et il se pose aussi le problème aigu de la sécurité d’approvisionnement en matières premières (métaux, énergie) et composants (électroniques notamment) dont dépendent les industries de défense. L’Europe ne peut pas assurer sa défense si elle reste dépendante de composants et d’approvisionnements essentiels pour faire fonctionner ses armées et ses industries de défense venant des États-Unis bien sûr, mais aussi de Corée du Sud, d’Israël, de Chine, de Turquie…
Enfin, il faudra comme le souligne un rapport du Think Tank Bruegel que les grands groupes industriels européen de la défense, les BAE Systems, Leonardo, Thales, Dassault Aviation, Rolls Royce, Rheinmetall, Naval Group, Safran… bénéficient d’aides pour se développer plus rapidement et aussi et surtout de dérogations pour échapper aux multitudes de normes, de règlements et de contraintes qui ont tant affaibli l’industrie européenne.
Anne de Coninck