Utiliser la géo-ingénierie pour limiter le réchauffement climatique est considéré la plupart du temps soit avec scepticisme, soit avec condescendance envers des « savants fous » et de doux rêveurs, soit même avec crainte envers ce que pourraient faire des « apprentis-sorciers ». Mais même si les doutes et les interrogations sont légitimes, on ne peut pas balayer toutes les technologies envisagées et étudiées d’un revers de main. Celle consistant à réduire très légèrement le rayonnement solaire qui atteint la terre par l’intermédiaire d’un bouclier ou plutôt d’un parasol est tout sauf une absurdité, au moins sur le plan théorique.
Limiter, dans des proportions infimes, le rayonnement solaire qui touche la terre
Après tout le problème climatique est la conséquence du fait que compte tenu de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère une proportion infime du rayonnement solaire n’est plus renvoyée dans l’espace. La réverbération par l’atmosphère du rayonnement solaire est appelée albedo en jargon scientifique. L’albedo est mesuré aujourd’hui à 30%. Cela signifie que 30% du rayonnement solaire reçu par la terre est renvoyé dans l’espace.
Réduire, dans des proportions infimes, ce rayonnement peut permettre de trouver au moins en partie une solution au problème. Et même si au grand désarroi des militants et des idéologues, cela ne nous contraint pas à changer de mode de vie et encore mois à détruire le capitalisme… Selon les calculs, réduire de seulement 2% le rayonnement solaire qui atteint la terre serait suffisant pour faire baisser la température moyenne du globe de 1,5 degré Celsius.
Même sans atteindre de telles performances, un bouclier spatial géant ou plutôt un grand nombre de petits parasols pourraient contribuer à stabiliser les températures. Les partisans des parasols soulignent, non sans raison, qu’à ce stade, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas à limiter le réchauffement climatique, que l’élimination du dioxyde de carbone s’avère extrêmement difficile à réaliser et qu’il faut explorer toutes les solutions possibles.
Un prototype de 10 mètres carrés envoyé à 1,5 million de kilomètres
Voilà pourquoi cette utopie technologique est étudiée très sérieusement par plusieurs équipes de scientifiques. Une étude récente de l’université de l’Utah s’est penchée sur la possibilité de répandre et disperser de la poussière dans l’espace, tandis qu’une équipe du Massachusetts Institute of Technology envisage de créer un bouclier constitué de « bulles spatiales ». L’été dernier, Istvan Szapudi, astronome de l’université d’Hawaï, a publié un article proposant d’attacher un grand bouclier solaire à un astéroïde reconverti.
Les plus avancés semblent être des chercheurs du Technion Institute of Technology de Haïfa en Israël. L’équipe est menée par Yoram Rozen, physicien et directeur du Asher Space Research Institute. Elle est prête à construire un prototype de 10 mètres carrés et l’envoyer dans l’espace vers un point fixe entre la Terre et le soleil appelé point de Lagrange 1 ou L1. Il est situé à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit quatre fois la distance moyenne entre la Terre et la Lune. À cet endroit, les forces gravitationnelles de la Terre et du Soleil s’annulent.
« Nous n’allons pas sauver la planète… mais montrer que c’est possible »
« Nous pouvons montrer au monde qu’il existe une solution efficace et l’augmenter à la taille nécessaire », a déclaré Yoram Rozen au New York Times. Le prototype du Technion consiste à fixer des voiles solaires légères à un petit satellite. Il ferait des allers-retours entre L1 et un autre point d’équilibre, la voile s’inclinant en fonction de l’orientation du rayonnement solaire un peu comme une lamelle sur un store vénitien. Cela permettrait de maintenir le satellite sur un parcours stable et d’éliminer le besoin d’un système de propulsion.
Selon M. Rozen, son équipe pourrait lancer son prototype dans les trois ans. Il considère qu’une version grandeur nature coûterait des milliers de milliards de dollars mais réduirait la température de la Terre de 1,5 degré Celsius en deux ans. Mais pour bloquer la quantité nécessaire de rayonnement solaire, le bouclier devrait avoir une superficie d’environ un million de kilomètres carrés…
Une multitude de parasols plutôt qu’un bouclier géant
Un bouclier de cette taille pèserait au moins 2,5 millions de tonnes, ce qui est bien trop lourd pour être lancé dans l’espace. Le projet devrait donc comporter une série de parasols plus petits. Ils ne bloqueraient pas complètement la lumière du soleil, mais projetteraient plutôt une ombre légèrement diffuse sur la Terre. « Au Technion, nous n’allons pas sauver la planète. Mais nous allons montrer que c’est possible », conclut M. Rozen.
En fait, l’idée n’est pas vraiment nouvelle. Dès 1989, James Early du Lawrence Livermore National Laboratory américain a envisagé la possibilité de positionner un « bouclier solaire spatial » en L1. En 2006, Roger Angel, astronome à l’université de l’Arizona, a présenté une autre proposition de bouclier solaire déflecteur à la National Academy of Sciences américaine. Il avait alors obtenu une subvention de l’Institute for Advanced Concepts de la NASA pour poursuivre ses recherches. Il a suggéré d’envoyer des milliards d’engins spatiaux très légers à L1, en utilisant un film transparent et une technologie d’orientation qui empêcherait les appareils de dériver hors de leur orbite.