Entre l’an 2000 et 2018, dans les 37 pays développés membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité ont baissé de 8% et celles provenant des transports ont augmenté de 5%. Pourquoi une telle différence?
Remplacer les centrales au charbon
Rappelons que le transport est à l’origine dans le monde d’environ un quart des émissions de gaz à effet de serre et il en va de même pour la production d’électricité. Cela signifie que ces deux domaines sont essentiels pour la transition énergétique et font d’ailleurs l’objet presque exclusivement de l’attention des gouvernements, des institutions internationales et des écologistes. Car il est encore plus compliqué de s’attaquer à la production de chaleur, à l’industrie et à l’agriculture.
Le domaine où la transition semble la plus facile, relativement, à mener est celui de la production d’électricité. Même si construire des réseaux 100% renouvelables est une utopie aujourd’hui techniquement irréalisable et si le nucléaire, qui émet très peu de gaz à effet de serre, fait l’objet de rejets pour d’autres raisons. Mais il «suffit» déjà de remplacer les centrales au charbon et au fioul par des centrales à gaz, de l’hydraulique, des éoliennes, des panneaux solaires et des réacteurs nucléaires pour avoir des résultats immédiats et importants.
Il y a 1,4 milliard de véhicules à quatre roues en circulation dans le monde
Dans les transports, utiliser des véhicules qui émettent peu ou pas de CO2 est bien plus difficile. D’abord, pour des questions d’échelle des transformations à effectuer. Ensuite, les technologies de substitution existant aujourd’hui sont assez peu efficaces. Il y a environ 1,4 milliard de véhicules à quatre roues en circulation dans le monde et selon de nombreuses prévisions, il y en aura quelques centaines de millions de plus au cours des prochaines décennies. Par ailleurs, en l’état actuel de la technologie ceux qui sont électriques et fonctionnent avec des batteries ont une empreinte carbone importante liée à leur production et également au caractère décarboné ou pas de l’électricité qui sert à les recharger. Quand aux véhicules à hydrogène voire à ammoniac utilisant un carburant décarboné, il s’agit plus de projets que de réalité. La fabrication d’hydrogène décarboné ou vert en est à ses prémisses.
Les exemples du Royaume-Uni et de la Californie
Catherine Wolfram de l’Université de Californie Berkeley prend comme exemple dans une étude récente les émissions générées par les deux secteurs, électricité et transports, depuis 2000 au Royaume-Uni et en Californie. Un pays et un Etat qui peuvent être donnés en exemple en matière de transition.
Au Royaume-Uni les émissions des transports étaient en baisse de 6% en 2018 par rapport à 2000 et celles de la production d’électricité de pas moins de 50%. Dans ce dernier cas, l’abandon du charbon a été un élément majeur. Il représentait encore dans les années 1990 autour de 70% de la production d’électricité. Les centrales au charbon ont été remplacées par des centrales à gaz et des renouvelables. Le plus «facile» a été fait.
Pour ce qui est des transports, la performance est aussi à saluer parce que dans le même temps le nombre de kilomètres effectués sur le réseau routier a augmenté de 10%, essentiellement du fait de l’augmentation de la population et de celle de son niveau de vie et de sa consommation. Cela tient notamment à l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules. Le Royaume-Uni est ainsi le pays qui au sein de l’OCDE a le plus réduit les émissions depuis 2000.
En Californie, les émissions liées à l’électricité ont baissé de 40% et celles du transport se sont réduites de 5%. Cela tient à l’utilisation en plus grande nombre de sources renouvelables pour l’électricité, à l’arrêt de l’importation par l’Etat d’électricité provenant de centrales au charbon (il n’y en a pas en Californie) et à la baisse de consommation des véhicules imposée aux constructeurs.
Trois explications
Catherine Wolfram passe en revue trois explications à la différence entre l’électricité et les transports en matière de réduction des émissions. Tout d’abord, les pays développés ont délocalisé depuis trois décennies les activités industrielles qui émettent le plus de gaz à effet de serre (industrie lourde, mines, chimie, sidérurgie…) dans les pays en développement.
La Chine est ainsi devenue l’usine du monde et consomme pour cela et pour produire de l’électricité près de la moitié du charbon utilisé sur la planète. L’Inde aussi appuie son développement sur de nouvelles centrales au charbon. Dans le même temps, le déclin du charbon s’est accéléré dans les pays riches, notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Ainsi, les émissions liées à la production d’électricité augmentent plus vite dans les pays en développement que celles provenant des transports. C’est l’exact opposé de ce qui se passe dans les pays développés. Car, par définition, on ne peut délocaliser les transports.
Deuxième explication, il est plus facile de contraindre les producteurs d’électricité que les dizaines de millions de conducteurs de voitures. «Dans le monde, la plupart du temps l’électricité est produite par des sociétés détenues par les Etats ou régulées par les Etats… Il est plus facile pour les dirigeants politiques de peser sur les décisions d’une industrie dans laquelle ils sont déjà impliqués», explique Catherine Wolfram. «C’est bien plus facile de dire à quelques groupes électriques régulés qu’une certaine proportion de leur électricité doit être générée par des renouvelables que de dire à des millions de conducteurs qu’ils doivent acheter des véhicules différents », ajoute-t-elle.
Une des raisons aux investissements massifs annoncés dans l’hydrogène vert
La dernière explication, jugée moins convaincante par Catherine Wolfram, serait que les progrès liés aux voitures électriques sont gommés par d’autres types de transports, notamment de marchandises. Elle n’est pas démontrée par les études qui existent et notamment les comparaisons de baisse des émissions des voitures et des utilitaires ne sont pas significatives.
Cette étude, même si elle ne fait qu’effleurer une question majeure de la transition, montre pourquoi, en dépit des limites techniques et économiques actuelles, l’hydrogène vert fait l’objet de tant d’attention de nombreux pays en Asie et en Europe. Il s’agit potentiellement et à grande échelle du seul carburant de substitution aux carburants fossiles pour le transport sur longue distance sur terre, dans les mers et dans les airs. Mais pour en fabriquer, il faut beaucoup, beaucoup d’électricité.