L’hydrogène vert, produit par électrolyse avec de l’électricité décarbonée, est considéré aujourd’hui par la plupart des gouvernements européens comme un vecteur d’énergie essentiel à la transition. Il ne s’agit pas d’une source d’énergie, mais d’un vecteur à l’image de l’électricité. Sous forme de gaz ou de liquide, il est quasiment la seule forme d’énergie qui puisse se substituer aux carburants fossiles dans de nombreux domaines qui vont de l’industrie à la chaleur en passant par les transports, notamment de marchandises, sur longue distance. C’est vrai aussi bien pour le maritime, le terrestre que l’aérien. Enfin, l’hydrogène est aujourd’hui le seul moyen de stocker à une grande échelle l’électricité renouvelable intermittente, avec, il est vrai, un rendement très médiocre.
Qui dit recours croissant et massif à l’hydrogène vert ou décarboné, dit production bien plus importante d’électricité pour le produire par électrolyse. Et il faut bien mesurer ce que cela signifie. Si les objectifs fixés par la Commission Européenne pour l’utilisation d’hydrogène d’ici 2030 sont respectés (2,6% de l’énergie utilisée dans les transports provenant de l’hydrogène vert et de carburants renouvelables d’origine non biologique), cela nécessitera, selon une étude publiée par l’ONG Transport & Environment (T&E), une augmentation de 17% de la production d’électricité.
Risques de pénurie et flambée des prix de l’électricité
Difficile à imaginer quand l’Europe est aujourd’hui menacée à la fois de pénuries d’électricité et touchée par une flambée des prix de l’électricité. Et tout cela notamment parce que la stratégie de transition est mal coordonnée entre les Etats et irréaliste.
«L’Union européenne prend de gros risques avec cette stratégie…», souligne Geert Decock, le responsable de l’électricité et de l’énergie de T&E. «L’hydrogène sera nécessaire pour propulser les navires et les avions dans les années à venir. Cependant, il serait malavisé de pressuriser le solaire et l’éolien alors qu’une électricité verte sera nécessaire pour fournir de l’énergie aux voitures électriques et aux pompes à chaleur des foyers.»
«L’UE doit veiller à ce que toute production d’hydrogène soit couplée à une nouvelle génération d’énergie renouvelable. Sinon, les prix élevés du gaz et de l’électricité que nous connaissons aujourd’hui sembleront abordables par rapport à ce qui est à venir», avertit Geert Decock.
Il oublie au passage qu’il existe d’autres moyens de produire de l’électricité décarbonée qui ne soit pas cette fois intermittente, hydraulique et nucléaire.
15 réacteurs nucléaires pour alimenter 100.000 camions à l’hydrogène
En tout cas, les conclusions de Transport & Environment rejoignent celle d’une autre étude qui avait fait beaucoup de bruit dans le petit monde de l’hydrogène lors de sa publication au début de l’année 2020. Elle avait été réalisée par Reporterre et l’Atelier d’écologie et mettait déjà en avant les quantités considérables d’électricité nécessaires pour produire de l’hydrogène par électrolyse.
Elle prenait comme exemple l’objectif fixé par l’Union européenne d’avoir sur les routes d’ici 2030 cent mille camions fonctionnant avec des piles à combustible et de l’hydrogène décarboné. Au regard des trois millions de camions qui circulent en Europe, l’objectif de 100.000 camions à l’hydrogène semble raisonnable et même modeste. C’est moins le cas quand on regarde le calcul que Reporterre.Pour alimenter cent mille camions de plus de seize tonnes parcourant en moyenne 160.000 kilomètres par an, il faudrait 92,4 TWh/an (térawattheures par an), soit quinze réacteurs nucléaires ou 910 km2 de panneaux solaires.
Et si on cherchait à remplacer la totalité du parc de poids lourds en faisant rouler trois millions de camions à l’hydrogène, il faudrait alors 2.772 TWh/an, soit 427 réacteurs nucléaires ou 27.200 km2 de panneaux solaires…