Pour survivre à une surproduction massive qui s’est traduite par un effondrement des prix, les industriels chinois qui dominent totalement la production de panneaux photovoltaïques dans le monde ont choisi la méthode du cartel comme l’Opep (Organisation des pays producteurs de pétrole). Pour faire remonter les prix des panneaux qu’ils vendent sur toute la planète et redevenir rentables, ils vont fixer des prix planchers et limiter l’offre, c’est-à-dire leur production… Cela illustre parfaitement, si besoin en était, le danger en termes de souveraineté, notamment pour l’Europe, de mettre en œuvre une stratégie de transition énergétique sans être capable de maîtriser les filières industrielles et les technologies.
La stratégie de cartel des industriels chinois du photovoltaïque est notamment décrite dans une dépêche récente de l’agence Bloomberg. « Trente des plus grandes entreprises ont signé un programme d’autodiscipline lors de la réunion annuelle de l’association chinoise de l’industrie photovoltaïque, dans le cadre d’un accord inspiré par la façon dont l’Organisation des pays exportateurs de pétrole gère son marché. Les entreprises recevront des quotas de production pour l’année prochaine, en fonction de leurs parts de marché, de leurs capacités et de la demande prévue… ». Il est question également de fixer des prix plancher. C’est en fait une question de survie pour beaucoup d’entreprises de la filière. « Un nombre considérable de petites entreprises ne pourront pas survivre au premier semestre de l’année prochaine », a déjà prévenu Xu Xiaohua, président-directeur général de Anhui Huasun Energy, lors du sommet BloombergNEF (Bloomberg New Energy Finance) qui s’est tenu à Shanghai il y a quelques semaines.
Les prix des panneaux ont baissé de 90% en une décennie
Cet accord qui revient à créer un cartel représente un tournant majeur après des années de concurrence acharnée qui ont mis la filière à genoux, tout en permettant de faire baisser fortement les prix et aussi d’améliorer la qualité des produits au point que l’énergie solaire est devenue la source de production d’électricité la moins chère (quand il y a du soleil) et celle qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde. Le prix des panneaux a baissé de plus de 90% au cours de la dernière décennie. Et dans le même temps, quand en 2014 moins de 200 gigawatts de capacités de panneaux solaires étaient installés dans le monde, on devrait atteindre à la fin de cette année plus de 2.200 gigawatts.
Une période de croissance exponentielle qui est très vraisemblablement révolue. Les surcapacités de production ont atteint des niveaux insupportables avec la multiplication en Chine depuis 2021 des investissements irréfléchis et des constructions d’usines. La Chine contrôle aujourd’hui sur son sol plus de 80% de la production mondiale. La capacité actuelle théorique de production permettrait de fabriquer pour plus de 1.100 gigawatts de panneaux par an. C’est non seulement près du triple de ce que le monde devrait avoir installé en 2024 (425 gigawatts selon l’Agence internationale de l’énergie), mais c’est aussi plus que ce dont il aura besoin chaque année jusqu’en 2035, selon les prévisions de BloombergNEF.
Pour donner un ordre d’idée et pour la seule année 2024, deux des plus grands fabricants chinois, Trina et JinkoSolar, ont augmenté ensemble et respectivement de 40 GW, 50 GW et 45 GW leurs capacités de production de panneaux, de cellules et de modules. À titre de comparaison, les États-Unis disposent d’une capacité de production totale de modules d’un peu plus de 30 GW et l’Europe de 11 GW…
Une situation financière qui ne s’améliorera pas avant la fin de 2025
Les surcapacités massives ont contraint les producteurs chinois à effondrer leurs prix pour écouler leurs stocks et faire tourner leurs usines, souvent en dessous des coûts de production. Longi Green Energy Technology, jusqu’à récemment le plus grand fabricant de panneaux solaires au monde, devrait afficher une perte nette de près d’un milliard de dollars cette année après avoir réalisé un bénéfice de plus de 1,7 milliard de dollars en 2023. Les dirigeants de la société ne s’attendent pas à ce que sa situation financière s’améliore avant la seconde moitié de l’année 2025.
Selon BloombergNEF, les installations mondiales de panneaux photovoltaïques ont fait un bond de 76% en 2023 et devraient avoir encore progressé de 34% cette année. Mais cette croissance ne peut pas se poursuivre à un tel rythme et devrait revenir à 8% en 2025. En outre, les tensions commerciales grandissantes entre la Chine et les Etats-Unis et la Chine et l’Europe poussent les industriels chinois à installer des usines dans des pays qui ne seront pas soumis à des augmentations de droits de douane, que ce soit les Etats-Unis, l’Inde ou l’Indonésie.