La transition énergétique est un parcours d’obstacles. Ils sont technologiques, politiques, économiques, sociaux et… financiers. Rien ne peut se faire sans la capacité à financer les investissements considérables à mener au cours des prochaines décennies. Le reste, c’est de la littérature. Deux problèmes majeurs sont très loin d’être résolus : à la fois la capacité du système financier à mobiliser les capitaux nécessaires et de l’autre l’augmentation des taux d’intérêts et donc du coût des capitaux en question. Il ne faut pas oublier non plus l’endettement public considérable de la plupart des grands pays développés et en développement, que ce soit les Etats-Unis, le Japon, la Chine et évidemment la France.
De 3,5 à 10,2 mille milliards de dollars par an d’ici 2050
Pour donner un ordre d’idée des besoins de financements, les coûts estimés de la transition vont de 110 mille milliards de dollars d’ici 2050 (3,5 mille milliards par an) par la Commission américaine de la transition énergétique (Energy Transitions Commission) à 275 mille milliards de dollars (10,2 mille milliards de dollars par an) par le cabinet McKinsey, ce qui représente 2,6 fois le Pib mondial estimé en 2023 à 105 mille milliards de dollars… Les prévisions d’un autre cabinet, Deloitte, sont entre les deux allant de 5.500 à 7.300 milliards de dollars à investir par an jusqu’en 2050. Et ces différents calculs ne prennent pas en compte le fait que le coût du capital a plus que doublé au cours des deux dernières années.
De plus, il y a urgence. Pour respecter leur engagement confirmé à la COP28 de tripler le déploiement des renouvelables intermittents (solaire et éolien) pour atteindre 11.000 gigawatts de capacités d’ici 2030, il faudra investir plus de 4.500 milliards de dollars. Et cela devient bien plus compliqué avec le niveau actuel des taux d’intérêt qui a eu pour conséquence de rendre très difficile l’équilibre économique de nombreux projets éoliens et même solaires. Les constructeurs d’éoliennes, notamment marines, et les promoteurs des parcs demandent ainsi à la fois des subventions publiques plus importantes et des prix garantis plus élevés pour l’électricité produite.
« Quelqu’un doit payer… »
Jusqu’à aujourd’hui, les aides publiques ne sont tout simplement pas à la hauteur des enjeux. Si on compare l’évaluation basse des besoins de financement annuels d’ici 2050, 3.500 milliards de dollars, et les subventions jugées massives promises par la fameuse loi américaine sur la transition IRA (Inflation Reduction Act) qui représentent 369 milliards de dollars sur 10 ans, cela représente seulement 1/90 des besoins sur cette période. Et il faut 250 IRA pour atteindre les niveaux de financements nécessaires estimés par McKinsey.
La question est d’autant plus compliquée que l’opposition politique aux coûts de la transition et au renchérissement des prix de l’énergie ne cesse de grandir. L’opposition aux politiques dites écologistes a le vent en poupe dans presque toutes les démocraties, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-bas, en Suède… Le mouvement des Gilets Jaunes n’est pas un cas isolé.
L’économiste français Jean Pisani-Ferry, auteur du rapport remis en mai dernier à la Première ministre sur Les incidences économiques de l’action pour le climat, résume bien le dilemme dans un article du Wall Street Journal qui le cite et est titré « Pourquoi personne ne veut payer pour la transition verte » (Why No One Wants to Pay for the Green Transition). Jean Pisani-ferry explique que si le passage aux véhicules électriques et aux pompes à chaleur coûte bien plus cher que leurs équivalents utilisant des énergies fossiles et si le gouvernement augmente les taxes et les impôts pour financer les subventions aux pompes à chaleur et aux véhicules électriques, il sera particulièrement difficile de convaincre les électeurs qu’il est dans leur intérêt de s’appauvrir.
Comme l’explique le Wall Street Journal, « les aspects purement économiques de l’objectif zéro net émissions sont fondamentalement problématiques. Quelqu’un doit payer, et les actionnaires et les consommateurs ont décidé cette année que ce ne serait pas eux. Les hommes politiques et le public ont tendance à penser que tous les investissements sont bons pour la croissance, une erreur qui conduit à toutes sortes de stratégies confuses sur le climat. En fait, la transition verte est guidée par les politiques publiques. C’est « un choc d’offre négatif, qui s’accompagne d’un besoin de financement d’investissements dont la rentabilité n’est pas acquise », souligne Jean Pisani-Ferry… ».