<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pourquoi le modèle économique de la transition est en péril

17 décembre 2024

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Pourquoi le modèle économique de la transition est en péril

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Refuser de regarder en face les réalités économiques, technologiques et géopolitiques conduit à une impasse. Par Éric Leser. Article publié dans le numéro 23 du magazine Transitions & Energies.

La raison pour laquelle la transition énergétique se heurte aujourd’hui à un mur est assez évidente, sauf pour les institutions internationales impliquées de la Commission européenne à l’ONU en passant par l’Agence internationale de l’énergie, et pour bon nombre de gouvernements qui refusent de voir la réalité en face. Le modèle économique de la transition ne fonctionne pas ou mal. La quasi-totalité des filières industrielles sont fragilisées. Que ce soient les producteurs d’électricité, l’industrie automobile et celles des batteries, des pompes à chaleur, de l’éolien, de l’hydrogène, des minéraux stratégiques et même le nucléaire…

Les besoins, les marchés, les financements, les perspectives de rentabilité, les stratégies publiques, les projets deviennent de plus en plus incertains. Ils le sont d’autant plus qu’ils sont affectés par les oppositions politiques grandissantes à la transition, la guerre commerciale naissante entre l’Occident et la Chine et le détricotage en cours de la mondialisation.

Des stratégies inefficaces et impopulaires

Dans le fameux trilemme de l’énergie, la sécurité d’approvisionnement et les prix abordables ont pris le pas sur la durabilité. En dépit des discours automatiques sur l’urgence climatique et la nécessité d’une décarbonation accélérée, la transition n’est pas ou plus une priorité. Il suffit de constater la faible couverture médiatique de la dernière COP, l’édition 29 qui s’est tenue en Azerbaïdjan. Une autre illustration, après la COP 28 de Dubaï, du reflux de la transition dont l’expression institutionnelle internationale est maintenant détournée par des pays producteurs d’énergies fossiles…

Il faut dire que faute de visions claires, de prise en compte des réalités économiques, financières, sociales et technologiques, les stratégies de transition menées par les pays développés, notamment en Europe, sont à la fois peu efficaces et de plus en plus impopulaires. Les conséquences dramatiques, sans cesse mises en avant dans les médias, du dérèglement climatique, inondations, sécheresses, tempêtes, ouragans… ne semblent pas y changer grand-chose.

Compliquer et menacer le mode de vie des plus modestes

Car les stratégies de transition actuelles reviennent surtout à renchérir les prix de l’énergie, à raréfier l’offre, à compliquer et menacer les modes de vie des plus modestes, à détruire des filières industrielles, à multiplier les contraintes et à imposer des objectifs intenables en cédant aux sirènes de la communication politique, aux modes, aux lobbys et aux solutions miracles. Et cela sans ouvrir de réelles perspectives autres que des promesses en l’air de croissance verte et sans faire preuve de responsabilité et de capacités d’anticipation en privilégiant des solutions plus efficaces, plus pérennes mais qui ne sont pas dans l’air du temps et dans le fatras idéologique écologiste et médiatique.

C’est le cas du nucléaire, dont le regain de popularité récent est bien réel, mais la relance, notamment en France, reste depuis deux ans et demi dans les discours et pas dans les faits, ce qui illustre l’impuissance publique.

C’est le cas de la géothermie qui apporte pourtant une solution pérenne pour le chauffage et la climatisation des bâtiments mais demande des moyens financiers importants pour les investissements initiaux. Ces moyens sont dilapidés aujourd’hui dans des parcs éoliens intermittents dont la durée de vie ne dépasse pas un quart de siècle. Une sonde géothermique est un équipement qui ne s’use presque pas et peut fonctionner plus d’un siècle…

C’est le cas des véhicules à motorisation thermique légers et consommant peu (2-3 litres au cent). Les prototypes existent. Ils ont une empreinte carbone sur leur durée de vie assez nettement inférieure aux véhicules électriques à batterie. Mais les constructeurs les ont gardés dans les cartons car ils étaient peu rentables, surtout par rapport aux SUV, et parce que la transition vers la motorisation électrique leur a été imposée.

C’est le cas de l’hydraulique, le meilleur moyen et presque le seul de stocker de l’électricité à grande échelle avec notamment les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage). Là encore, ce sont des équipements construits pour fonctionner pendant plus d’un siècle.

Pour finir, ces différentes filières (nucléaire, géothermie, véhicules thermiques léger, hydraulique) ont l’immense avantage de ne pas être dominées par l’industrie chinoise… Est-ce qu’à Bruxelles, Paris et Berlin quelqu’un s’en est aperçu ?

Des contradictions seulement en apparence

Voilà pourquoi une part grandissante de l’opinion rejette la transition dans la grande majorité des pays démocratiques tout en se souciant pourtant du dérèglement climatique. Cette contradiction entre fin du mois et fin du monde n’existe qu’en apparence. Parce que les conséquences économiques et sociales de la disparition progressive de l’accès à une énergie abondante et abordable ont été négligées voire oubliées.

Sauf que la réalité, à savoir comment fonctionne le monde, finit toujours par s’imposer aux technocrates qui n’ont qu’une vague idée des réalités de la production, qu’elle soit industrielle ou agricole. Il y a deux constantes dans l’économie mondiale : son insatiable appétit pour l’énergie car elle est le moteur de l’activité et la condition sine qua non de la prospérité (il suffit de constater les besoins exponentiels de l’intelligence artificielle), et le fait qu’elle favorise par construction les producteurs offrant les coûts les plus compétitifs.

Appauvrissement de fait

Commençons par les besoins en énergie. Bon nombre d’économistes et plus encore de décideurs politiques se trompent sur la nature de la relation entre l’énergie et l’économie. La plupart considère l’énergie comme un intrant dans l’activité économique, comme si sa contribution au produit intérieur brut (d’environ 4 à 5 % en France) n’était pas différente des autres biens et services mesurables.

Mais l’énergie n’est pas seulement un intrant dans l’économie. Elle est l’économie. Les niveaux de vie sont définis par la quantité d’énergie disponible à exploiter, par le nombre de machines fonctionnant… avec de l’énergie au service de l’humanité. Et la quasi-totalité des êtres humains, où qu’ils soient et quelle que soit leur culture, sont à la recherche de meilleures conditions de vie matérielles.

Si l’Union européenne est aujourd’hui sous la menace d’une récession, c’est notamment parce que les stratégies subventionnées de réduction des émissions de gaz à effet de serre se traduisent systématiquement par une augmentation des prix de l’énergie, des biens manufacturés et des productions agricoles. Un appauvrissement de fait qui dans les opinions se traduit par la remise en cause du fameux nouveau Pacte vert cher à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.

Le blocage par les prix

L’envolée des prix de l’énergie résultant du seul rapport entre l’offre et la demande explique le blocage de la transition auquel nous assistons aujourd’hui. Rappelons que le prix de l’électricité est environ deux fois plus élevé en Europe qu’aux États-Unis et celui du gaz trois fois plus élevé. Avec des conséquences dramatiques sur la perte de compétitivité et la prospérité de l’Union comme le montre le rapport Draghi rendu public en septembre dernier et qui est déjà tombé aux oubliettes.

Et pourtant, les exemples d’échecs ne manquent pas. À commencer par celui des véhicules électriques. La croissance impressionnante au cours des dernières années des ventes de ces véhicules a été une illusion. Elle a été portée par les adeptes de la nouveauté, les passionnés de technologie, le marqueur social que représente pour certains le passage à la motorisation électrique, de généreuses subventions gouvernementales et la conversion de flottes d’entreprises. La deuxième phase est maintenant bien plus compliquée. Il s’agit avec moins de subventions et d’aides, du fait des contraintes budgétaires, de convaincre des conducteurs moins fortunés, moins enthousiastes à l’égard de la technologie et pas vraiment convaincus de l’intérêt d’acheter des véhicules plus chers que des voitures thermiques équivalentes tout en offrant moins de facilités d’usage et des perspectives de dépréciation rapide. Résultat, les ventes de véhicules électriques en Europe sont depuis le début de l’année en baisse sensible. Et pourtant, dans dix ans, il n’y aura plus que ce type de véhicule sur le marché du neuf en Europe…

Dommages collatéraux

On constate le même phénomène avec les pompes à chaleur. Selon l’Association européenne des pompes à chaleur, les ventes ont baissé d’environ 5 % en 2023 dans 14 pays européens par rapport à 2022 après une décennie de croissance ininterrompue. Et la situation s’est encore aggravée en 2024 au point de mettre en péril la filière industrielle en France et en Europe qui a massivement investi pour faire face à l’envolée annoncée des ventes qui n’est pas au rendez-vous.

C’est encore plus dramatique pour l’industrie européenne des panneaux solaires. Incapable de faire face à la concurrence chinoise, ce qui en est resté a tout simplement été sacrifié par la Commission européenne sur l’autel des objectifs climatiques pour permettre l’accès aux panneaux solaires chinois à prix cassé. Compte tenu de l’importance que prend et prendra la production électrique solaire, se mettre entre les mains des fabricants chinois sur le plan industriel et technologique est irresponsable… L’industrie éolienne européenne ne se porte pas non plus très bien en dépit du fait qu’elle a encore des champions, notamment le danois Vestas et l’allemand Siemens-Gamesa. Ils accumulent les pertes pour n’avoir pas maîtrisé les contraintes de coûts et de chaînes d’approvisionnement.

Il y a aussi le problème grandissant des prix négatifs de l’électricité directement liés à l’augmentation de la capacité de production intermittente éolienne et solaire. L’Europe s’est lancée à marche forcée dans la construction de parcs éoliens et solaires avec des conséquences très mal mesurées sur le marché de l’électricité et le modèle économique des producteurs.

Lorsque la production éolienne et/ou solaire est abondante, en général dans la journée, elle dépasse de plus en plus souvent la demande, ce qui fait plonger les prix du marché de gros parfois en dessous de zéro. On enregistre en Europe mois après mois un nombre toujours plus important d’heures avec des prix négatifs de l’électricité. Cela signifie que les producteurs préfèrent payer les opérateurs de réseau pour prendre leur électricité plutôt que de fermer et redémarrer leurs installations. Une aberration qui est devenue un frein à la construction de nouveaux équipements, qu’ils soient nucléaires, hydrauliques ou fossiles (centrales à gaz pour remplacer les centrales à charbon). Ils sont pourtant indispensables quand il n’y a ni vent ni soleil.

Une vue de l’esprit

Pour résumer, les gouvernements européens et les institutions de l’Union ont fait croire aux électeurs que la transition doperait la croissance, favoriserait la réindustrialisation et offrirait l’accès à une énergie plus propre et pas plus chère. Résultat, la croissance est en berne, la réindustrialisation un vœu pieu et les électeurs payent directement la facture de la transition lorsque les gouvernements n’ont plus d’argent pour les subventions. Pas étonnant qu’elle soit impopulaire.

La transition énergétique se mène aujourd’hui de façon chaotique à un rythme et avec des progrès qui n’ont rien à voir avec les engagements répétés par ceux qui veulent faire le bonheur des peuples malgré eux. L’élimination progressive des combustibles fossiles reste encore une vue de l’esprit avec une augmentation année après année de la consommation de pétrole, de gaz… et de charbon. Les conditions macroéconomiques peu favorables et les conflits géopolitiques entravent le développement des grands projets, perturbent le partage des technologies, la coordination des politiques et l’accès aux ressources.

Les prix relatifs des combustibles fossiles font même qu’ils restent une option plus performante à court terme pour les pays et les entreprises qui souhaitent sécuriser leurs approvisionnements en énergie sans augmenter les coûts. Les discours verts et les promesses n’y changeront rien sans une remise en cause fondamentale des stratégies de transition.

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