Depuis un peu plus d’une décennie, les efforts entrepris pour décarboner de nombreuses activités économiques utilisant les énergies fossiles ont commencé à porter leurs fruits. Et cela même si les résultats sont en général sensiblement inférieurs aux engagements et aux promesses. C’est le cas dans la production d’électricité et dans une moindre mesure les transports de personnes et le chauffage et la climatisation des bâtiments. Mais il reste des activités essentielles pour lesquelles les technologies comme les moyens financiers disponibles ne laissent pas entrevoir des progrès significatifs et encore moins rapides avant des décennies.
Il est ainsi extrêmement difficile de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées à l’industrie lourde, au transport maritime et à l’aviation en dépit du développement de nouvelles technologies et process industriels et des sanctions et incitations financières à la décarbonisation. Si de nombreuses filières entendent utiliser la capture et le stockage du carbone dans un premier temps, comme une solution intermédiaire, l’efficacité même de cette approche est loin d’être assurée. Et il s’agit d’industries tout simplement indispensables à la survie de l’espèce humaine en dépit des discours militants hors sol.
Sans ciment, sans engrais azotés, sans fer et acier, sans produits chimiques, sans transport maritime, sans fret routier, sans aviation… l’humanité est incapable de subvenir à ses besoins matériels. Elle ne peut plus nourrir, loger, alimenter en eau potable, chauffer… huit milliards d’êtres humains. Or, ces activités représentent ensemble environ un tiers des émissions mondiales de CO2.
L’électrification n’est pas toujours la solution
Et l’électrification n’est pas une solution dans ces activités, essentiellement pour deux raisons. Les températures très élevées et la vapeur nécessaires à l’industrie lourde sont difficiles à produire à l’aide de l’électricité et extrêmement coûteuses. Deuxièmement, les méthodes classiques de fabrication du ciment (avec du gaz) et du fer et de l’acier (avec du charbon) nécessitent du carbone comme intrant.
Il y a bien une multiplication des innovations, des expérimentations et… des annonces, mais il n’existe pas aujourd’hui d’alternative disponible à grande échelle et à des coûts acceptables pour se substituer au charbon dans les hauts fourneaux, au gaz pour produire de l’ammoniac et des engrais, au gaz toujours pour fabriquer du ciment, au pétrole pour fabriquer des plastiques et au diesel ou kérosène des navires, des poids lourds et des avions. C’est ce que montre une étude récente réalisée par le cabinet Deloitte.
Voilà pourquoi les projections montrent que si les émissions liées à la production d’électricité et à l’utilisation des voitures et des utilitaires légers pourraient diminuer respectivement de 35% et de 53% d’ici 2050, le transport maritime et l’industrie lourde pourraient, en revanche, ne voir leurs émissions diminuer que de 1% chacun, tandis que les émissions liées à l’aviation pourraient augmenter de 77%, en raison de l’accroissement de la demande.
Emissions de dioxyde de carbone par secteurs en 2018
Secteurs difficiles : 32% du total des émissions dont transport routier 9%, ciment 7%, fer et acier 6%, chimie 4%, transport maritime 3%, aviation 3%. Source Deloitte
Le cabinet Deloitte détaille la complexité des écosystèmes et technologies à mettre en place. « Les difficultés se multiplient lorsque l’électrification directe est structurellement limitée et d’autres solutions viables à faible teneur en carbone n’existent pas ou ne sont pas encore disponibles à grande échelle pour remplacer les processus ou les sources d’énergie à forte teneur en carbone. Par exemple, les émissions des moteurs à combustion interne dans le transport routier de marchandises pourraient être réduites grâce au développement des véhicules électriques à batterie pour certaines applications, mais pour de nombreuses utilisations, des véhicules électriques à pile à combustible utilisant de l’hydrogène pourraient être indispensables. L’hydrogène est également nécessaire pour produire des carburants synthétiques pour l’aviation, ainsi que du méthanol synthétique et de l’ammoniac vert ou bleu pour le transport maritime. La production de ces carburants à grande échelle nécessite de grandes quantités d’énergie renouvelable (pour produire de l’hydrogène vert), mais aussi une utilisation généralisée de la technologie de capture du carbone (pour l’hydrogène bleu), chacune de ces technologies étant encore à l’état embryonnaire et d’un coût prohibitif. Combler les manques techniques nécessite souvent de la recherche, du développement et un déploiement ciblés, soutenus par des investisseurs patients ».
La capture et le stockage du carbone se heurtent à de nombreuses oppositions
Une des approches les plus suivies pour décarboner les filières industrielles consiste à tenter d’intégrer des technologies de capture et séquestration ou utilisation du carbone (CSC) dans les process. Le CSC consiste à capturer le dioxyde de carbone libéré pendant les opérations et à le transporter pour le stocker voire le réutiliser plutôt que de le rejeter dans l’atmosphère.
Si les expérimentations se multiplient, certaines études très critiques affirment que les technologies permettant de capturer le carbone industriel sont assez peu efficaces. Et il y a également la vieille accusation anticapitaliste sur la capture du carbone qui est un moyen de permettre au système de survivre sans faire les changements et les efforts nécessaires. D’autres interrogations plus argumentées, existent sur la capacité des groupes industriels à développer et faire évoluer la technologie CSC au rythme nécessaire pour réduire les émissions selon les engagements pris.
Un problème de confiance
Une chose est sûre, un financement massif est nécessaire pour permettre des changements significatifs dans les secteurs d’activité difficiles à transformer. Selon la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), des investissements de 1,6 à 3,8 milliards de dollars par an sont nécessaires dans ces secteurs entre 2020 et 2050 pour atteindre les objectifs définis dans l’Accord de Paris.
Le problème est que l’innovation est généralement considérée comme risquée mettant en danger la compétitivité et, par conséquent, pas vraiment prioritaire dans les filières industrielles et les transports lourds. Un changement culturel doit impérativement se produire affirme Benedikt Sobotka, Pdg d’Eurasian Resources Group. « Personne n’a jamais été licencié pour avoir utilisé les mêmes procédés qu’il y a 20 ou 30 ans… Nous avons besoin de beaucoup plus de prise de risque et d’innovation… Nous devons changer les attitudes à l’égard de l’innovation ». Pour le World Economic Forum, le problème principal est celui de donner de la confiance dans la technologie, dans la rentabilité des investissements et dans l’existence des marchés et d’une demande.