Depuis la fin du mois de juin les cours du baril de pétrole de qualité Brent ont augmenté de plus de 25% et ceux du baril de qualité WTI (West Texas Intermediate) de 29%. Ils se situent tous deux au-dessus du seuil de 90 dollars. Et cette progression presque ininterrompue depuis trois mois pourrait continuer à en croire les experts de plusieurs établissements financiers. Elle est la conséquence à la fois d’une stratégie de reprise de contrôle du marché menée par les deux leaders du cartel de l’Opep+, l’Arabie Saoudite et la Russie, et d’une demande toujours soutenue de pétrole dans le monde en dépit des annonces répétées depuis des années du fameux pic pétrolier (peak oil).
En fait, la consommation de pétrole devrait atteindre cette année un nouveau sommet historique. Le marché pétrolier mondial se retrouve ainsi aujourd’hui dans une situation où la demande d’environ 103 millions de barils par jour en moyenne selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) est supérieure, de 1 à 2 millions de barils, selon les estimations, à une offre volontairement limitée par les pays producteurs. Du coup, les prix montent régulièrement.
Des pressions grandissantes sur l’investissement pétrolier
Rappelons que l’Opep+ regroupe les 13 pays historiques de l’Opep menés par l’Arabie Saoudite et leurs 10 pays alliés menés par la Russie. Il s’agit respectivement des troisième et deuxième producteurs de pétrole (avec 10,2 et 10,5 millions de barils par jour) derrière les Etats-Unis (11,5 millions de barils par jour). Ce qui est spectaculaire est le fait que selon l’agence Bloomberg la production de l’Opep est tombée depuis la fin juin à son plus bas niveau depuis 2020, année marquée au fer rouge par la pandémie de Covid 19 et les confinements.
La question est de savoir si cette situation peut perdurer. Cela tient évidemment à la volonté saoudienne de faire le pari de limiter sa production en espérant que les prix élevés compenseront des ventes inférieures d’au moins un million de barils par jour, de la poursuite de l’embargo, pas vraiment efficace, sur le pétrole et les produits pétroliers russes, et à moyen terme des pressions grandissantes mises sur l’investissement pétrolier qui limitent les capacités. Une stratégie de transition de plus en plus critiquée car plutôt que contraindre l’offre et donc faire monter les prix avec des conséquences économiques et sociales problématiques, les gouvernements, les institutions internationales et les militants feraient mieux de travailler à limiter la demande.
Car pour Christyan Malek, le responsable de la recherche sur l’énergie de la banque JPMorgan pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, la hausse du prix du baril pourrait bien maintenant aller jusqu’à 150 dollars d’ici 2026. Cela serait la conséquence à la fois de la restriction de l’offre, d’un supercycle de l’énergie marqué par une poursuite de l’augmentation de la consommation dans le monde et des efforts faits en Europe et aux Etats-Unis pour contraindre à la transition les compagnies pétrolières en pesant sur leurs capacités d’investissements.
Un déséquilibre appelé à s’accroître entre l’offre et la demande
JPMorgan estime que le déséquilibre entre l’offre et la demande de pétrole ne va ainsi cesser de grandir et pourrait même atteindre 7 millions de barils par jour d’ici 2030 si la consommation continue à progresser, notamment en Asie, et si les investissements sont entravés.
Pour une autre grande banque américaine, Morgan Stanley, le marché pétrolier est aujourd’hui déséquilibré d’environ 1 million de barils par jour ce qui correspond, sans surprise, à la baisse de production décidée cet été par l’Opep+ et avant tout par l’Arabie Saoudite. Morgan Stanley a révisé de ce fait à la hausse ses prévisions de cours du baril à 95 dollars pour le Brent au quatrième trimestre de cette année, un niveau qui est en fait presque déjà atteint.
Les évaluations des experts de la banque néerlandaise ING sont encore plus alarmistes. Ils pronostiquent une hausse du baril au-delà des 100 dollars d’ici la fin de l’année et considèrent que le déficit de l’offre de pétrole se chiffre déjà aujourd’hui à 2 millions de barils par jour.
Pas de problème de réserves, mais de capacités de production
Il n’y a pas de problème de réserves de pétrole, contrairement à ce qu’annoncent depuis des décennies les faux prophètes de la fin de l’âge du pétrole, mais d’investissements réalisés pour les exploiter. Si l’âge du pétrole arrive à son terme, ce ne sera sans doute pas par manque de réserves mais du fait d’une baisse de la consommation mondiale… qui se fait toujours attendre. Les réserves prouvées et exploitables de pétrole dans le monde se sont ainsi encore accrues l’an dernier, selon le bulletin statistique annuel de l’Opep, de 1,1% à 1.564 milliards de barils, ce qui représente environ 40 ans de consommation actuelle…
Voilà pourquoi lors du congrès mondial du pétrole qui s’est tenu il y a une semaine à Calgary au Canada, les dirigeants des groupes pétrolier et les représentants des pays producteurs ont mis en garde, sans surprise, contre la volonté de limiter et décourager les investissements dans la production de pétrole. «Il semble que l’on prenne aujourd’hui ses désirs pour la réalité… Quelle que soit l’évolution de la demande, si nous ne maintenons pas un certain niveau d’investissement, l’offre finira par baisser, ce qui entraînera une hausse des prix» a expliqué Darren Woods, le Pdg d’Exxon. Un discours qui est aussi celui des dirigeants de l’Opep et plus particulièrement du ministre saoudien de l’énergie Abdulaziz ben Salman. Car contrairement aux prévisions et anticipations la demande ne faiblit pas.
L’Agence internationale de l’énergie demandait ainsi en 2021 que cesse tout nouvel investissement dans l’exploration et la recherche pétrolière… avant de se raviser. Car même si les ventes de véhicules électriques augmentent rapidement dans le monde, elles ont pour l’instant un impact insignifiant sur la consommation de pétrole.