Contrairement aux apparences, la bataille à Bruxelles pour obtenir des financements dans des conditions favorables des investissements dans l’énergie nucléaire est encore loin d’être gagnée. La résistance des eurocrates est toujours aussi forte et la composition de la nouvelle Commission dirigée par Ursula von der Leyen problématique. Le nouveau Commissaire européen à l’énergie, le social-démocrate danois Dan Jorgensen, est farouchement anti-nucléaire tout comme l’Espagnole Teresa Ribera, nommée vice-présidente exécutive de la Commission responsable « d’une transition propre, juste et compétitive ».
Mais les financiers privés sont par nature moins idéologues et la relance dans le monde du nucléaire civil semble aujourd’hui devenir pour eux une réalité. Ainsi, 14 banques parmi les plus grandes du monde se sont engagées à financer l’énergie nucléaire, soutenant l’objectif, assez peu réaliste, pris par 22 pays lors de la COP28 de tripler leurs capacités nucléaires d’ici 2050. Les filières et industries nucléaires existantes aujourd’hui sont incapables de le faire. Pour y parvenir, elles doivent se lancer dans des programmes gigantesques de formation d’ingénieurs et de techniciens de haut niveau et de développement de capacités de production des équipements de haute technologie et de haute qualité indispensables au fonctionnement des centrales. Tout cela sans parler des usines d’enrichissement et de retraitement des combustibles et des mines d’uranium…
Des banques prestigieuses
En tout cas, Goldman Sachs, Bank of America, Barclays, BNP Paribas, Citi, Morgan Stanley, Société Générale, Crédit Agricole CIB, Abu Dhabi Commercial Bank, Ares Management, Brookfield, Guggenheim Securities, Rothschild & Co, et Segra Capital Management se sont engagés à soutenir l’augmentation de la capacité et de la production d’électricité nucléaire dans le monde.
Les institutions financières ont longtemps été très circonspectes avec l’énergie nucléaire, en raison à la fois de la complexité du financement des projets, le principal coût d’une centrale nucléaire n’est pas son fonctionnement mais sa construction, du niveau élevé de risque économique, et plus encore de l’opposition politique à cette source d’énergie. La Banque mondiale et d’autres institutions multilatérales ne financent pas de projets nucléaires pour cela…
Aucun de scénario de décarbonation mondiale sans nucléaire
Mais les choses ont changé depuis quelques années. Tout simplement parce qu’il n’existe aucun scénario dans lequel le monde parvient à la neutralité carbone en 2050… ou plus tard sans énergie nucléaire. Et parmi les signataires de l’engagement de tripler leurs capacités de production d’électricité nucléaire, on retrouve des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Suède et les Émirats arabes unis dont les capacités financières sont grandes.
Les perspectives de l’énergie nucléaire sont devenues d’autant plus favorables que la prise de conscience est maintenant générale, y compris parfois dans les mouvements écologistes, que cette source d’énergie représente le meilleur moyen de produire massivement et surtout sans intermittence de l’électricité décarbonée dont les besoins sont et seront considérables. C’est notamment le cas de l’intelligence artificielle dont la consommation d’énergie augmente de façon exponentielle. A tel point que Microsoft vient de financer pour les seuls besoins de ses data centers (centres de données) le redémarrage du réacteur numéro 1 de la centrale américaine de Three Mile Island à l’arrêt depuis 2019. Et il y a quelques mois, en mars, Amazon a acheté pour 650 millions de dollars un data center en Pennsylvanie alimenté par un réacteur nucléaire. Et ce n’est qu’un début. On compte aujourd’hui plus de 8.000 data centers dans le monde, dont 33% aux États-Unis et 16% en Europe et ce nombre devrait considérablement augmenter dans les prochaines années.