<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Planification de la transition énergétique, de qui se moque-t-on ?

6 novembre 2024

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Planification de la transition énergétique, de qui se moque-t-on ?

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Le gouvernement a présenté, une semaine avant la COP 29 qui se tiendra à Bakou en Azerbaïdjan, des objectifs toujours aussi ambitieux de transition énergétique via deux textes : la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Un exercice de pure forme tant les objectifs sont irréalistes et les moyens de les atteindre (financiers, économiques, industriels, technologiques et humains) totalement insuffisants. La stratégie de transition énergétique reste pour son malheur un exercice incantatoire de communication politique et de pensée magique. Deux exemples suffisent à le démontrer : les deux tiers des ventes de voitures neuves devront être 100% électriques d’ici 2030, dans seulement cinq ans, contre 15% aujourd’hui. Et le bâtiment devra réduire ses émissions à 35 millions de tonnes d'équivalent CO2 par an, toujours en 2030, contre 62 millions de tonnes en 2022. Par quels miracles ? Tout cela va passer par un énième débat public, inutile, et des décrets en 2025, pas de loi débattue au Parlement. Une façon de ne pas avoir à faire face à de vraies contradictions.

Le gouvernement a présenté le 4 novembre la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Deux textes qui sont censés être les feuilles de route de la politique énergétique française dans les années à venir. Même si les précédents PPE et SNBC n’ont été dans les faits que des exercices de pure forme. L’ancienne PPE, celle de 2020, orchestrait la sortie progressive du nucléaire voulue par François Hollande et Emmanuel Macron avant que ce dernier change soudain de cap en février 2022. Donc depuis deux ans, la PPE existante n’avait plus aucun sens et avait été balayée du jour au lendemain par une décision du Président de la République alors en campagne électorale.

La PPE, qui existe depuis 2016, a vocation de donner des objectifs en volume pour chaque type d’énergie et la SNBC indique la trajectoire à suivre pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. La SNBC fixe ainsi des plafonds d’émissions à ne pas dépasser par périodes de 5 ans. Les grandes lignes des planifications et engagements annoncés le 4 novembre ne sont pas vraiment une surprise. Elles sont connues depuis des mois avec la « planification écologique », déjà présentée en fanfare par le précédent gouvernement, et le plan national intégré énergie-climat envoyé par la France à la commission européenne en juillet pour être avalisé par les eurocrates.

Problème majeur de méthodologie

Et on peut raisonnablement s’interroger sur la fiabilité des modèles et des prévisions de la nouvelle PPE. La France réaffirme son ambition de réduire à un rythme sans précédent sa consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030. En l’espace de seulement cinq ans et à en croire la PPE, la part des fossiles tombera dans sa consommation finale à 42% en 2030 contre 60% en 2022. Il faudra en vendre des véhicules électriques et des pompes à chaleur pour réaliser un tel tour de magie en si peu de temps…

La France a ainsi pour objectif déclaré que les deux tiers des ventes de voitures neuves soient 100% électriques d’ici à 2030 contre 15% aujourd’hui… Cela permettrait d’avoir 15% de voitures électriques dans le parc roulant du pays d’ici à la fin de la décennie contre 2,2%… début 2024. Ce qui n’est pas explicité est comment soudain les consommateurs vont se ruer sur les véhicules électriques que les constructeurs ont le plus grand mal à commercialiser.

Ce passage massif et soudain à la motorisation électrique est évidemment une des conditions nécessaires pour réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 d’ici 2030. Mais cette ambition irréaliste illustre le défaut majeur de méthodologie derrière le PPE et la SNBC. Les modèles sont construits en fonction d’objectifs purement politiques éloignés des réalités. Ils ne sont pas définis à partir des moyens financiers, économiques, industriels, technologiques et humains que le pays peut mobiliser pour les atteindre. Cela rappelle les grands moments de la planification soviétique, le fameux Gosplan et ses chiffres fantaisistes totalement déconnectés du réel. En l’occurence, la PPE et la SNBC s’apparentent à un exercice de pure forme qui répond avant tout à un objectif de communication politique à une semaine de la COP 29, qui se tiendra du 11 au 22 novembre à Bakou en Azerbaïdjan.

Objectifs incantatoires

Ainsi, la part des fossiles dans la consommation d’énergie devra être ramenée en France à 42% en 2030, à 30% en 2035 (-12% encore entre 2030 et 2035… toujours en cinq ans) et bien sûr à zéro en 2050. « Pour atteindre nos objectifs énergétiques, nous devons avancer sur deux fronts : réduire nos consommations grâce à la sobriété et à l’efficacité énergétique tout en développant massivement la production d’énergie décarbonée », a expliqué sans sourciller la ministre de l’Energie Olga Givernet. « Ce n’est pas qu’une question d’énergie, c’est un choix de société qui déterminera notre avenir », a-t-elle souligné. Elle a bien fait de le préciser puisqu’une évolution aussi rapide ne peut que se traduire par un appauvrissement généralisé. « Il faut que notre mix décarboné soit à moitié pour l’énergie nucléaire, à moitié pour les énergies renouvelables », a-t-elle ajouté.. Il faudrait peut-être informer la ministre que l’électricité représente seulement 27% de la consommation totale d’énergie du pays…

Seule solution donc : une électrification massive des usages, dans les transports, l’industrie et le chauffage des bâtiments. Là encore avec des objectifs irréalistes et des contradictions de taille. Le projet de loi de finances prévoit une hausse sensible de la fiscalité sur l’électricité qui passerait de 22,5 euros par mégawattheure (MWh) à une fourchette située entre 30 et 50 euros par MWh pour tous les clients particuliers, quel que soit leur contrat. Et dans les incohérences manifestes, on peut ajouter la baisse de MaPrimeRénov’, celle des aides au passage à la motorisation électrique et des dotations du fonds chaleur renouvelable.

Les transports : « une complexité absolue »

Mais cela ne devrait pas freiner, selon la PPE, le basculement du secteur du bâtiment vers l’électricité ce qui lui permettra de réduire drastiquement ses émissions à 35 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an en 2030 contre 62 millions de tonnes en 2022… Cela nécessitera la rénovation de « 400.000 maisons individuelles et 200.000 logements collectifs chaque année en moyenne d’ici à 2030 ». Et des rénovations qui ne sont pas des trompe l’œil mais qui permettent effectivement de réduire la consommation d’énergie et pendant longtemps.

Les plus importantes réductions d’émissions par secteur d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 sont attendues dans l’industrie (-68%) et l’énergie (-65%). Il faudra aussi qu’elles diminuent dans les transports qui représentent 32% des émissions et qui est le seul secteur ayant connu une progression avec une augmentation de 6,5% de ses émissions entre 1990 et 2022. Agnès Pannier-Runacher Runacher, la ministre de la Transition écologique, a reconnu qu’ils s’agissait d’une « complexité absolue » touchant entre autres à la « liberté personnelle » des 67 millions de Français. Le mouvement des gilets jaunes est encore dans les mémoires gouvernementales…

Aucun débat parlementaire, juste une consultation publique… inutile

Du côté de la production d’électricité, elle sera assurée par un redressement limité du nucléaire, avec 360 à 400 térawattheures (TWh) prévus chaque année, contre 320 TWh en 2023. Cela s’explique par le fait que le programme de construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération (EPR2) en est toujours à ses prémices et que dans le meilleur des scénarios il est difficile d’imaginer disposer d’un premier EPR2 en 2035. Le gouvernement mise aussi sur une poussée du photovoltaïque. « L’objectif est de porter le rythme de développement du solaire au moins à 5,5 gigawatts (GW) par an, contre 3 GW/an dans la précédente PPE ». L’accent est mis aussi sur l’éolien en mer en dépit de son coût exorbitant, avec une cible de 18 GW de capacités installées dans 10 ans, « soit plus de 10% de la production d’électricité décarbonée » à cette échéance, contre 1,5 GW actuellement. Sur l’éolien terrestre, et en dépit des réticences et des saturations dans certaines régions, le gouvernement entend maintenir le rythme actuel de développement avec un objectif d’installer 1,5 GW de capacité supplémentaire chaque année. Ce qui permettrait le doublement du parc actuel d’ici 2035, à 40 GW de puissance installée contre 21 GW en 2022.

Pour couronner une opération de communication, la publication de la PPE et de la SNBC a permis de lancer une énième concertation publique, inutile, qui prendra fin le 15 décembre. Les textes seront ensuite soumis au Haut conseil pour le climat avant la publication de décrets d’application attendus en 2025 et non pas le vote d’une loi à la suite d’un débat parlementaire. Il n’y aura donc pas de vraies remises en causes des prévisions, des modèles et des engagements qui méritent pourtant amplement d’être questionnés. De qui se moque-t-on?

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