Le bâtiment représente 39,5% de la consommation finale d’énergie et 27% des émissions de CO2. Il est donc la cible idéale des politiques publiques énergétique et climatique. La France s’est fixé de réduire de 28 % la consommation d’énergie finale dans ce secteur en 2030, et prévoit la décarbonations quasi-complète du bâtiment d’ici 2050 – c’est-à-dire le niveau basse consommation dit «BBC». Les statistiques officielles les plus récentes indiquaient que 0,3 % des logements en France étaient BBC en 2012. L’enjeu est donc de taille!
En 2018, le gouvernement s’est fixé plusieurs objectifs en la matière dans le cadre du Plan rénovation énergétique des bâtiments. D’une part, la rénovation thermique de 500.000 logements par an (sans spécifier la durée), dont la moitié sont occupés par des ménages aux revenus modestes. Sur ces 500.000, l’État prévoit d’avoir rénové d’ici à 2025 (objectif révisé depuis à 2028) les 7 à 8 millions de passoires thermiques (étiquettes F et G du Diagnostic de performance énergétique– DPE) habitées par des foyers propriétaires à faible revenu.
Ce plan annonce parallèlement que 100.000 logements sociaux devront être rénovés chaque année, permettant d’atteindre 250 000 logements occupés par des personnes aux revenus modestes. Pour les 250 000 logements restants, la rénovation devra être réalisée par les propriétaires qui auront accès à des aides financières dédiées, comme pas exemple les certificats d’économie d’énergie.
Dans les faits, ces objectifs apparaissent insuffisants au regard de la législation européenne, trop imprécis, et leur application s’avère difficilement contrôlable.
Un objectif flou et insuffisant
En juin 2018, la refonte de la Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD), stipulait qu’un taux moyen annuel de rénovation de 3% serait nécessaire au niveau de l’Union européenne pour concrétiser de façon rentable les ambitions de l’Union en matière d’efficacité énergétique. Pour cela, les États membres étaient tenus d’« établir des lignes directrices claires et définir des actions mesurables et ciblées ».
En France, la loi transposant la directive européenne a donc fixé le nombre de logements rénovés par an à 500 000. Ce qui correspond à un taux moyen annuel de rénovation de 1,7%, bien en deçà des 3% préconisés par la directive et nécessaires pour atteindre l’objectif gouvernemental d’un parc décarboné à 2050. Tout comme la directive européenne, la loi ne précise par ailleurs à aucun moment les gains minimaux de performance énergétique à atteindre.
Le parc immobilier français compte en outre 7 millions de logements «passoires énergétiques»: si le gouvernement entend les éradiquer d’ici à 2028 comme indiqué dans le Plan Rénovation, il faudrait accélérer la cadence et les rénover lourdement en priorité à un rythme annuel d’1 million de logements.
En raison de l’absence d’une définition officielle de la rénovation énergétique en France ou au niveau de l’Union européenne, il devient difficile de recenser correctement l’activité de la rénovation énergétique. Les bases de données existantes utilisent différents niveaux d’analyse et visent des cibles différentes –certaines bases se concentrent uniquement sur le parc de logements sociaux, d’autres le parc privé– comme le montre le tableau ci-dessous.
Une mise en œuvre déjà retardée
Malgré des objectifs largement insuffisants, on constate que la mise en œuvre du plan gouvernemental a déjà pris bien du retard. S’il est impossible de dresser un bilan précis, une estimation grossière révèle que le compte des 500 000 rénovations énergétiques annuelles n’y est pas : en 2018, on recense 110 000 rénovations dans le logement social, 62 000 dans les logements privés précaires et 130 000 pour le parc privé restant, soit un total approximatif de 300 000 rénovations annuelles concernant la période 2016-2018.
Même en considérant des estimations plus généreuses –évoquant plutôt 300.000 rénovations dans le parc privé et 100.000 dans le parc social– la France ne pourra pas à ce rythme atteindre l’objectif annoncé d’un parc de bâtiment neutre en carbone d’ici à 2050.
Ce retard s’explique d’une part par un coût fixe élevé des rénovations thermiques: il s’élève à environ 25.900 euros par logement privé pour une rénovation thermique qui permettrait de gagner deux classes (passer d’une performance énergétique D ou C à B par exemple). D’autre part, la variation du prix de l’énergie associée rend le retour sur investissement très lointain, et peu incitatif pour les ménages –malgré les aides proposées. Sans parler du déficit d’information constaté chez les ménages sur les aides disponibles et sur les mesures de rénovation les plus efficaces.
La nécessité du suivi
Pour l’avenir, les toutes dernières orientations politiques du gouvernement indiquent une priorité marquée pour les ménages modestes avec le retrait du crédit d’impôts (CITE) –qui jusque-là offrait à tous les propriétaires bénéficiaires jusqu’à 30% de réduction d’impôts sans condition de revenu du ménage (plafonné à 16 000 euros selon la composition du ménage)– et la mise en place de «Ma prime rénov» qui propose une aide forfaitaire dont le montant dépend du type de rénovation.
Elle s’oriente davantage vers les ménages modestes en ciblant les travaux de rénovation les plus efficaces. L’avantage de cette mesure est qu’elle met l’accent sur les ménages en situation de précarité énergétique qui le plus souvent logent dans ces dites passoires thermiques. Son risque est de décourager la rénovation dans les ménages les plus aisés, qui portent aujourd’hui à eux seuls 50 % de l’activité du secteur.
Faute de données fiables et d’objectifs bien définis en France, suivre les avancées en matière de rénovation énergétique dans le pays est difficile. Or sans évaluation, il sera compliqué de satisfaire les efforts engagés. Des lacunes dont le gouvernement prend toutefois conscience, puisqu’il a lancé en septembre un observatoire national de la rénovation énergétique, dont les premières données seront rendues disponible entre 2020 et 2021.
Carine Sebi Assistant professor and Coordinator of the « Energy for Society » Chair, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.