Jean-Marc Jancovici est une des voix qui compte en France sur les grandes questions de l’énergie. Inlassablement depuis des années, ce professeur et polytechnicien, adepte de la décroissance, dénonce les faux-semblants, les lâchetés et les partis pris idéologiques qui, selon lui, ruinent la transition énergétique. Le think tank qu’il préside, The Shift Project, créé en 2010, a décidé de profiter de l’opportunité de la crise sanitaire et économique que nous traversons pour interpeller les pouvoirs publics et l’opinion et bâtir le plan de relance dont il rêve pour construire une société décarbonée et plus résiliente.
«Ce n’est pas souhaitable de repartir avec notre système économique actuel, car il pose le problème de la dépendance aux énergies fossiles et il ne sera plus viable dans quelques années», explique Jean-Marc Jancovici. Il reconnait aussi que «la spécificité de notre approche et sa difficulté, c’est la sortie d’une hypothèse de croissance.»
Si Jean-Marc Jancovici est reconnu comme étant un expert incontestable, la décroissance qu’il prône depuis plusieurs années a marginalisé son discours, tant elle semble impossible à faire accepter politiquement comme socialement. En défendant également l’énergie nucléaire, qu’il juge indispensable pour parvenir réellement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, il s’est aussi fait de nombreux adversaires parmi les militants écologistes. En tout cas, convaincre l’opinion de la nécessité de la décroissance dans une période d’appauvrissement généralisée qui va être celle de l’après-pandémie semble être un pari un peu fou.
Construire «une économie économe»
The Shift Project entend préempter le débat et a lancé une grande consultation pour construire «un plan de transformation de nos activités essentielles (se nourrir, se loger, se déplacer, se soigner, travailler, comprendre, échanger), afin de les rendre saines et robustes pour les temps de crise économique et écologique dans lesquels nous entrons… La transformation que nous envisageons réclamera dans bien des cas de simplifier ou de ralentir. Souvent aussi, elle aura besoin de davantage de têtes et de bras.» Un document de 50 pages vient d’être publié afin de poser les bases d’un plan qui se veut pragmatique
«Le problème posé n’est pas d’abord idéologique ou moral, il est pratique: systémique, physique, matériel… Le changement visera à aboutir à ceci: que chacun des organes de la société fonctionne en recherchant une sobriété optimale de matière et d’énergie. La transformation doit aboutir à une économie économe.»
The Shift Project veut construire une stratégie pour transformer une quinzaine de secteurs d’activité, les plus importants, dont l’agriculture, le bâtiment, l’énergie, l’industrie, les transports, le numérique, la santé, les services, la culture, les médias… Et le document publié n’est qu’une première étape.
The Shift Project lance une campagne de crowdfunding pour lever 100.000 euros indispensables à la poursuite du projet. Une première communication des propositions concrètes devrait intervenir au début de l’été.