L’Assemblée nationale s’apprête à trancher une question qui n’a aucune bonne réponse. Le 20 février 2025, les députés votent sur une proposition de loi visant à interdire progressivement les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Des composés chimiques extrêmement stables, ce qui fait leur utilité, accusés de polluer durablement l’environnement et indispensables à de nombreuses activités industrielles. Porté par le député écologiste Nicolas Thierry (EELV), le texte se veut ambitieux. Trop, peut-être. Car si le danger que représentent ces « polluants éternels » est bien réel, les conséquences de cette interdiction pourraient s’avérer tout aussi dramatiques pour l’industrie française.
PFAS : vers une interdiction massive, sans solutions alternatives
Le texte prévoit une interdiction totale d’un certain nombre de PFAS dès 2026. Cela concerne les cosmétiques, le textile d’habillement, les chaussures et les agents imperméabilisants. Un premier pas, avant une interdiction généralisée en 2030, sauf pour quelques usages jugés « essentiels » pour lesquels aucune alternative n’existe. Ainsi, les pompiers conserveraient leurs équipements de protection, certains PFAS ayant des propriétés ignifuges et hydrofuges, mais toutes les autres activités industrielles seraient sommées de s’adapter ou de disparaitre.
Et c’est là que le bât blesse. Quelles alternatives ? Les entreprises des secteurs du textile, de l’automobile, de la pharmacie – toutes dépendantes des PFAS – alertent depuis des mois sur l’absence de solutions de remplacement. Derrière l’argument environnemental, une réalité technique s’impose : ces molécules, en raison de leur stabilité chimique inégalée, ne sont pas remplaçables pour certaines applications. Dans l’automobile ou encore l’aéronautique, elles protègent les pièces exposées à des températures extrêmes et assurent la durabilité des moteurs. En médecine, elles entrent dans la fabrication de dispositifs essentiels et de certains médicaments.
Le gouvernement joue avec le feu. En imposant une interdiction sans tenir compte des contraintes technologiques, industrielles et économiques, il prend le risque de fragiliser des pans entiers de l’industrie française qui n’en a pas vraiment besoin. Et tout cela pour rien ou presque. Car interdire ne signifie pas faire disparaître. Si la France bannit les PFAS mais que des produits importés en contiennent toujours, le marché ne fera que se déplacer… au détriment de nos entreprises.
Un texte sous tension, des députés divisés
Le projet de loi, adopté en première lecture, a déjà provoqué de vives tensions. Si la majorité des députés s’est alignée sur les bonnes intentions écologiques, certains dénoncent une approche précipitée, voire irréaliste.
Danielle Brulebois, députée Ensemble, a rappelé que la chimie est un levier d’innovation et de progrès, et qu’une interdiction trop rigide pourrait ralentir la recherche sur des alternatives viables. De son côté, Pierre Meurin (RN) a critiqué un texte dicté par l’idéologie et non par la science, mettant en garde contre un risque de désindustrialisation forcée. L’opposition s’inquiète aussi de l’absence de mesures pour contrôler les importations. Car à quoi bon interdire en France, si des produits fabriqués en Asie continuent d’inonder le marché avec les mêmes substances ?
Face à ces critiques, Nicolas Thierry défend une position intransigeante : « La pollution aux PFAS est une bombe à retardement, nous devons agir immédiatement ». Un argument qui, sur le plan sanitaire, se tient. Car les PFAS, persistants dans l’environnement, s’accumulent dans les organismes et sont suspectés d’être à l’origine de cancers, de troubles endocriniens et d’une altération du système immunitaire.
Le spectre d’une catastrophe industrielle
Si le texte est adopté dans sa forme actuelle, il faudra en mesurer et en assumer les conséquences économiques. Une interdiction brutale pourrait précipiter des fermetures d’usines et déboucher sur une explosion des coûts de production. L’industrie textile, déjà sous pression, redoute une perte de compétitivité majeure face à des concurrents étrangers. Les groupes pharmaceutiques alertent sur un risque de pénurie de certains traitements, faute d’alternatives aux PFAS dans les processus de fabrication.
Quant aux consommateurs, ils pourraient être les premiers à payer la facture. Les entreprises, contraintes de revoir leurs procédés, répercuteront inévitablement les coûts sur les prix. Sans compter l’ironie d’une situation où la France, après avoir imposé des normes drastiques, se retrouverait inondée de produits importés… contenant les mêmes PFAS.
Le pari risqué du gouvernement
Le 20 février, les députés auront donc à faire un choix cornélien entre la nécessité environnementale et la réalité industrielle et économique. Si la loi passe en l’état, la France s’engagera dans une interdiction radicale, quitte à sacrifier une partie de son industrie sur l’autel de l’écologie. Certains espèrent encore un compromis, notamment des dérogations plus larges pour les secteurs où les PFAS sont indispensables. Mais le gouvernement, soucieux d’afficher une posture volontariste, semble déterminé à aller au bout de son projet.
L’Europe, elle, observe. Car la France pourrait bien servir de laboratoire à ciel ouvert pour une réglementation qui, si elle se révélait trop stricte, pourrait sonner le glas de certaines filières industrielles. Interdire oui, mais à quel prix ?