Les problèmes de capacités insuffisantes de raffinage de pétrole illustrent parfaitement le manque d’investissements depuis plusieurs années dans les infrastructures énergétiques. C’est notamment le cas en Europe qui a choisi pour des raisons avant tout environnementales de dépendre de carburants raffinés ailleurs. La situation est similaire en Asie et en Amérique latine, mais avant tout parce que les capacités industrielles ne parviennent pas à suivre la demande.
Ainsi, cela fait près d’un an que des pénuries de gazole ou diesel se font sentir dans plusieurs régions du monde, notamment en Asie. La Chine a même instauré à la fin de l’année dernière un régime de restrictions, pas plus de 100 litres par jour par camion. Et au mois de mars et avril, plusieurs pays européens ont frôlé la pénurie, au point pour le Royaume-Uni d’envisager un temps d’établir un système à la chinoise.
Les Etats-Unis ont atteint les limites de leurs capacités d’exportation
Finalement, l’alerte est passée, mais le problème n’a pas disparu. Il est même amplifié en Europe par l’invasion de l’Ukraine et les sanctions décidées contre la Russie. L’Union Européenne a pris la décision de se passer du pétrole et des produits raffinés russes d’ici le début de l’année prochaine. Il n’est pas sûr du tout qu’elle en soit capable.
Car, l’Europe est très dépendante des importations de diesel russe. Sur 1,4 million de barils par jour de diesel importés par l’Europe en 2019, la moitié, soit 685.000 barils, provenait de Russie et une grande partie du solde venait des raffineries d’Arabie Saoudite avec 285.000 barils. «En 2020, la France a importé 25 millions de tonnes de gazole dont un quart était du gazole russe, à peu près 6 millions de tonnes» expliquait récemment Olivier Gantois, le patron de l’Union Française des Industries Pétrolières (UFIP).
Pour compenser la perte à venir de diesel russe, les Européens ont importé de grandes quantités de diesel sortant des raffineries américaines. Les exportations américaines de diesel ont atteint 1,4 million de barils par jour en juillet, leur niveau le plus élevé depuis cinq ans. Mais cela ne va pas pouvoir durer très longtemps. Car les réserves de diesel sont aujourd’hui au plus bas en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, elles sont à leur plus bas niveau pour cette période de l’année normalement favorable à la constitution de réserves depuis… 32 ans.
Un carburant tout simplement indispensable
Au 29 juillet, les stocks de diesels américains se montaient à 109, 3 millions de barils selon les statistiques de l’Energy Information Administration (EIA). Il s’agit de leur niveau le plus bas en cette période de l’année depuis 1996. Normalement, les stocks augmentent en été quand les raffineurs font fonctionner leurs installations à plein régime pour répondre à la demande d’essence aux Etats-Unis pendant les vacances d’été. Mais ce n’est pas du tout le cas cette année, du fait des exportations de diesel. Le mois dernier, les réserves américaines de ce carburant ont même baissé de 3 millions de barils. «Cela s’annonce très difficile pour nous de pouvoir fournir beaucoup plus de diesel en Europe avec des stocks américains bas et l’industrie qui s’épuise», explique Gary Simmons, vice-président exécutif et directeur commercial de Valero Energy.
Et la situation ne peut que se dégrader quand les températures vont baisser à l’automne et en hiver, quand l’embargo sur les produits pétroliers russes sera en vigueur et quand le manque de gaz naturel incitera notamment les industriels à utiliser plus de carburant diesel… Une équation impossible.
Au lieu d’un embargo, une augmentation des importations de diesel russe
Car le diesel est tout simplement indispensable. S’il se vend aujourd’hui en France et dans toute l’Europe de plus en plus de voitures électriques et bien plus de véhicules neufs à moteur essence et hybrides que diesel, ce carburant représente encore un poids écrasant de la consommation. Compte tenu de son rôle exclusif dans le transport routier, l’agriculture et le BTP et du parc considérable de voitures à motorisation diesel, ce carburant représente en moyenne selon les mois environ 75% de la consommation française totale de carburants routiers.
Cela explique pourquoi, pour l’instant, l’embargo sur le diesel russe est un vœu pieu. En fait, les pays européens ont même augmenté leurs importations le mois dernier selon les statistiques de Vortexa. Elles ont atteint le niveau très élevé pour cette période de l’année de 680.000 barils par jour, une hausse de 13% par rapport au mois de juin et de 22% par rapport à juillet 2021…
«On peut se demander si les Européens parviendront à respecter l’interdiction d’importation de diesel annoncée, compte tenu des prix records de ce carburant au cours des cinq derniers mois, de la dépendance croissante et pas vraiment décroissante de l’Europe à l’égard du diesel russe, des limites au sein du système mondial de raffinage et du rôle probablement important du diesel en tant que carburant de substitution du gaz naturel et des pénuries d’électricité. Tout cela pourrait bien remettr en question la détermination de l’Europe et de ses dirigeants», estime David Wech, économiste en chef de Vortexa.